Il y a des déités, au hasard Loki et Odin, qui sont du genre très actives, le type qui se pointe dans la vie des gens de manière impromptue et qui vous traînent rapidement vers certains objectifs. Ils sont du genre assez explicites quand ils s’y mettent.
Il y en a d’autres, comme Frigg, qui arrivent discrètement, tellement discrètement que vous vous demandez comment faire avec eux. Frigg n’est pas très explicite. Elle ne vous demande pas de grande chose. En fait, au début, elle vous regarde vous débrouiller sans rien dire, avec un sourire en coin qui me fait irrésistiblement penser à Mme B., ma prof de français au collège. Elle vous connaît, elle vous observe, elle sait pourquoi vous tournez en rond avec cet air de carpe koï noyée dans une mare, elle sait aussi ce que vont engendrer vos tentatives, et elle connaît la signification de certaines choses auxquelles vous ne pensez pas. Mais elle ne dit rien. Elle reste là et elle vous laisse la possibilité de démarrer consciemment quelque chose ou de le refuser. Contrairement à notre duo-mortel qui débaroule et qui se fout royalement de votre consentement -au moins au début, j’ai eu l’occasion de constater que souvent, après vous avoir bien fait passé par les montagnes russes, ils vous laissent le choix. Quel choix avez-vous envie de faire, c’est une autre histoire…- Frigg attend que vous vous bougiez les fesses et dites « oui » ou « non », plutôt cohérent avec son aspect mainstream j’ai envie de dire.
Elle vous regarde, avec vos préjugés, vos galères, vos remugles, vos difficultés et votre bonne volonté enfantine. Elle ne débarque pas avec le mode d’emploi « tu vois je suis comme ça. Ca maintenant c’est terminé et tu es prié(e) de faire ça. » Non. Par contre vous pouvez vous retrouver assez brusquement à shapeshifter en Bree Van de Kamp.
L’importance du foyer propre et clean, de l’ordre.
L’extension du microcosme intérieur au macrocosme visible, à l’environnement immédiat. Il n’y a pas de réelle dichotomie entre le spirituel et le matériel. C’est souvent nous qui en mettons une, par réaction ou parce que nous continuons à aller dans le sens de ce que l’on fantasme ou de ce que l’on nous a appris. Pas plus que les déités n’aient réellement des petites cases bien définies avec des fonctions claires et distinctes. Oui, elles ont souvent une fonction principale, mais on peut retrouver cette fonction chez d’autres, et inversement. Ce n’est pas un coloriage de vitrail avec « prière de ne pas dépasser », c’est plutôt un kaléidoscope.
Je me demande si ce n’est pas pour nous rassurer que nous tentons de les englober dans une définition précise, parce que nous sommes incapables de les saisir dans leurs globalités.
On devrait être reconnaissant de ne pas être seul à prier une déité. Ce n’est pas un hasard si certaines déités « fortes » ont pas mal de suivants, ce n’est pas -uniquement- la fascination qu’elles exercent ou leurs attributs, ou une question de classe. C’est une question de répartition des charges. On n’est jamais que des humains, certes, sympa, pas trop cons, etc, mais même dans leurs « bons » côtés, les dieux sont terrassant, écrasant. On parle beaucoup des dangers du « horsing » parce que ci, ca, gna gna gna. Mais leurs énergies pures et simples peuvent nous disloquer, nous briser. En tout cas nous faire violemment réaliser que si on comprend 0,1% de la déité, c’est déjà très bien. Et pour rappel, l’amour est surtout redoutable et flippant. Dixit la personne qui a dit « X. a un amour abomiffreux » au lieu « X. a un humour abomiffreux ». Bref.
Pour établir un parallèle avec la Photographie, le Foyer constitue la focale du travail. Si la focale n’est pas bien réglée, vous ne pouvez pas faire de taf correct. Après avoir maîtrisé à la perfection, après avoir intégré les bases, les règles, les différentes étapes, vous pourrez vous en éloigner. Sinon, c’est juste du patouillage brouillon au petit bonheur la chance.
Le Foyer est le centre, après vous pouvez remonter les fils, un après après l’autre. Fils qui s’avèrent très vite connectés entre eux. Et là, tiens, la déesse du Foyer devient plus complexe, et sans parler de leurs rapports entre eux.
Frigg comme déesse de cohésion et du lien social ?
Oh oui. Je me suis fait assez tirer l’oreille et réprimander pour mon comportement, avec, une fois ces histoires de discipline et de ménage posées, pas mal de consignes sur ce que j’avais intérêt à faire. Elle ne file pas de modus operandi, elle vous laisser vous creuser les méninges, mais les vieilles habitudes et les schémas de pensées moisies, on vous les étiquette rapidement comme « à jeter ».
Marrant, mais elle a beau rester en retrait, je la soupçonne très fortement d’être « celle qui ouvre la porte ». Quelque chose comme « bon, ca va, tu as compris les bases, maintenant, on va te faire comprendre les choses de manière globale. Et si je t’entend dire un seul gros mot, je te lave la bouche au savon. C’est ma parentèle, c’est moi qui décide, et tu as intérêt à apprendre les bonnes manières, espèce de fille de ferme mal dégrossie. » Très sincèrement, quand elle est comme ça, même le Vieux ne la ramène pas, non, il préfère fumer sa pipe peinard au coin du feu et vous regarder genre « ah moi j’y suis pour rien, tu te démerdes gamine, c’est pas mes oignons. »
Frigg, Mère-de-Tout
Ces histoires de Frigg comme « Mère-de-Tout » que l’on pose souvent en miroir de l’aspect Père-de-Tout chez le Vieux, je le vois pas relié directement à ces histoires de maison/foyer/bébés/maternité/maman. Frigg est plus subtile, parce que les quelques déesses-mères que j’ai pu croiser, je les trouve plutôt étouffantes et totalitaires, prompts à vous faire subir un lavage de cerveau. Je comprend pas pourquoi on fait toujours de ces déesses des figures sympas, cool et gentilles, alors que sincèrement, elles ont un côté monstrueux qui ferait presque passer Fenrir pour un gros loup en peluche.
C’est davantage lié au côté « régulation des liens sociaux » : commencer à bosser avec Frigg, c’est un peu se retrouver obligé d’avoir une vision plus nuancée et de considérer les déités de la mythologie nordique (au moins pour les Ases) dans leur ensemble. Vous ne pouvez plus dire « bon, alors toi je t’aime pas, donc je te laisse de côté, je ferai semblant de pas te voir. » parce qu’alors vous vous allez vous retrouver avec le goudron et les plumes. Ou des ennuis juste dans le champ d’attribution principal de la déité en question, juste pour que vous puissiez avoir l’opportunité de réfléchir et d’être moins psychorigide. Vous suivez ou vous ne suivez pas. Mais ouais, vous ne pouvez pas faire le tri en disant « celui ca va, celui là je veux pas. » C’est à prendre ou à laisser.
On peut le voir comme de la coercition, mais cela n’en est pas. C’est même très cohérent si l’on considère les notions d’iinnangard et d’utangard. Vous êtes dedans, ou vous êtes dehors, il n’y a pas de milieu confortable. Ceux qui ont la voix de Cersei Lannister dans la tête ont gagné : Frigg est une reine. Et je peux vous dire qu’une reine qui ne dit rien signifie beaucoup de choses, mais pas forcément qu’elle ne soit ni dangereuse ni puissante. Ne pas oublier que la Maîtresse du Foyer est celle qui détient les clés.