La communauté païenne est-elle dangereuse ?

Note : J’utilise le terme « communauté(s) païenne(s) », abrégé(s) en CP au fil de l’article, pour désigner les personnes, groupes, associations et autres gravitant autour du (néo)paganisme. Ceci afin de simplifier les propos.
Il est question ici de la France, pour des raisons évidentes.
Je remercie chaleureusement les deux personnes qui ont accepté de relire cet article et m’ont fait part de leurs observations. Le sujet pouvant être épineux, je souhaitais avoir un avis extérieur avant toute publication. 

[A lire avant d’entrer dans le vif du sujet]

⇒ Cet article trouve son origine dans un rapide échange avec deux personnes, échange au cours duquel une des personnes expliquait avoir toujours fait preuve de la plus grande méfiance avant de « mettre son pied quelque part dans la CP », tandis que l’autre, ayant une approche différente, demandait quelle pouvait être la nature de ces dangers.
Après avoir répondu rapidement, je me suis demandé « pourquoi ». Pourquoi est-ce une question que l’on se pose / doit se poser ? Qu’est-ce qui dans la façon dont les choses fonctionnent, dont les gens se croisent peut augmenter -ou parfois réduire- les risques ? Comment présenterai-je le tout si le moi d’il y a vingt ans venait me poser cette question ?

⇒ Il a des airs « Captain Obvious », parce qu’il a été écrit dans le but d’essayer d’expliciter les mécanismes qui sous-tendent la/les CP, d’en comprendre les bases de fonctionnement et de ce qui en découle. A aucun moment, il n’est destiné à être autre chose que généraliste, et ne prétend pas être une vérité complète et absolue. J’ai essayé de l’écrire en restant factuelle autant que je pouvais.

⇒ Je ne rentre pas dans les détails de tout ce qui « peut survenir dans les cas les plus dramatiques » ni ne donne d’exemple ouvertement explicite quant aux abus. Pourquoi ? Parce que certaines personnes ayant vécu des traumas similaires peuvent les voir se réactiver, d’où la mention de plus en plus fréquente de « trigger warning », qui est un minimum quand on aborde certains sujets, et que le but, justement, c’est de faire de ce pavé une lecture accessible au plus grand nombre.

⇒ Bien que quelques exemples de red flags soient glissés au fil des mots, le but n’est pas ici, spécifiquement, d’en dresser une liste.

⇒ « Tu fais chier, c’est un pavé ton truc. » Oui, vu la nature du sujet, je me voyais mal le couper en deux ou trois parties. (Ça aurait été parfait pour du putaclic remarquez).

1/ Considérer la base

Premièrement, et pour essayer de poser une base, le socle des communautés païennes ne repose pas exactement sur le même que celui, disons d’une communauté se regroupant autour du tricot.
S’il y a, et qu’il doit y avoir, des bases communes au niveau du comportement admissible / non admissible, puisque nous évoluons au sein de la même société (occidentale du XXIe siècle) et que nous sommes régis par les mêmes lois (enfin, en principe), les raisons de la présence d’une personne et les sujets abordés sont bien évidemment très différents.

Il y a, chez les païens, non seulement une foultitude d’histoires et de parcours personnels mais on y aborde également des sujets qui sont plus généralement passés plus ou moins sous silence, parce que non pertinents ou alors seulement spécifiques dans certaines communautés « de niche ». J’explicite :

→ Pour reprendre l’exemple du tricot, il n’y a pas besoin d’aborder des thèmes comme la mort (bien que le sujet puisse éventuellement, on peut l’imaginer, survenir de manière épisodique pour X raisons.) Ce n’est pas ce qui va préalablement orienter les personnes VERS la communauté « tricot », même s’il n’est pas possible d’exclure que cela puisse être le cas pour certaines personnes ou que cela ait joué un rôle dans leur parcours.

→ D’autres communautés qui vont aborder certains de ces thèmes (par exemple celui du deuil périnatal) vont le faire spécifiquement dans cette optique. Il est rare que des individues (oui, au féminin) aillent spontanément vers ce type de communauté sans y être confrontée (de manière personnelle / directement autour d’elle / en tant que professionnelle), même si cela arrive, mais dans les faits, c’est globalement -et malheureusement- plutôt rare.

a) Des sujets liminaux

Plus qu’une seule communauté, il est pertinent ici de distinguer grossièrement deux parties dans la CP : celle qui se regroupe davantage autour des axes de la sorcellerie / pratique magique et celle qui est plus axée dans une relation -parfois non personnelle- avec les divinités. L’étendue des sujets abordés couvre un très large spectre. Ce n’est pas la même chose d’essayer de reconstruire le plus factuellement possible une religion antique, de pratiquer certaines formes de sorcellerie ou de magie avec possiblement des rituels spécifiques autour d’une initiation / de pratiquer les Arts divinatoires et j’en passe.
Sachant que dans les faits, ces « axes » ne forment pas des isolats impénétrables et qu’il est possible de cocher plusieurs catégories. Certaines des problématiques et des risques exposés dans cette partie concernent un peu plus spécifiquement la CP « sorcière », bien que la partie « polythéiste » puisse être également concernée.

Au cœur des communautés « sorcière » et « polythéiste », on retrouve toute une série de sujets liminaux par rapport à la société globale dans laquelle nous évoluons. On ne parle pas de sport(s) ou d’aquarelle, on parle de transe, de possession, de divinités, de leurs présences, de trauma, de recherche de guérison, de communication avec la nature, de sexualité, de prise d’enthéogènes, d’empouvoirement… pas vraiment des choses dont il est possible de discuter avec le tout-venant entre deux portes. Aussi passionnants soient ils, ce ne sont pas des sujets anodins et sans conséquences.
Nous venons tous avec nos bagages personnels, notre vécu, et nous avons chacun.e notre propre cheminement, des sujets auxquels nous sommes davantage sensibles que d’autres.

Le corollaire plus sombre de ces aspects liminaux, c’est notamment toute la thématique liée aux gourous, aux abus de toutes sortes et à la possible fragilité / crédulité de certaines personnes, par exemple en raisons de traumas passés.
Enfin, il existe aussi des gens qui viennent à emprunter ces chemins, soit avec des intentions qui les rendent possiblement nuisibles pour d’autres, soit qui au fur et à mesure de leur pratique, de leurs fréquentations et de toute une pléthore d’autres facteurs, vont devenir dangereux. Ce n’est pas le cas le plus fréquent, mais croire que ces personnes n’existent pas est une erreur.
Il y a ceux qui mentent et vont essayer de fourguer de la camelote (physique ou spirituelle) et qui le font sciemment dans le but d’arnaquer (tous ne font pas partie de la CP, certaines personnes profitant « juste » de l’étiquette pour le marché juteux qu’elle attire. Cependant et bien qu’étant externes, ils font partie des problèmes que l’on peut rencontrer « de l’intérieur ».)
Parfois, certains aspects peuvent être perçus comme sulfureux, par exemple la pratique de la nudité rituelle (skyclad) et dans les faits, n’être pas problématique au sein d’un groupe. Parce que toustes celleux qui en font partie sont clean sur la question et ont un comportement approprié. Pour autant, le groupe peut être « clean » sur la question de la nudité rituelle, mais pas sur d’autres plans, ce qui peut s’avérer tout aussi problématique, mais qui sera peut-être, au moins dans un premier temps, moins perceptible.
Pour reprendre l’exemple du skyclad, d’autres groupes peuvent effectivement avoir en leur sein une personne qui a tendance à « mater », voire à commenter ensuite à guichet fermé. (Je n’évoque pas de problématique plus explicite, parce que je pense que le tableau de potentialité est suffisamment évocateur.) Une des réactions peut être de se dire « oh ben ça va, si ça n’en reste qu’au matage, y’a pas de quoi fouetter un chat ». Alors, vous pouvez être concerné.e et ne pas vous en soucier, ce qui est votre liberté la plus stricte. La ou les personne(s) concerné.e.s peut/peuvent être très mal à l’aise voire plus. Cela peut aussi, plus sournoisement, progressivement vous « insensibiliser » à des comportements qui ne sont pas acceptables.
J’explique, en reprenant l’analogie de la communauté de tricot évoquée plus haut.

→ Dans un club de tricot, en général, on ne se met pas nu.e pour tricoter. Dans certains rituels au sein de certains groupes de la CP, c’est une possibilité. Déjà, les « bases » de ce qui est « acceptable » ne sont pas les mêmes.
Qu’on le veuille ou non, il y a déjà un « brouillage » par rapport à ce que l’on peut connaître dans la vie de tous les jours. Alors si ces moments, où nos points de repères habituels ne servent plus, s’avèrent en plus entachés de comportements ou de problématiques qui n’ont rien à y faire, le risque est de considérer cela comme étant en fait « normal » et non pas « problématique ». Et d’accepter de plus en plus de situations qui seraient autrement perçues comme largement abusives / risquées avec éventuellement une escalade dans la gravité des situations abusives.
L’autre aspect risqué, c’est de n’avoir jamais été en position de questionner / de ne pas s’être rendu.e compte qu’il y avait de facto un énorme problème, et de finir par se retrouver en position où l’on peut devenir la personne abusive.

J’ai pris l’exemple du skyclad, parce que dans les années 2005, c’était vu comme très très sulfureux. D’autant qu’on ne trouvait pas d’informations ou très peu, et qu’il y avait peu d’endroits où poser des questions ou avoir un back-up pour checker si c’était sain et normal ou pas. Ce n’est bien sûr qu’un exemple, et ce type de schéma peut s’adapter à bon nombre de pratiques.

En parlant de pratique, une autre question se pose : où s’arrête une pratique saine et où commence une pratique malsaine ?
Si on se cantonne à l’aspect purement humain, c’est déjà compliqué de savoir à quel moment une relation devient toxique (qu’elle soit amoureuse, professionnelle…) ou quand nous sommes dans une situation de violence (notamment quand la pratique est banalisée par le milieu au sein duquel on évolue, je pense par exemple aux pratiques de management de certaines entreprises), alors comment on fait quand on est en présence de pratiques comme les rituels de possession ? Les transes ?
Comment sait-on si c’est vraiment le rituel qui part en couille ou si c’est la personne qui va utiliser ce biais pour profiter de son niveau d’influence sur les autres ? Comment fait-on vérifier ? Par qui ? Il n’y a pas d’instances, de spécialiste(s) neutre(s) avec un diplôme. On peut trouver des personnes non directement concernées et extérieures à la question, mais là aussi, on les trouve comment ? Par le bouche-à-oreille ? Dans une communauté plus développée et différente ?
Je n’ai pas de réponse toute faite à ces questions, mais cela fait partie des aspects à garder en tête et d’y réfléchir, sans doute avant même de commencer à rencontrer un groupe ou autre. Comme me l’a soufflé très justement une des personnes qui a relu cet article : « quand on commence à se poser des questions, ne pas évacuer les choses du revers de la main. On ne se questionne jamais à partir de rien. »

Enfin, et si je ne rentrerai pas dans les détails au fil de cet article, oui, la pratique de la magie / des rituels / du seiðr… de ce que vous voulez, n’est pas sécuritaire. Oui, on peut se ramasser des bricoles. Même des rituels censés être positifs / bénéfiques pour une communauté peut avoir « un bug » pendant qu’il est performé et devenir l’inverse de ce qu’il était censé être.
Certaines pratiques semblent plus risquées que d’autres, mais dans tous les cas, le risque zéro n’existe pas.
D’où, je pense, l’importance d’essayer de comprendre, de décortiquer, de pouvoir échanger, questionner, évoluer… Quand on arrive, et que l’on a peu ou pas de points de repères fixes, comment on fait pour savoir si une pratique est légitime ? Si c’est vrai ? Si le groupe est sain ou pas ?

 

2. Un « monde païen » qui n’est pas « du monde »

Pour ne pas alourdir mon pavé, je ne retracerai pas l’histoire de figures comme celle de la Sorcière, ni ne raconterai l’importance du groupe et des risques qu’il y a/avait à se trouver « à la marge » ou à être « une minorité », supposant que chacun.e possède un minimum de représentation quant à ces sujets.
Tout ceci pour dire qu’il y a déjà une double caractérisation dans la CP sorcière et non sorcière : premièrement une variation plus ou moins grande par rapport à la norme* sociétale française contemporaine (descendant directement des Lumières, qui n’a quand on creuse, de Lumières que le nom…) mais aussi un certain historique d’opposition par rapport à cette norme*. [« Norme » désignant ici « ce que l’on retrouve le plus souvent / le postulat généralement présupposé faute d’informations complémentaires.]
Par « opposition » je n’entends pas ici un rapport de lutte (bien qu’il puisse coexister), mais plutôt deux constructions différentes qui bien que pouvant être proches, se distinguent de manière marquée, un peu comme dans un tableau. Que ce soit de manière consciente ou inconsciente, on note souvent cette marque dans de nombreux ouvrages ou témoignages : la marque d’une différence ressentie, de la recherche d’autre chose, d’une conscience que d’autres ne semblent pas avoir.

Cette opposition, couplée à d’autres facteurs qui ne sont pas propres à la CP (notamment l’impossibilité de pouvoir/devoir expliquer une partie de la nature du groupe / du rite, l’attitude potentielle de la police / des gendarmes, la peur d’être pris.e de haut -fondée ou non-, la difficulté d’arriver à porter plainte, la complexité des fonctionnements judiciaires,  et j’en passe) peut finir par favoriser un processus d’isolement.
Ce processus va par exemple, contribuer (je dis bien contribuer, parce que ce n’est pas un seul facteur qui entre en jeu) à empêcher les gens d’agir face à certains types d’abus voire de violence(s). Plutôt que de faire intervenir des gens situés à l’extérieur du groupe (type médecins, police, etc), le groupe essaiera de régler « ça » de manière « privée » (quand il le fait). Je souligne que ce n’est évidemment pas uniquement une question « de volonté » parce qu’en fonction des potentielles réactions que l’on a rencontrées au cours de nos vies, du soutien ou de l’absence de soutien, des peurs et des enjeux potentiels qui seront différents pour chacun.e, mais aussi des processus d’emprise, cela dépasse la simple question lâcheté / courage telle qu’on la voit souvent décrite de façon binaire.

Et si nous, nous nous considérons comme étant « du monde », parce que par exemple, nous sommes simplement « polythéiste soft », c’est le monde qui considérera que nous n’en sommes pas. On peut trouver différents degrés d’acceptation, validation et autres, mais à un moment donné, plus ou moins haut, cela risque de coincer (je pense notamment aux systèmes judiciaires, aux enquêtes sociales et j’en passe). Les structures et le poids des PC actuels ne nous permettant pas -encore- d’être autre chose qu’une minorité non influente. 

Des structures extrêmement mutables et diverses

Rares sont les groupes stables et nombreux. Ils sont même davantage des exceptions plutôt que la règle. La majorité des groupes existant se composent d’un petit nombre de personnes qui évoluent librement sans structure fixe ni de cadre légal, (a contrario d’une association qui doit avoir un statut enregistré et des membres désignés pour les fonctions administratives) leur longévité est variable.
On retrouve aussi quelques très rares associations françaises.
Ainsi, on a des personnes majoritairement isolées (voire des petits groupes informels) éclatés sur le territoire, avec des poches de concentration suivant les zones / type de pratique.
On a donc, nonobstant la diversité des pratiques religieuses / spirituelles / magiques, une constellation de groupes qui peuvent avoir des politiques de base et des règles de fonctionnement très différents les uns des autres, pour le meilleur comme pour le pire. En général, la plus universelle concerne la non admission de personnes mineures (ou alors pour le cas d’association, avec une autorisation signée de la part d’un représentant légal). Pour tout le reste, c’est à l’avenant et pas forcément toujours simple d’avoir certaines réponses, notamment parce que la majorité… n’ont pas forcément eux même idée de quelle attitude adopter sur place si tel ou tel truc ne se passe pas du tout comme prévu.

Ces groupes sont généralement relativement difficiles à trouver si on vient de l’extérieur et qu’on essaie de démarrer par une classique recherche google, même si ces dernières années, le développement des réseaux sociaux a fait changer la donne : ainsi le bouche-à-oreille se fait aujourd’hui énormément par ce biais : groupes FB, pages insta et autres. Certains sont publics, d’autres très confidentiels.

Ces groupes évoluent rapidement que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Les gens vieillissent et n’ont plus le temps de prendre part à des événements spécifiques, ou alors déménagent. La structure aussi bien que les participants changent. Retrouver la trace d’un ancien groupe, des traces de son existence, des archives ou avoir des confirmations d’autres personnes peut s’avérer une gageure.

Enfin, beaucoup sont surtout des groupes d’ami.e.s qui pratiquent ensembles et n’ont donc logiquement pas ou rarement d’autre « porte d’entrée » que le cercle de relation.

En fonction des sujets / thématiques / axes de pratique, il est légitime que certains type de groupes n’aient pas nécessairement vocation à accueillir du monde de manière ouverte, ni à être trouvable : de ce point de vue-là, il n’est pas possible de comparer un groupe à visée reconstructionniste et un groupe qui pratiquerait certaines formes de magie.

3. Des identités polymorphes

Les réseaux sociaux mentionnés au paragraphe précédent sont souvent une donnée très appréciable autant pour les nouvelles générations -qui ne sont plus seul.e.s dans leur piaule à planquer un livre sous le matelas en cachette- que pour les plus anciennes, puisqu’on a la possibilité d’échanger, de confronter nos points de vue, de pratiquer nos rites et nos rituels, bref qu’on a la possibilité d’accéder, ne serait-ce que virtuellement, à une communauté relativement diversifiée pouvant partager informations, ressources, et tant d’autre choses positives.

Cependant, toute médaille a son revers, et c’est devenu aussi plus difficile de savoir exactement où on débarque ; même en sachant que popularité et qualité ne vont ni de pairs ni ne sont antagonistes, c’est une véritable jungle -spécialement quand on débute- pour parvenir à trier l’information et y dénicher ce qui est pertinent par rapport à son cheminement personnel. La qualité des contenus est très variable, non seulement d’une personne à une autre, mais aussi suivant les sujets abordés : une personne offrant du contenu en ligne qui peut être très bon sur certains axes, moins sur d’autres.

Enfin, sur les réseaux, il est facile de changer d’identité. On efface tout et on recommence avec une nouvelle interface, un nouveau design et un nouveau pseudo.
C’est aussi possible IRL quoique moins fréquemment : comme la « population » change, que des nouveaux arrivent, on se fait oublier, on monte un nouveau groupe, un nouvel atelier et pouf. La dynamique des groupes, sans parler des « Amicales de Pratique », fait qu’il faut bien connaître les gens pour avoir des informations fiables sur qui se trouve derrière tel ou tel nouveau truc qui a fait pop.

Par manque de place, je ne détaillerai pas le fonctionnement des nouveaux réseaux sociaux, de plus en plus spécifiques, avec un algorithme difficilement compréhensible et dont les règles changent extrêmement fréquemment, rendant quasi-obligatoire la fréquence toujours plus importante non seulement des publications / vidéos mais également différents types d’échanges avec sa communauté / d’autres internautes. D’où la multiplication de tendances en cascade mais aussi des clashs plus ou moins vrais, pour générer de l’affluence. Pourquoi en parler ? Parce que ces nouveaux réseaux favorisent et contribuent à créer une fausse sensation d’intimité avec le compte suivi/ /  des sensations de comparaisons délétères pour l’estime de soi / des phénomènes de harcèlements prenant des proportions toujours plus importantes et j’en passe.

Concernant l’identité sur internet / dans la CP, si les raisons de base sont tout à fait compréhensibles et prudentes, à savoir une certaine discrétion -hautement nécessaire pour certaines professions-, la volonté de ne pas afficher publiquement ses croyances, choix personnels, etc. Il ressort néanmoins que c’est difficile d’avoir un aperçu juste et complet du nombre de pratiquant.e.s, de la composition d’un groupe, de l’identité personnelle (« civile » ou « paganisée » du moment qu’elle est stable, c’est à dire qu’elle ne change pas tous les quatre matins) et donc de pouvoir clairement se prémunir de certaines personnes abusives / de les empêcher de revenir après une éventuelle éviction d’un groupe / d’éviter à des gourous et autres de remonter leur arnaque.

En cas de problèmes du type abus, harcèlement, violences et j’en passe, cela complexifie considérablement les signalements ou les recours (sauf dans les associations où il est normalement possible d’en référer au bureau qui doit, en principe, prendre les mesures appropriées.)
En général, une personne équilibrée dans sa pratique et qui essaie d’avoir un fonctionnement sain ne ressent pas le besoin de changer de pseudo, ou de se créer une nouvelle identité tous les trois mois ou après un énième pétage de câbles, et ce de manière répétée, en effaçant à chaque fois les traces de l’ancienne. (Je ne parle pas ici de la personne qui s’inscrit sur un forum ou sur un discord avec un pseudo, et qui en utilise un autre sur FB.)

La/les CP sont de petites communautés, et plus rares sont celleux qui y restent de manière « active » pendant une voire deux ou trois dizaines d’années. Rares tout court sont celleux qui s’impliquent pour faire quoi que ce soit de concret (se rendre à un blot, organiser un groupe IRL, un atelier en ligne…) me dit-on dans l’oreillette.
Conjugué à une partie de ce qui a été énoncé au point b) un monde païen qui n’est pas « du monde », on peut également assister à un processus d’intériorisation extrêmement toxique : autrement dit, on ne parle pas à « l’extérieur » des problèmes que l’on rencontre dans la CP, pour ne pas « menacer » cette même communauté. (Et en même temps, quand on voit déjà le sort réservé aux enfants qui dénoncent l’inceste et aux mères protectrices, on a envie de dire « comment vous voulez faire ? »)
A noter que ce n’est pas « un choix » qui est « conscient », mais plutôt une zone bien grise au milieu d’une autre zone bien grise. Si on parle, comme il n’y a pas de « politique officielle païenne » ou « d’instances régulatrices », c’est un peu « au petit bonheur la chance » en fonction d’où on parle, de qui on est, et des « bonnes relations », ainsi que de la nature même de ce qui peut être problématique (et là on en revient au point a) des sujets liminaux).

[Deuil périnatal] Trame de blót à Frau Holda pour honorer un bébé décédé

[TW : comme le titre le précise explicitement, j’aborde ici la question du deuil périnatal, et propose une trame de blót pour honorer leur mémoire. Si vous êtes concerné.e.s et que vous ne souhaitez pas lire le blabla, je vous invite à scroller jusqu’au gros titre ◊ Déroulement du blót ◊]

Le 15 octobre est la journée mondiale du deuil périnatal, c’est à dire concernant les bébés morts avant la naissance (MFIU, IMG, etc) ou dans la période juste après. Cette période varie en fonction des définitions, celle de l’OMS par exemple, comporte les décès entre la 22e semaine d’aménorrhée et le 7e jour après la naissance.
Évidemment qu’ici, on s’en fout, parce qu’on ne va pas débattre autour des limites médicales pour la prise en charge, ou toutes les questions administratives qui vont avec.

⇒ * Dans le texte de l’article, j’emploie le mot bébé pour des raisons de simplification stylistique. Il est bien évident que le stade d’avancement biologique n’est pas la même pour un fœtus de 5SA et un bébé mort à 7 jours de vie. Cependant, la question des ressentis / vécus est hautement sensible en plus d’être très complexe, variable d’une personne à l’autre et parfois même pour la même personne. Bref, merci de me coller aucun « biais idéologique » parce que j’emploie directement ce terme au fur et à mesure des lignes qui vont suivre. Si pour une raisons ou une autre il vous gêne, remplacez-le. *

Ce que je vous propose ici, c’est une trame de blót à Frau Holda pour ceussent qui souhaitent honorer la mémoire de ces enfants. Ce n’est qu’un axe, et il va de soit que vous pouvez le reprendre et l’adapter en fonction de votre besoin.

Pour faire simple :

Ce n’est pas un sujet « populaire » au sens où typiquement ca fait fuir tout le monde, mais c’est malheureusement un sujet auquel on peut toustes être confronté : soit de manière directe en le vivant, soit par le biais d’un proche, soit parce qu’enfant on a été touché soit en faisant partie de la fratrie concernée, soit par le biais d’un autre enfant. Dans ce dernier cas, bien souvent, les adultes sont tentés de penser qu’on oublie, ou alors qu’on ne s’est pas vraiment rendu compte.

Ce n’est pas parce qu’on se met la tête dans le sable qu’on en sera préservé. Ce n’est pas parce qu’on en parle que ca nous tombe dessus. Ca, c’est de la pensée magique nuisible. Le plus gros risque que vous prenez en vous informant au moins un minimum (si vous n’êtes pas directement concerné) c’est éventuellement d’être moins maladroit (j’ai pas dit plus à l’aise) au cas où vous rencontrez un parent endeuillé et/ou de faire preuve d’un tout petit peu d’empathie.

A qui s’adresse ce blót ?

En priorité, à toutes les personnes asatrù / nordisantes / polythéistes (principalement pour des raisons de connaissances des fonctionnements rituels / divinités et autres questions pratiques non développées dans cet article. Ceci étant, si vous ne l’êtes pas et que vous souhaitez tout de même le faire, rien ne l’interdit tant que la cohérence est respectée : ainsi, on n’honore pas une divinité romaine -par exemple- pendant un blót)… qui souhaitent rendre hommage à des bébés* (voir plus haut pour l’usage de ce terme) morts, quelques en soient les raisons (je pars du principe que si vous souhaitez faire ce blót et sentez qu’il fait écho à un besoin en vous, vous n’avez probablement pas besoin ni envie qu’on rentre dans des débats sémantiques.)  Cela peut être pour des parents ou des proches, pour une de vos ancêtres dont vous savez qu’elle a vécu ce genre de situation (les histoires familiales abondant de ce type de récits, souvent transmis entre deux portes, par hasard, véritables bombes d’émotions et de chagrins encore bruts dans la mémoire de celle qui se confie, chagrins transmis, parfois de générations en générations et dont on peut ne pas savoir quoi en faire).

Qui est Frau Holda (Dame Holle) ?

Déesse plus spécifiquement germanique, elle est parfois également présentée comme étant Bertha ou Perchta (pour faire simple). On disait que les bébés provenaient du bassin de Frau Holda et que ceux qui étaient morts y retournaient. Figure bénévolente, elle les protège et les accueille, et est donc une déesse particulièrement adaptée dans le cas de ce blót.
Si vous souhaitez rester spécifiquement dans le panthéon nordique, il est possible de remplacer Frau Holda par Frigg, leurs attributs et leurs fonctions étant très proches.

◊ Déroulement du blót

En partant de la trame « New Modern Blót », j’ai choisi d’aller au plus simple, pour qu’il soit le plus facilement accessible pour tout le monde et facile à mettre en place, y compris pour des personnes n’ayant pas l’habitude de ritualiser, mais il est tout à fait possible de l’adapter pour en faire un rituel plus sophistiqué / de groupe (vous pouvez vous référer au lien dans la section des sources à la fin de l’article).
De même, je l’ai écris en pensant à celleux qui vont ritualiser en intérieur, considérant que c’est plus facile d’adapter dans le sens intérieur => extérieur que l’inverse. ;

Ce qu’il faut prévoir :

[Note : Vous n’avez pas besoin de matériel sophistiqué ou de dresser un autel compliqué, sauf si vous le souhaitez. Peut-être avez vous un espace dédié avec des photos de votre enfant et des objets spécifiques, ou une boîte dans laquelle vous avez rangé les souvenirs relatifs à son existence. Vous pouvez soit utiliser cet espace pour le blót, ou vous en servir pour dresser l’autel.]

– Une offrande pour Frau Holda (du lait, de l’hydromel ou un vin doux par exemple)
– Deux bougies (une pour l’autel, une autre qui servira pour allumer la bougie d’autel).
– De l’eau fraîche
– Deux bols : un pour verser les libations, un pour l’eau qui servira à se purifier.

1. Dresser l’autel avec des photos / objets qui évoque le(s) bébé(s), le bol à offrandes et la bougie. Si, pour une raison ou pour une autre, vous n’avez rien qui lui/leur soit directement relié, vous pouvez mettre son/leurs prénom(s) et nom(s) sur un morceau de papier, ou les nommer (par l’exemple « les enfants de ma grand-mère qui n’ont pas vus le jour » ou tout autre formulation qui vous paraît juste et adéquate par rapport à la situation) ou encore trouver un symbole qui les représente. Placer aussi un symbole qui évoque Frau Holda (quelques-uns de ses attributs : le lin (des graines de lin, un tissu ou du fil de lin…), le sureau, la faucille, le fuseau, les couleurs bleu et blanc -le brun et les tissus « bruts » sont aussi très utilisés-, des babioles représentant l’hiver ou des figurines représentant un bébé, des plumes blanches, les oies, les chats.) Si vous n’avez rien, il est aussi possible d’imprimer une image représentant Frau Holda (j’en ai compilé quelques unes ici).

2. Préparer la ou les offrandes à proximité de l’autel.

3. Préparer le bol d’eau (relativement grand si possible) et une lingette propre. Il est préférable que ce ne soit pas juste à côté de l’autel.

4. Allumer la bougie de « départ », qui servira à allumer la bougie rituel.

5. Faire trois fois le tour en cercle autour de l’autel avec la bougie de « départ » allumée (ou autour de l’espace au sein duquel vous allez pratiquer si l’autel est contre un mur) . Vous pouvez chanter ou réciter une formule / prière de bénédiction/ purification si vous le souhaitez.)

6. Rincez vous les mains et le visage avec l’eau du bol (pas besoin d’un grand nettoyage si vous êtes en intérieur, cela peut rester léger et symbolique). Essuyez-vous avec une lingette.

7. Prière / invocation à Frau Holda
(Cette prière /invocation est bien entendu une suggestion qui peut-être remplacée par la votre. J’ai mis entre parenthèse certains mots : la tournure « Notre-Dame » pouvant, selon les personnes, perçue très différemment avec des contextes différents.)

Frau Holda
(Notre) Dame du puit,
Protectrice
Des enfants non nés,
des enfants à naître,
et de ceux qui te sont retournés.
(Notre) Dame sous la terre
Gardienne des âmes,
passées et à venir.
(Notre) Dame du Foyer
Accueille en ta Demeure,
Au cœur de la nuit,
Au cœur de l’hiver, 
Ce(lle)ux qui retournent chez Toi. 
Et reçoit les au chaud sous ton toit. 
Frau Holda,
(Notre) Dame du Puit
Gardienne de la Source
(Notre) Dame sous la Terre
(Notre) Dame du Foyer.

8. Consacrez les offrandes à Holda, demandez lui de veiller sur les bébés auxquels vous souhaitez rendre hommage. Vous pouvez, si vous le souhaitez, leur transmettre un message (verbal ou choisir d’écrire quelques mots etc), leur parler, jouer un instrument de musique, chanter. etc.

9. Versez ou posez les offrandes dans le bol rituel.

* * *

TRAME DU BLÒT TÉLÉCHARGEABLE EN PDF

* * *

lectures connexes

• Concernant le deuil périnatal vous pouvez consulter notamment (ressources non exhaustives) :
AGAPA
Petite Emilie (qui concerne plus spécifiquement l’IMG, c’est-à-dire l’Interruption Médicale de Grossesse.)
Le compte insta de Julie @a_nos_étoiles
Au revoir Podcast – Animé par Sophie de Chivré

* * *
Goddess Holle: In search of a Germanic goddess
, GardenStone
La trame de blót de The Troth (consultation possible en français). La trame de blót utilisée ici est celle du « New modern », qui contrairement à ce que l’on pourrait supposer, est plus proche de ce que les sources anciennes semblent décrire, contrairement au « classic » qui est dérivé pour une bonne part de la wicca. Au risque de me répéter : rien ne vous interdit de réécrire complètement ma proposition en vous basant sur l’autre trame si elle vous parle davantage.

La prose des Bâtards (les problématiques dans le Culte des Ancêtres)

Un dernier article avant un déménagement au loin… Je ne reviendrai pas avant un bon moment. 

Il n’y a plus que la Patagonie, la Patagonie, qui convienne à mon immense tristesse, la Patagonie, et un voyage dans les mers du Sud Je suis en route J’ai toujours été en route Je suis en route avec la petite Jehanne de France. (Blaise Cendrars – La prose du transsibérien)

Le culte des Ancêtres occupe une bonne place -sinon la place principale- dans les cultes traditionnels. C’est plus ou moins visibles suivant les groupes et les axes reconstructionnistes et autres, mais au niveau francophone, on assiste à une visibilité de plus en plus importante de cette pratique. Dans la théorie, il est facile de synthétiser rapidement le principe : celui d’honorer ses ascendants. Toujours dans la pratique, il est également relativement facile de de faire quelques synthèses de pistes pour les cas « problématiques » : vous avez été adopté(e) ? Tant mieux, vous avez à la fois vos lignées adoptives et vos lignées génétiques à honorer. Vous avez eu des conflits familiaux graves / familles abusives ? Concentrez-vous sur les « bons » ancêtres et de toutes façons, vous n’êtes pas un individu sorti de nul part, vous êtes sur terre parce que des gens se sont battus, ont survécus et que tout ne tourne pas autour de vous. D’accord, tout ca n’est pas faux, loin de là. D’accord cela ouvre des pistes.

Sauf que, tout ces pistes théoriques, prêtes à bouffer, c’est de la théorie justement. Et le sujet du culte aux Ancêtres, c’est toujours de la théorie, sauf quand il s’agit des nôtres. Quand il s’agit de notre histoire -ou non-histoire- familiale. Arriver la grande gueule en bandoulière avec des réponses toutes faites, c’est ce que vous pouvez vous permettre de faire quand vous n’êtes pas concernés, parce que la théorie prend tout en compte, sauf l’énorme potentiel explosif et sensible dont cette question est porteuse.

Pour certains, il est facile de s’exciter sur une image d’Épinal de sa famille (Parfois, « les fantasmes ancestraux », ca me fait penser au délire de Gardner qui a prétendu avoir été initié et avoir reçu des infos trop trues de Dorothy Clutterbuck, histoire de rendre plus crédible et plus badass ce qu’il avait reconstruit (remarquez, il y a peut-être des wiccans tradz qui s’ignorent. Ok, j’arrête de troller) que d’oublier ses paradoxes, d’oublier ses douleurs. Quelque part, tant mieux pour eux. Sauf quand ils se servent de leur vision (qui n’est jamais qu’un prisme lacunaire : chaque fois que nous considérons quelque chose, ce n’est de toute façon qu’un prisme lacunaire. C’est pareil pour les problèmes, sauf que c’est plus difficile d’échapper à un prisme problématique que de se mettre la tête dans le sable) pour essayer de l’imposer aux autres, ou pire de les rabrouer ou de les tancer sur ce qu’ils devraient faire et ne pas faire. Franchement, quand vous n’êtes pas directement concerné, soit vous y allez mollo, soit vous fermez votre putain de gueule avec vos généralisations sur qui / quoi / pourquoi on devrait honorer ci ou mi. Idem pour les discours du type « mais si tu né/e, c’est que tu l’as choisi, donc… » (les dérives du New Âge et ses ravages : avoir ce type de philosophie n’est pas intrinsèquement un problème, ce qui est un problème, c’est quand la personne s’en sert pour donner des leçons). Les gens qui arrivent la gueule enfarinée avec des discours tout fait sur ce type de question ont généralement une famille relativement simple, ou alors c’est ce qu’il aimerait croire (un peu comme quand j’entends les généralisations idéalistes/idéalisées pour correspondre à « un certain modèle moral », généralisations du type « nos ancêtres ne divorçaient pas ». Ou encore plus fendard quand cela implique les délires du style « l’homosexualité existait moins qu’aujourd’hui ». Haha. Mais bien sûr. Les divorces existaient, ils étaient peut-être moins fréquents effectivement, mais peut-être qu’ils étaient moins fréquents parce que les lois le rendait beaucoup plus complexe, pas parce que les gens avaient une morale « tellement différente de celle de nos jours sur la question. » Tout est relatif : ce type de question demande une énorme quantité de recherches pour ne pas sombrer dans le cliché bas de gamme. Quant à l’homosexualité, je n’ai pas assez de données pour y répondre (à part que les catégorisations hétéro/homo etc, semblent dater de l’ère victorienne), alors plutôt que de dire une connerie, je me contenterai de dire que cela demande des recherches. Peut-être qu’effectivement, elle était moins fréquente qu’aujourd’hui, peut-être pas (je dis bien « fréquente » pas « visible »).

Et que fait-on, quand il n’y a pas d’histoire familiale ? Parce que vos racines n’ont cessées de bouger au cours des quatre générations précédentes, qu’il n’y a eu aucune transmission ? Quand vous avez été coupé(e) de votre histoire par des parents / grand-parents qui pour X raisons ont refusés de transmettre « le flambeau » ? Et que fait-on, quand tout ce que vous découvrez, génération après génération, c’est la répétition d’une histoire dramatique, malsaine, et pas seulement le fait d’un individu isolé ? Et que fait-on quand on n’a pas de « terre natale », quand on appartient aux déracinés, à ceux qui passent leur vie, et dont les ascendants ont passés leur vie à devoir oublier le passé ? Quand les archives qui pourraient contenir votre histoire ont toutes été brûlées par les conflits successifs qui ont déchiré une partie de l’Europe ? Parce que cette région d’où certains de vos ancêtres viennent, a été une poudrière ? Ou quand vous êtes un(e) enfant « non conforme au cahier des charges familiales » et que par le truchement de votre éducation, on vous a non seulement fait comprendre que vous ne faisiez pas partie de la famille, mais que l’on vous a violemment fermé la porte à toute coutume, langue, histoire, culture, souvenir ? (Franchement, pour moi, des gens qui se sont conduits comme ça ne méritent ni que l’on fleurisse une tombe -qu’ils ne méritent pas-, ni qu’on les honorent.). Le problème du problème, c’est quand cela ne se résume pas une seule génération, mais quand l’on constate que ce type d’histoire se répète, des parents, des grands-parents, et encore avant. Après, il ne reste souvent pas grand chose de tangible, et pour moi, il y a une différence entre honorer des ancêtres « imaginaires » et avoir des souvenirs concrets de transmission. Quand on cumule toute une suite d’axes à problèmes, ça devient velue comme thématique. On pourrait imaginer que effectivement, retrouver quelques « ancêtres référents » aide, et d’une certaine manière, c’est le cas. Mais de manière un peu grinçante, j’ai eu l’occasion de constater que très vite parfois on vient vous dire que, quand même, ce n’est pas comme vos ancêtres de sang et que pourquoi vous ne… (« Merde ! » comme dirait Léodagan.) Parfois, on peut retrouver certains ancêtres qui se pointent, et petit à petit, retisser le lien. Parfois. Pas toujours. J’avoue que quand on constate que finalement, tout est mort à ce niveau là (parce que parfois,  il ne reste plus personne de vivant, histoire de bien couronner le tout), je vous avoue que je ne sais pas comment on fait. Je n’ai pas de réponse, et j’ai pu constater que cette problématique est beaucoup plus courante qu’on ne le pense. Comme pour beaucoup de sujets : on trouve beaucoup de sources quand cela se passe bien, moins quand ca se passe mal. Et généralement, les cas où il est fait mention de situations qui se passent moins bien, soit c’est quand la personne a résolu sa problématique, soit quand elle a décidé qu’elle ne ferait pas çi ou ça pour telles et telles raisons. L’entre-deux, faut gratter nettement plus pour avoir des infos. En même temps, je ne cherche pas de réponses toutes faites, justement parce que je crois que dans ce domaine, les réponses toutes faites ne marchent pas. Oui, on peut honorer ses ancêtres de manière généraliste, mais est-ce que, en terme d’impact et de force, cela suffit à compenser les autres défaillances ? En d’autres termes, est-ce que ce rempart suffit pour contenir toute l’étendue d’eau qui par ailleurs menace ?

Par dessus le marché, le pompon, c’est quand des gens viennent vous dire QUI vous devriez prier parce que vos ancêtres venaient de là, et qu’ils ont lus deux fiches wikipédia et pensent vous apporter la civilisation. Jusqu’à preuve du contraire, laissez une personne suivre son chemin. C’est le sien, pas le vôtre. D’autant que les évolutions arrivent au fur et à mesure d’un cheminement, à vouloir les forcer, on risque juste de « braquer » la personne et à la bloquer. Ou qu’elle peut avoir d’autres processus nécessaires à explorer au préalable, quitte à se rendre compte qu’en fin de compte, telle option n’en était pas une et qu’elle s’avère finalement caduque. De plus, des histoires « d’adoptions » peuvent arriver à plusieurs niveaux : non seulement les adoptions passées mais aussi toutes les adoptions actuelles : adoption par une terre, une région, un pays. Adoption par une lignée qui nous intègre, lignées perdues qui en fait rejaillissent sous forme d’un Allié, d’un panthéon etc. Je pense qu’en terme de « culte des Ancêtres », il y a autant de solutions, de problématiques, de parcours, de fonctionnement qu’il y a de personnes.

Nature, gentille nature ?

La nature, ou plus précisément la place de la nature est souvent au coeur de la pratique païenne contemporaine.

Ceci étant -et ceci est mon point de vue personnel sur la question, je n’oblige personne à y adhérer- je trouve un peu curieux le positionnement que beaucoup semblent avoir : la nature est notre amie, notre mère, nous sommes ses enfants, et de ce fait, nous avons une relation privilégiée avec. Mmmh, oui et non. Je comprends qu’elle puisse occuper pour certain une place prépondérante, maintenant, malgré tout, cette vision me semble biaisée.

La figure de « Mère Nature » semble une vision relativement contemporaine, et remonte, si ma mémoire est bonne, au XIXe siècle. Paradoxalement, c’est aussi la période de la Révolution Industrielle, et je pense que ce n’est pas sans avoir un lien : c’est au moment où nous sommes devenus moins sujets à ses aléas que nous avons commencé, d’une certaine manière, à l’idéaliser.

Je trouve relativement facile d’idéaliser et d’adorer la Nature quand on rentre chez soi le soir et que l’on va faire ses courses au supermarché du coin. La Nature n’est pas ma Mère, ma Copine, et je ne suis pas sa fille. Ce n’est pas pour autant que je ne la respecte pas ou que je n’essaie pas de faire ce qu’il faut, à mon échelle, pour tenter de participer à sa préservation, ni que je ne l’apprécie pas et que je ne reconnais pas ses bienfaits. C’est juste que dans mon optique, se proclamer « fille de la nature » etc, parce que l’on sait utiliser les simples et que l’on vit près d’un bout de forêt, c’est à la fois une vision simpliste et anthropocentrée. Ce n’est pas parce qu’on l’aime ou qu’on fait des câlins à des arbres que la nature vous épargnera. Ce n’est pas parce qu’on suit une religion / spiritualité axée sur ses cycles que l’on acquiert un statut privilégié. Et je pense que c’est facile de le faire, parce que, que l’on vive à la campagne ou en ville, on évolue tout de même dans une civilisation qui nous permet d’avoir un filet de sureté : les infrastructures, les hôpitaux, la possibilité de ne pas être touché par la famine, de trouver un point d’eau, etc, nous permet en quelque sorte cette candeur. En se positionnant comme « enfant de Mère Gaïa » et autres appellations, on retrouve finalement une optique similaire -mais ici inversée-  à celle que décrit la Bible, dans laquelle la nature et les animaux sont placés sur terre pour le bien-être de l’humain.

Oh c’est cool, t’es trop chou l’arbre, tu es un chêne et je vais te faire un gros câlin, puis je vais te laisser une offrande, on est frangin toi et moi. Comme s’il était impensable que l’arbre puisse n’en avoir rien à foutre de notre gueule, comme si, par ce geste, on cherchait à ce que la nature nous accorde un statut privilégié. Bernique.
La Nature était là avant nous, elle sera là après nous. Je ne pense pas non plus que l’humain a détruit la nature, là aussi, c’est une vision humano-centrée : elle existera après nous [note : bien que l’écosystème actuel tel que nous le connaissons peut lui disparaître. Une terre peuplée de bactéries évoluant dans un milieu extrême peut être considéré comme « une persistance de la nature », maintenant, est-ce que c’est ce que nous souhaitons, est-ce comme cela que nous pouvons envisager les choses, c’est une autre paire de manches.] J’avais il y a un certain temps vu des photos du site de Tchernobyl : la nature a repris ses droits, s’est adaptée. Après quelques générations d’aberrations, il y a des animaux qui sont revenus. En revanche, nous continuons d’en payer le prix, et les générations futures ne seront pas plus épargnées que nous. Peut-être parce que nous vivons plus longtemps, parce que peut-être, nous sommes moins adaptables au niveau biologique. Nous avons contribué, certes, à l’extinction de centaines espèces, mais c’est surtout notre propre espèce que nous allons exterminer [note : je ne suis pas en train de dire « les autres on s’en branle », c’est une tentative de contextualisation]. Dire que l’humain va détruire la terre, en tant que tel, je suis sceptique : je ne renie absolument pas l’impact désastreux, à la fois de la surpopulation (élargissons la problématique du « il faudra nourrir tout le monde », « oui la terre peut nourrir tout le monde ») et de notre mode de vie occidental, mais je pense que nous avons surtout réussi à programmer un environnement qui nous sera invivable (en pensant de manière globale, je ne suis pas assez calée pour me lancer dans un discours géopolitique). Entendons-bien, ce n’est pas un appel pour cesser les efforts dans ce domaine ou une excuse pour s’en foutre, bien au contraire. C’est simplement une tentative pour sortir du discours et du cadre dans lequel l’humain, en bien comme en mal, se trouve au centre du paradigme, comme si nous étions l’espèce qui a le plus d’importance.

En forêt, je tends à me considérer davantage comme une invitée. Je n’ai pas de statut spécial, je n’ai rien de particulier. Je sais juste reconnaître certaines plantes, je demande si je peux prélever certains végétaux. Parfois ils disent oui, parfois non. Le fait d’être païen / animistes / ou whatever ne nous donnent aucun DROIT, tout au plus cela participe à une certaine vision, un certain idéal, mais en aucun cas, à mes yeux, cela n’implique une reconnaissance (au sens « valeur ») intrinsèque de notre être de la part de la nature, des esprits du lieux, des esprits et autres.

Quand j’avais 18 ans, j’avais lu pas mal de trucs sur les arbres nos amis etc, une sorte de discours dominant qui dit qu’en gros, les arbres sont nos potes et nous aime. Je suis tombée des nues quand, en Angleterre, j’ai pendant un été tenté de travailler avec toutes les essences présentes dans la forêt alentours. Je suis arrivée, avec mon pentacle au cou, mes dix-huit balais et mon enthousiasme en bandoulière, et je me suis mangée une tarte magistrale quand des arbres m’ont envoyée me faire foutre, ou m’ont ignoré. Quand l’esprit du Prunellier m’a dit ok pour prendre des épines, mais qu’il voulait du sang en retour. Mais hein, quoi comment ? Depuis quand les arbres nous envoient chier ? Depuis quand les esprits réclament du sang ? Bah oui. Les esprits, les arbres et les Dieux ne sont pas tenus de nous aimer et ils ne nous doivent rien. Et parfois, proposer une contre-partie n’est pas suffisante : la nature n’est pas un magasin où on paye par chèque à la fin. Elle est un écosystème composée de je ne sais combien d’organisme, dans lequel nous avons une part, sans plus. Elle n’est pas tenue de nous aimer ou de nous accorder un traitement de faveur, que l’on soit païen ou non. Les esprits ne sont pas tenus d’être sympa avec nous. Ils ne sont pas tenus de nous répondre. Et ils n’ont pas nécessairement besoin de nous, ni même envie de nous voir. Se positionner en tant que « gentil » ou « méchant », « amis » ou « ennemis » n’est qu’une manière commode pour éviter de regarder les faits en face.

(Diaporama trouvé sur tumblr, auteur(e) inconnu(e))