La communauté païenne est-elle dangereuse ?

Note : J’utilise le terme « communauté(s) païenne(s) », abrégé(s) en CP au fil de l’article, pour désigner les personnes, groupes, associations et autres gravitant autour du (néo)paganisme. Ceci afin de simplifier les propos.
Il est question ici de la France, pour des raisons évidentes.
Je remercie chaleureusement les deux personnes qui ont accepté de relire cet article et m’ont fait part de leurs observations. Le sujet pouvant être épineux, je souhaitais avoir un avis extérieur avant toute publication. 

[A lire avant d’entrer dans le vif du sujet]

⇒ Cet article trouve son origine dans un rapide échange avec deux personnes, échange au cours duquel une des personnes expliquait avoir toujours fait preuve de la plus grande méfiance avant de « mettre son pied quelque part dans la CP », tandis que l’autre, ayant une approche différente, demandait quelle pouvait être la nature de ces dangers.
Après avoir répondu rapidement, je me suis demandé « pourquoi ». Pourquoi est-ce une question que l’on se pose / doit se poser ? Qu’est-ce qui dans la façon dont les choses fonctionnent, dont les gens se croisent peut augmenter -ou parfois réduire- les risques ? Comment présenterai-je le tout si le moi d’il y a vingt ans venait me poser cette question ?

⇒ Il a des airs « Captain Obvious », parce qu’il a été écrit dans le but d’essayer d’expliciter les mécanismes qui sous-tendent la/les CP, d’en comprendre les bases de fonctionnement et de ce qui en découle. A aucun moment, il n’est destiné à être autre chose que généraliste, et ne prétend pas être une vérité complète et absolue. J’ai essayé de l’écrire en restant factuelle autant que je pouvais.

⇒ Je ne rentre pas dans les détails de tout ce qui « peut survenir dans les cas les plus dramatiques » ni ne donne d’exemple ouvertement explicite quant aux abus. Pourquoi ? Parce que certaines personnes ayant vécu des traumas similaires peuvent les voir se réactiver, d’où la mention de plus en plus fréquente de « trigger warning », qui est un minimum quand on aborde certains sujets, et que le but, justement, c’est de faire de ce pavé une lecture accessible au plus grand nombre.

⇒ Bien que quelques exemples de red flags soient glissés au fil des mots, le but n’est pas ici, spécifiquement, d’en dresser une liste.

⇒ « Tu fais chier, c’est un pavé ton truc. » Oui, vu la nature du sujet, je me voyais mal le couper en deux ou trois parties. (Ça aurait été parfait pour du putaclic remarquez).

1/ Considérer la base

Premièrement, et pour essayer de poser une base, le socle des communautés païennes ne repose pas exactement sur le même que celui, disons d’une communauté se regroupant autour du tricot.
S’il y a, et qu’il doit y avoir, des bases communes au niveau du comportement admissible / non admissible, puisque nous évoluons au sein de la même société (occidentale du XXIe siècle) et que nous sommes régis par les mêmes lois (enfin, en principe), les raisons de la présence d’une personne et les sujets abordés sont bien évidemment très différents.

Il y a, chez les païens, non seulement une foultitude d’histoires et de parcours personnels mais on y aborde également des sujets qui sont plus généralement passés plus ou moins sous silence, parce que non pertinents ou alors seulement spécifiques dans certaines communautés « de niche ». J’explicite :

→ Pour reprendre l’exemple du tricot, il n’y a pas besoin d’aborder des thèmes comme la mort (bien que le sujet puisse éventuellement, on peut l’imaginer, survenir de manière épisodique pour X raisons.) Ce n’est pas ce qui va préalablement orienter les personnes VERS la communauté « tricot », même s’il n’est pas possible d’exclure que cela puisse être le cas pour certaines personnes ou que cela ait joué un rôle dans leur parcours.

→ D’autres communautés qui vont aborder certains de ces thèmes (par exemple celui du deuil périnatal) vont le faire spécifiquement dans cette optique. Il est rare que des individues (oui, au féminin) aillent spontanément vers ce type de communauté sans y être confrontée (de manière personnelle / directement autour d’elle / en tant que professionnelle), même si cela arrive, mais dans les faits, c’est globalement -et malheureusement- plutôt rare.

a) Des sujets liminaux

Plus qu’une seule communauté, il est pertinent ici de distinguer grossièrement deux parties dans la CP : celle qui se regroupe davantage autour des axes de la sorcellerie / pratique magique et celle qui est plus axée dans une relation -parfois non personnelle- avec les divinités. L’étendue des sujets abordés couvre un très large spectre. Ce n’est pas la même chose d’essayer de reconstruire le plus factuellement possible une religion antique, de pratiquer certaines formes de sorcellerie ou de magie avec possiblement des rituels spécifiques autour d’une initiation / de pratiquer les Arts divinatoires et j’en passe.
Sachant que dans les faits, ces « axes » ne forment pas des isolats impénétrables et qu’il est possible de cocher plusieurs catégories. Certaines des problématiques et des risques exposés dans cette partie concernent un peu plus spécifiquement la CP « sorcière », bien que la partie « polythéiste » puisse être également concernée.

Au cœur des communautés « sorcière » et « polythéiste », on retrouve toute une série de sujets liminaux par rapport à la société globale dans laquelle nous évoluons. On ne parle pas de sport(s) ou d’aquarelle, on parle de transe, de possession, de divinités, de leurs présences, de trauma, de recherche de guérison, de communication avec la nature, de sexualité, de prise d’enthéogènes, d’empouvoirement… pas vraiment des choses dont il est possible de discuter avec le tout-venant entre deux portes. Aussi passionnants soient ils, ce ne sont pas des sujets anodins et sans conséquences.
Nous venons tous avec nos bagages personnels, notre vécu, et nous avons chacun.e notre propre cheminement, des sujets auxquels nous sommes davantage sensibles que d’autres.

Le corollaire plus sombre de ces aspects liminaux, c’est notamment toute la thématique liée aux gourous, aux abus de toutes sortes et à la possible fragilité / crédulité de certaines personnes, par exemple en raisons de traumas passés.
Enfin, il existe aussi des gens qui viennent à emprunter ces chemins, soit avec des intentions qui les rendent possiblement nuisibles pour d’autres, soit qui au fur et à mesure de leur pratique, de leurs fréquentations et de toute une pléthore d’autres facteurs, vont devenir dangereux. Ce n’est pas le cas le plus fréquent, mais croire que ces personnes n’existent pas est une erreur.
Il y a ceux qui mentent et vont essayer de fourguer de la camelote (physique ou spirituelle) et qui le font sciemment dans le but d’arnaquer (tous ne font pas partie de la CP, certaines personnes profitant « juste » de l’étiquette pour le marché juteux qu’elle attire. Cependant et bien qu’étant externes, ils font partie des problèmes que l’on peut rencontrer « de l’intérieur ».)
Parfois, certains aspects peuvent être perçus comme sulfureux, par exemple la pratique de la nudité rituelle (skyclad) et dans les faits, n’être pas problématique au sein d’un groupe. Parce que toustes celleux qui en font partie sont clean sur la question et ont un comportement approprié. Pour autant, le groupe peut être « clean » sur la question de la nudité rituelle, mais pas sur d’autres plans, ce qui peut s’avérer tout aussi problématique, mais qui sera peut-être, au moins dans un premier temps, moins perceptible.
Pour reprendre l’exemple du skyclad, d’autres groupes peuvent effectivement avoir en leur sein une personne qui a tendance à « mater », voire à commenter ensuite à guichet fermé. (Je n’évoque pas de problématique plus explicite, parce que je pense que le tableau de potentialité est suffisamment évocateur.) Une des réactions peut être de se dire « oh ben ça va, si ça n’en reste qu’au matage, y’a pas de quoi fouetter un chat ». Alors, vous pouvez être concerné.e et ne pas vous en soucier, ce qui est votre liberté la plus stricte. La ou les personne(s) concerné.e.s peut/peuvent être très mal à l’aise voire plus. Cela peut aussi, plus sournoisement, progressivement vous « insensibiliser » à des comportements qui ne sont pas acceptables.
J’explique, en reprenant l’analogie de la communauté de tricot évoquée plus haut.

→ Dans un club de tricot, en général, on ne se met pas nu.e pour tricoter. Dans certains rituels au sein de certains groupes de la CP, c’est une possibilité. Déjà, les « bases » de ce qui est « acceptable » ne sont pas les mêmes.
Qu’on le veuille ou non, il y a déjà un « brouillage » par rapport à ce que l’on peut connaître dans la vie de tous les jours. Alors si ces moments, où nos points de repères habituels ne servent plus, s’avèrent en plus entachés de comportements ou de problématiques qui n’ont rien à y faire, le risque est de considérer cela comme étant en fait « normal » et non pas « problématique ». Et d’accepter de plus en plus de situations qui seraient autrement perçues comme largement abusives / risquées avec éventuellement une escalade dans la gravité des situations abusives.
L’autre aspect risqué, c’est de n’avoir jamais été en position de questionner / de ne pas s’être rendu.e compte qu’il y avait de facto un énorme problème, et de finir par se retrouver en position où l’on peut devenir la personne abusive.

J’ai pris l’exemple du skyclad, parce que dans les années 2005, c’était vu comme très très sulfureux. D’autant qu’on ne trouvait pas d’informations ou très peu, et qu’il y avait peu d’endroits où poser des questions ou avoir un back-up pour checker si c’était sain et normal ou pas. Ce n’est bien sûr qu’un exemple, et ce type de schéma peut s’adapter à bon nombre de pratiques.

En parlant de pratique, une autre question se pose : où s’arrête une pratique saine et où commence une pratique malsaine ?
Si on se cantonne à l’aspect purement humain, c’est déjà compliqué de savoir à quel moment une relation devient toxique (qu’elle soit amoureuse, professionnelle…) ou quand nous sommes dans une situation de violence (notamment quand la pratique est banalisée par le milieu au sein duquel on évolue, je pense par exemple aux pratiques de management de certaines entreprises), alors comment on fait quand on est en présence de pratiques comme les rituels de possession ? Les transes ?
Comment sait-on si c’est vraiment le rituel qui part en couille ou si c’est la personne qui va utiliser ce biais pour profiter de son niveau d’influence sur les autres ? Comment fait-on vérifier ? Par qui ? Il n’y a pas d’instances, de spécialiste(s) neutre(s) avec un diplôme. On peut trouver des personnes non directement concernées et extérieures à la question, mais là aussi, on les trouve comment ? Par le bouche-à-oreille ? Dans une communauté plus développée et différente ?
Je n’ai pas de réponse toute faite à ces questions, mais cela fait partie des aspects à garder en tête et d’y réfléchir, sans doute avant même de commencer à rencontrer un groupe ou autre. Comme me l’a soufflé très justement une des personnes qui a relu cet article : « quand on commence à se poser des questions, ne pas évacuer les choses du revers de la main. On ne se questionne jamais à partir de rien. »

Enfin, et si je ne rentrerai pas dans les détails au fil de cet article, oui, la pratique de la magie / des rituels / du seiðr… de ce que vous voulez, n’est pas sécuritaire. Oui, on peut se ramasser des bricoles. Même des rituels censés être positifs / bénéfiques pour une communauté peut avoir « un bug » pendant qu’il est performé et devenir l’inverse de ce qu’il était censé être.
Certaines pratiques semblent plus risquées que d’autres, mais dans tous les cas, le risque zéro n’existe pas.
D’où, je pense, l’importance d’essayer de comprendre, de décortiquer, de pouvoir échanger, questionner, évoluer… Quand on arrive, et que l’on a peu ou pas de points de repères fixes, comment on fait pour savoir si une pratique est légitime ? Si c’est vrai ? Si le groupe est sain ou pas ?

 

2. Un « monde païen » qui n’est pas « du monde »

Pour ne pas alourdir mon pavé, je ne retracerai pas l’histoire de figures comme celle de la Sorcière, ni ne raconterai l’importance du groupe et des risques qu’il y a/avait à se trouver « à la marge » ou à être « une minorité », supposant que chacun.e possède un minimum de représentation quant à ces sujets.
Tout ceci pour dire qu’il y a déjà une double caractérisation dans la CP sorcière et non sorcière : premièrement une variation plus ou moins grande par rapport à la norme* sociétale française contemporaine (descendant directement des Lumières, qui n’a quand on creuse, de Lumières que le nom…) mais aussi un certain historique d’opposition par rapport à cette norme*. [« Norme » désignant ici « ce que l’on retrouve le plus souvent / le postulat généralement présupposé faute d’informations complémentaires.]
Par « opposition » je n’entends pas ici un rapport de lutte (bien qu’il puisse coexister), mais plutôt deux constructions différentes qui bien que pouvant être proches, se distinguent de manière marquée, un peu comme dans un tableau. Que ce soit de manière consciente ou inconsciente, on note souvent cette marque dans de nombreux ouvrages ou témoignages : la marque d’une différence ressentie, de la recherche d’autre chose, d’une conscience que d’autres ne semblent pas avoir.

Cette opposition, couplée à d’autres facteurs qui ne sont pas propres à la CP (notamment l’impossibilité de pouvoir/devoir expliquer une partie de la nature du groupe / du rite, l’attitude potentielle de la police / des gendarmes, la peur d’être pris.e de haut -fondée ou non-, la difficulté d’arriver à porter plainte, la complexité des fonctionnements judiciaires,  et j’en passe) peut finir par favoriser un processus d’isolement.
Ce processus va par exemple, contribuer (je dis bien contribuer, parce que ce n’est pas un seul facteur qui entre en jeu) à empêcher les gens d’agir face à certains types d’abus voire de violence(s). Plutôt que de faire intervenir des gens situés à l’extérieur du groupe (type médecins, police, etc), le groupe essaiera de régler « ça » de manière « privée » (quand il le fait). Je souligne que ce n’est évidemment pas uniquement une question « de volonté » parce qu’en fonction des potentielles réactions que l’on a rencontrées au cours de nos vies, du soutien ou de l’absence de soutien, des peurs et des enjeux potentiels qui seront différents pour chacun.e, mais aussi des processus d’emprise, cela dépasse la simple question lâcheté / courage telle qu’on la voit souvent décrite de façon binaire.

Et si nous, nous nous considérons comme étant « du monde », parce que par exemple, nous sommes simplement « polythéiste soft », c’est le monde qui considérera que nous n’en sommes pas. On peut trouver différents degrés d’acceptation, validation et autres, mais à un moment donné, plus ou moins haut, cela risque de coincer (je pense notamment aux systèmes judiciaires, aux enquêtes sociales et j’en passe). Les structures et le poids des PC actuels ne nous permettant pas -encore- d’être autre chose qu’une minorité non influente. 

Des structures extrêmement mutables et diverses

Rares sont les groupes stables et nombreux. Ils sont même davantage des exceptions plutôt que la règle. La majorité des groupes existant se composent d’un petit nombre de personnes qui évoluent librement sans structure fixe ni de cadre légal, (a contrario d’une association qui doit avoir un statut enregistré et des membres désignés pour les fonctions administratives) leur longévité est variable.
On retrouve aussi quelques très rares associations françaises.
Ainsi, on a des personnes majoritairement isolées (voire des petits groupes informels) éclatés sur le territoire, avec des poches de concentration suivant les zones / type de pratique.
On a donc, nonobstant la diversité des pratiques religieuses / spirituelles / magiques, une constellation de groupes qui peuvent avoir des politiques de base et des règles de fonctionnement très différents les uns des autres, pour le meilleur comme pour le pire. En général, la plus universelle concerne la non admission de personnes mineures (ou alors pour le cas d’association, avec une autorisation signée de la part d’un représentant légal). Pour tout le reste, c’est à l’avenant et pas forcément toujours simple d’avoir certaines réponses, notamment parce que la majorité… n’ont pas forcément eux même idée de quelle attitude adopter sur place si tel ou tel truc ne se passe pas du tout comme prévu.

Ces groupes sont généralement relativement difficiles à trouver si on vient de l’extérieur et qu’on essaie de démarrer par une classique recherche google, même si ces dernières années, le développement des réseaux sociaux a fait changer la donne : ainsi le bouche-à-oreille se fait aujourd’hui énormément par ce biais : groupes FB, pages insta et autres. Certains sont publics, d’autres très confidentiels.

Ces groupes évoluent rapidement que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Les gens vieillissent et n’ont plus le temps de prendre part à des événements spécifiques, ou alors déménagent. La structure aussi bien que les participants changent. Retrouver la trace d’un ancien groupe, des traces de son existence, des archives ou avoir des confirmations d’autres personnes peut s’avérer une gageure.

Enfin, beaucoup sont surtout des groupes d’ami.e.s qui pratiquent ensembles et n’ont donc logiquement pas ou rarement d’autre « porte d’entrée » que le cercle de relation.

En fonction des sujets / thématiques / axes de pratique, il est légitime que certains type de groupes n’aient pas nécessairement vocation à accueillir du monde de manière ouverte, ni à être trouvable : de ce point de vue-là, il n’est pas possible de comparer un groupe à visée reconstructionniste et un groupe qui pratiquerait certaines formes de magie.

3. Des identités polymorphes

Les réseaux sociaux mentionnés au paragraphe précédent sont souvent une donnée très appréciable autant pour les nouvelles générations -qui ne sont plus seul.e.s dans leur piaule à planquer un livre sous le matelas en cachette- que pour les plus anciennes, puisqu’on a la possibilité d’échanger, de confronter nos points de vue, de pratiquer nos rites et nos rituels, bref qu’on a la possibilité d’accéder, ne serait-ce que virtuellement, à une communauté relativement diversifiée pouvant partager informations, ressources, et tant d’autre choses positives.

Cependant, toute médaille a son revers, et c’est devenu aussi plus difficile de savoir exactement où on débarque ; même en sachant que popularité et qualité ne vont ni de pairs ni ne sont antagonistes, c’est une véritable jungle -spécialement quand on débute- pour parvenir à trier l’information et y dénicher ce qui est pertinent par rapport à son cheminement personnel. La qualité des contenus est très variable, non seulement d’une personne à une autre, mais aussi suivant les sujets abordés : une personne offrant du contenu en ligne qui peut être très bon sur certains axes, moins sur d’autres.

Enfin, sur les réseaux, il est facile de changer d’identité. On efface tout et on recommence avec une nouvelle interface, un nouveau design et un nouveau pseudo.
C’est aussi possible IRL quoique moins fréquemment : comme la « population » change, que des nouveaux arrivent, on se fait oublier, on monte un nouveau groupe, un nouvel atelier et pouf. La dynamique des groupes, sans parler des « Amicales de Pratique », fait qu’il faut bien connaître les gens pour avoir des informations fiables sur qui se trouve derrière tel ou tel nouveau truc qui a fait pop.

Par manque de place, je ne détaillerai pas le fonctionnement des nouveaux réseaux sociaux, de plus en plus spécifiques, avec un algorithme difficilement compréhensible et dont les règles changent extrêmement fréquemment, rendant quasi-obligatoire la fréquence toujours plus importante non seulement des publications / vidéos mais également différents types d’échanges avec sa communauté / d’autres internautes. D’où la multiplication de tendances en cascade mais aussi des clashs plus ou moins vrais, pour générer de l’affluence. Pourquoi en parler ? Parce que ces nouveaux réseaux favorisent et contribuent à créer une fausse sensation d’intimité avec le compte suivi/ /  des sensations de comparaisons délétères pour l’estime de soi / des phénomènes de harcèlements prenant des proportions toujours plus importantes et j’en passe.

Concernant l’identité sur internet / dans la CP, si les raisons de base sont tout à fait compréhensibles et prudentes, à savoir une certaine discrétion -hautement nécessaire pour certaines professions-, la volonté de ne pas afficher publiquement ses croyances, choix personnels, etc. Il ressort néanmoins que c’est difficile d’avoir un aperçu juste et complet du nombre de pratiquant.e.s, de la composition d’un groupe, de l’identité personnelle (« civile » ou « paganisée » du moment qu’elle est stable, c’est à dire qu’elle ne change pas tous les quatre matins) et donc de pouvoir clairement se prémunir de certaines personnes abusives / de les empêcher de revenir après une éventuelle éviction d’un groupe / d’éviter à des gourous et autres de remonter leur arnaque.

En cas de problèmes du type abus, harcèlement, violences et j’en passe, cela complexifie considérablement les signalements ou les recours (sauf dans les associations où il est normalement possible d’en référer au bureau qui doit, en principe, prendre les mesures appropriées.)
En général, une personne équilibrée dans sa pratique et qui essaie d’avoir un fonctionnement sain ne ressent pas le besoin de changer de pseudo, ou de se créer une nouvelle identité tous les trois mois ou après un énième pétage de câbles, et ce de manière répétée, en effaçant à chaque fois les traces de l’ancienne. (Je ne parle pas ici de la personne qui s’inscrit sur un forum ou sur un discord avec un pseudo, et qui en utilise un autre sur FB.)

La/les CP sont de petites communautés, et plus rares sont celleux qui y restent de manière « active » pendant une voire deux ou trois dizaines d’années. Rares tout court sont celleux qui s’impliquent pour faire quoi que ce soit de concret (se rendre à un blot, organiser un groupe IRL, un atelier en ligne…) me dit-on dans l’oreillette.
Conjugué à une partie de ce qui a été énoncé au point b) un monde païen qui n’est pas « du monde », on peut également assister à un processus d’intériorisation extrêmement toxique : autrement dit, on ne parle pas à « l’extérieur » des problèmes que l’on rencontre dans la CP, pour ne pas « menacer » cette même communauté. (Et en même temps, quand on voit déjà le sort réservé aux enfants qui dénoncent l’inceste et aux mères protectrices, on a envie de dire « comment vous voulez faire ? »)
A noter que ce n’est pas « un choix » qui est « conscient », mais plutôt une zone bien grise au milieu d’une autre zone bien grise. Si on parle, comme il n’y a pas de « politique officielle païenne » ou « d’instances régulatrices », c’est un peu « au petit bonheur la chance » en fonction d’où on parle, de qui on est, et des « bonnes relations », ainsi que de la nature même de ce qui peut être problématique (et là on en revient au point a) des sujets liminaux).

Domestiquer le Tigre

Avec les années qui passent, je ne peux m’empêcher de dérouler le fil et de repenser au début de ma fréquentation de la sphère dite païenne.
D’abord, au lycée, quand il n’y avait pas internet à la maison et que les sources d’informations pour répondre à ce sentier de traverse qui me taraudait de plus en plus était le supermarché de livre et ses deux pauvres bouquins, basiquement, Cunningham et des ouvrages racoleurs et criards, bourrés de conneries et de rituels fast-food. Et de rentrer avec Cunningham sous le manteau dans la maison familiale, et lui trouver une planque.

Puis il y eut les forums. Les balbutiements de ce qui n’était pas encore une blogosphère florissante, au moins en terme de quantité. Quelques forums, axés pêle-mêle magie blanche, et beaucoup de wicca. Les mailing lists yahoo et Sacred Texts. Peu ou pas de blog il y a maintenant un peu plus de 10 ans. Enquêter et montrer patte blanche sur des forums pour trouver des personnes dans notre région, les longues discussions (parfois explosives ou houleuses) sur certains sujets.
Et petit à petit, avec les réseaux sociaux, l’apparition des blogs personnels, puis avec la prolifération des sites « clés en main », tout s’est développé. Et du côté anglophone, c’est devenu encore plus flagrant. Il y a eu et il y a, sinon des ponts, du moins des modes qui se propagent et qui sont reprises à bon compte.
Je me souviens de la création du premier Café Païen Parisien, vers 2006-2007 (avant que je ne me décide de quitter un certain forum, parce que je trouvais que ça commençait à sentir la réglementation paranoïaque).

Alors, aujourd’hui, tout est beau, tout est bien, tout est bon : nous avons des chartes de tolérance, des discussions sans fin sur l’éthique, des cafés païens, des groupes de discussions, une masse d’échoppes, des services de voyance et de prêtrises, des associations, des groupes, des forums. des blogs à n’en plus finir avec des photos d’autels et de tirages en veux-tu en voilà. C’est génial non ? Et quand on pense que « Outre-atlantique, c’est encore mieux ». (Non, Outre-atlantique ce n’est pas mieux. C’est différent, leur culture est différente, ils ont leurs points forts mais aussi de grosses difficultés. Nous avons les nôtres. Sauf si icelle souhaite que l’on devienne « de culture nord-américaine ». Mais notez, c’est peut-être déjà le cas.)

Ce que je vois surtout, c’est l’uniformisation de ce monde. C’est le déplacement progressif des préoccupations initiales qui peu à peu se domestiquent pour être mieux perçues, mieux acceptées par le tout venant, par la société. Une superficialité où on se préoccupe d’abord de savoir quel design on va donner à son blog (qui se ressemblent tous de plus en plus, et je ne parle pas d’Instagram), de sa charte graphique pour bien se démarquer par rapport à notre cible et sur quelle fréquence poster pour avoir un meilleur web-rank. Tous ces articles proposant 10 techniques pour machin, 5 façon de trucs : toutes sortes de conseils que l’on retrouve dans n’importe quel site de conseil pour apprendre à monnayer son blog ou en faire un job lucratif. Ne pas mettre trop de signes, parce que les gens ne lisent pas, etc. (Note au passage : intrinsèquement, vouloir vendre ses tirages ou faire son échoppe n’est pas négatif. Ni même positif d’ailleurs, ce qui est plus discutable, c’est quand tout est fait, dit, écrit dans l’optique de se vendre, de faire son self-branding uniquement dans ce but. Je pense à l’exemple d’un blog anglophone qui le jour où elle s’est mise à vivre de son blog, a petit à petit adapté son discours, le poliçant. Le fait que Etsy ait banni une partie de ce type de service quand ils sont rentrés en bourse – parce que je suppose que ça ne faisait pas sérieux ou crédible pour les investisseurs- c’est plutôt révélateur.)

On en est là. Vers une simplification qui sera au final nuisible pour tous : on se dirige vers l’enfermement du tigre dans une cage de cirque pour montrer aux petits enfants qu’il n’y a rien à craindre de lui. Vers une médiocrité facile mais bankable. Cette transformation est une forme de mutilation : la Sorcellerie comme subversion, oui mais pas trop. Un peu comme l’achat de produits bio et une vie plus saine, mais seulement si c’est trouvable au supermarché du coin, et que surtout cela ne remette pas trop en question l’impératif moderne du monde occidental actuel : consomme et ferme-la. Parce que plus le temps passe, plus je trouve que toutes les règles du marketing et de la pub, on les retrouve dans ce soit disant Monde Païen, un peu trop rose, avec ses segments établis, ses petits clivages, ses engueulades, ses petits groupes. Pas question de faire dans le transversal : choisissez votre cible, votre alignement et restez-y. Ouais, c’est plus simple.
Tout le monde peut tout faire, tout le monde peut être tout ce qu’il veut, tout le monde peut se guérir, il suffit de s’abonner à une newsletter et faire 10 minutes de méditation par jour.
Et puis si vous vous rendez compte que ça marche pas, effacez tout, choisissez un autre pseudo, décrétez que vous retournez à vos racines premières et que vous changez de voie pour une autre plus authentique, plus « vous ». (Formulation courante et Ô combien intéressante).
Copinez, histoire de vous créer un réseau, et ceux qui ne sont pas vos copains-copines, blacklistez les. C’est vrai quoi, on veut fédérer la Communauté païenne pour qu’elle ait une vrai existence, mais seulement entre potes. Avec le temps, je me dis que les groupes de pratiques / cercles etc, ce n’est pas étonnant s’ils ont plus ou moins tous une durée de vie aussi brève : ce n’est pas une structure rituelle qu’on leur demande, c’est carrément la constitution d’un cercle d’amis. Qui doivent être d’accord sur tout. Il y a une attente démentielle sur la création d’un cercle de pratique, alors forcément, au bout d’un moment, ca pète. Sauf rare exception. Alors il y a les psychodrames, les mélo et les racontars. Avant de recommencer.

On attends des groupes païens pour pratiquer, mais rares sont ceux qui veulent bien marcher 30 minutes depuis une gare RER pour aller à un blòt. Et seulement si ca n’interfère pas avec la soirée hype du mois.
Sur combien de blogs on a l’impression qu’il y a plus d’efforts faits au niveau de l’iconographie qu’au niveau du contenu ? Sur combien le discours est lissé, désinfecté et consensuel parce qu’il ne faudrait surtout pas choquer ? (Sauf s’il s’agit de déballer ses propres remugles pour en profiter pour régler ses affaires personnelles.)
Il y a des blogs pour parler de Spirit-Work, des pour parler de Tarot, de Sorcellerie, de tout ce que vous voulez… mais attention, on va dire que ce sont des archétypes parce que, bien évidemment, il ne faudrait surtout pas passer pour un dingue. On tire les carte, mais attention, uniquement comme outil de développement personnel, parce qu’il ne faudrait pas effrayer un éventuel client ou ouvrir une boîte de Pandore et ses côtés flippant.

Intrinsèquement, pourquoi pas, sauf que la question derrière, pour moi c’est : pourquoi ce besoin tellement viscéral de se sentir accepter par une société que l’on dit (et que l’on sait) mourante et malade. Pourquoi renier la puissance terrible de tout ce qu’elle contient, qui peut être aussi bien une formidable force qu’une arme terrible ? Parce que ca ferait trop peur ? Mais si le fond du chaudron fait peur, alors pourquoi vouloir le touiller ?
On gueule à juste titre quand on voit l’état du monde, on s’insurge devant une déchetterie à Brocéliande, mais dans le fond, est-ce que toute cette esthétisation extrême n’est pas une forme de destruction ?
C’est finalement assez révélateur de notre époque : on veut tout avec 100% de sécurité. Du chamanisme safe que tout le monde peut pratiquer sans risque, des dieux archétypaux histoire de pas se prendre de coup de pieds au cul, une nature sauvage sans son aube de carnage, une mondialisation à condition que tout le monde devienne pareil. On est à l’opposé de ce que Peter Grey décrit dans Apocalyptic Witchcraft.
Tout est posé en terme binaire : d’un côté il s’agit de se présenter comme « des madames-monsieurs-tout-le-monde », regardez, on ne mange pas les enfants. Et de l’autre, on nous sort des caricatures. Alors, pas de place pour l’altérité, l’entre-deux ? Entre le blog bien léché avec sa com’ marketing de witchwashing et le blog illuminé sans queue ni tête, point de salut ? Qu’on ne s’y trompe pas, il y a aussi du bon dans ce foisonnement. Tout n’est pas à jeter, et toutes les modes n’ont qu’un temps. Mais certains points ressortent parfois de manière criante et il y a aussi des risques.

Finalement, le consumérisme finira sans doute par faire ce que le passé n’a pas réussi : il nous domestiquera si rien ne change. Il y aura juste une nouvelle niche marketing.

Note : la piste de musique associée :(Copyright Yann-Fãnch Kemener – Notre Injustice envers la Mort – Chants de la passion)

http://www.larenarde.fr/images/notre_injustice_envers_lamort.mp3

 

 

Que dire, que faire ?

tumblr_nfrlv4oTir1sm9wdio1_400Je réalise que je suis restée absente bien longtemps de ce blog. Des choses à faire, un emploi du temps pas franchement souple et très chargé, la vie réelle très demandeuse (et la vie réelle est une priorité par rapport à l’autre, qui ne présente que des fragments).

Les réactions de ces 48 dernières heures me laissent profondément perplexe. J’ai appris tout ce qui se passait par une amie qui m’a envoyé un lien. Ma première réaction a été de me demander si mes amis allaient tous bien. En mixage instantané avec, il faut bien le dire, une colère noire. Je ne suis pas le genre de personne qui pleure, je suis plutôt le genre qui se durcit et analyse les choses, et qui parfois, peut prendre des décisions ou dire des choses assez terribles. Donc généralement, je me tais, et j’attends que tout redescende.

Une copine à moi se trouvait dans un des lieux touchés. Elle était sous le choc, et quand je l’ai appelée, je me souviens de sa voix, hachée, de ses larmes. « Oh Aranna, j’ai eu tellement peur. » Et sa voix, qui me dit « Mais tu m’appelles, tu as tellement d’autres soucis, d’autres choses à faire, je sais que les appels internationaux coûtent cher et que tu es en difficultés. » Non copine, peut-être que oui, je galère, que oui ma vie a pris une tournure bien étrange depuis des mois, et peut-être même des années. Mais non, là, tout de suite, je me fous éperdument de savoir combien mon opérateur téléphonique me prendra pour cet appel. Je suis juste reconnaissante de savoir que tu n’as rien, que tu es en sécurité. Que tous les gens que je connais et que j’aime vont bien.

Et puis toutes ces réactions. Et je repense, sans trop savoir pourquoi, à ce vieil article, écrit il y a presque 3 ans, au moment d’un massacre dans une école américaine. Le retour de la Cailleach et la question de la compassion publique.

J’y repense à cause de tout ce que je vois défiler, sur différentes plates-formes, de la part de différentes personnes, aux bords politiques parfois diamétralement opposés. Je m’interroge sur ce classement que je vois fleurir sur ces réseaux. Ceux qui ressentent le besoin de montrer leur compassion et leurs prières (ce qui n’est pas nécessairement négatif, loin de là, et je parle déjà de cette réflexion dans l’article.) Et parfois, de manière un peu twistée, sur les jugements par rapport aux autres réactions.
Je ne suis pas le genre de personne qui étale ses sentiments. Mon éducation a très profondément ancré en moi une certaine distance et un certain refus des réactions publiques dithyrambiques. « Cela ne se fait pas. » On n’étale pas sa colère, sa douleur, sa peine, tout son remugle intérieur devant autrui. On le garde ou on l’exprime avec mesure et justesse. Je ne prétendrai pas avoir toujours sacrifié à cet impératif, mais il laisse sa marque dans mes manières de réagir. Et donc, je me demande, quel besoin de juger les réactions d’autrui : la personne qui réagit avec colère, pourquoi ne pas la laisser exprimer sa colère ? La personne qui réagit avec peine, pourquoi ne pas la laisser exprimer sa peine ? Et, la personne qui, en apparence, ne réagit pas, pourquoi en tirer des conclusions hâtives et la placer arbitrairement dans une case ? Pourquoi ne pas tout simplement se dire que les réseaux sociaux ne sont que des apparences, et que cette volonté de ne pas faire d’amalgames devraient peut-être aussi d’appliquer à tous ceux dont la ou les réactions diffèrent de la « nôtre ». ¨Puisqu’au final, c’est souvent de cela dont il s’agit. Celui ou celle qui ne s’inscrit pas dans le schéma majoritaire se voit souvent pointé du doigt, ou tancé. Directement ou indirectement. Mais, dans le fond, pourquoi ? On juge certaines réactions indignes, indécentes, non tournée vers la compassion, d’autres larmoyantes… J’en comprends intellectuellement bien les différents processus, les différentes motivations. Il n’en reste pas moins que la question que cela m’évoque c’est : « est-ce que cela veut dire que, dans le fond, il n’existe pas de places pour les réactions non normées ?  » Est-ce que, dans le fond, cette manière de réagir et de très vite condamner, n’est pas quelque peu ambivalente ?
Surtout quand cela se base sur des réactions de quelques lignes sur des réseaux numériques. Est-ce que ces incompréhensions, ces abîmes qui se creusent en quelques lignes et créée un fossé abyssal, ne sont pas justement ce qu’il y a de plus dangereux ? Je veux dire, au final, que ce soit par un silence obstiné ou par le spectre des différentes réactions, tous ces gens réagissent, tous ces gens ont été touchés, parce que tous, sont concernés ou potentiellement concernés. N’est-pas le plus important ? Accepter que l’autre puisse ne pas être pareil que nous, dans sa manière d’appréhender le monde, d’interagir avec lui et d’y réagir, dans les mouvements que nos actes font résonner dans la toile, n’est-ce pas cela, accepter autrui ? Alors, dans ces procédures de condamnation, n’est-ce pas justement le contraire qui s’exprime ?

Personnellement, je pense que les prières ne servent pas à grand chose de concret. Mon passé catholique (et très fervent, puisque j’ai tout de même, plusieurs années durant, envisagé d’entrer dans les ordres) me fait dire que non, la prière n’est jamais inutile. En tout cas, si des personnes en ressentent le besoin, quelque soit la manière dont ces prières s’expriment ou leurs croyances éventuelles, alors, qu’elles le fassent.
Mon côté pragmatique et mon intérêt pour le survivalisme en revanche, me fait dire que pleurer les morts, c’est joli mais ca ne préserve pas les vivants.
Que faire alors ?
Et bien, pour y répondre sans entrer dans la politique ou d’autres débats plus ardus (ce qui n’a jamais été le but du blog. En outre, l’analyse politique me dépasse largement), j’aurais quelques suggestions.
Chacun et chacune peut, en fonction de sa personne (on se connaît mieux que quiconque, et chaque personnalité, différente et unique, peut apporter quelque chose. Il n’y a jamais d’inutilité totale dans l’action concrète) acquérir des savoirs et des connaissances qui pourraient s’avérer utiles.
Par exemple, en faisant une formation de secourisme (même l’auto-formation, avec des vidéos, des livres et des connaissances médicales basiques, telles qu’on les apprenaient chez les Guides peut s’avérer utile). En resserrant les liens avec les personnes que l’on apprécie, même plus ou moins (tant qu’elles ne sont ni nuisibles ni toxiques), avec son clan (qu’il soit de sang, de cœur, de pensée, etc…). Et essayant de ne pas créer de clivages inutiles, y compris avec ceux qui ne partagent pas votre pensée politique ou religieuse. (Non, claquer la porte à un ami d’enfance en lui disant « tu es un sale facho » n’apporte rien de constructif. Par contre, si les deux personnes sont intelligentes, il peut y avoir un consensus : « ok, nous savons que nous ne partageons pas les mêmes idées. D’un commun accord, nous ne aborderons pas quand nous sommes en présence l’un de l’autre. », c’est dèjà éviter les clivages et les éloignements. Et nota bene : J’ai choisi un exemple, cette démonstration est à remettre dans tous les contextes et tous les schémas. J’aurais aussi pu dire « si vous êtes nationaliste, ne claquez pas la porte à un ami d’enfance sous prétexte que… » etc.)
Ensuite voici une suggestion qui sera sans doute perçue comme plus « polémique », mais  qu’il m’apparaît important de mentionner, justement parce qu’on voit rarement ce type de proposition fait dans l’optique que j’ai en tête.
Apprenez à vous servir d’une arme par exemple. Tout simplement parce que, dans les clubs de tirs, on n’apprends pas seulement à tirer, mais aussi à charger et à décharger une arme. On est en mesure de voir si elle a le cran de sécurité enclenchée ou non. On apprends aussi à ne pas se blesser stupidement avec si jamais un jour on doit en manipuler une (ne serait-ce que pour en repousser une). Ces suggestions ne sont pas faites dans un but d’appel à la violence, (et j’apprécierais de ne pas voir circuler sur internet des citations tronquées de cet article) : c’est une question de pragmatisme. Elles sont proposées dans un esprit de bon sens. Si un jour quelqu’un devait braquer une arme sur vous, et que vous êtes en mesure de voir que le cran de sécurité n’est pas retiré, alors peut-être serez-vous en mesure une autre décision que si vous ne pouviez pas le vérifier. Par exemple.
Apprenez quelques techniques de survivalisme, comme retirer des menottes faites avec des liens en plastique. Etc.
Encore une fois, tout ceci n’est pas dit dans un but belliqueux, bien au contraire. Je pense qu’être en pleine possession de ses moyens et savoir que l’on possède quelques connaissances pouvant éventuellement nous permettre de réagir de façon à maximiser nos chances et celles de nos proches évite aussi de se sentir totalement démuni et agressif gratuitement. (Au passage, il me paraît primordial de bien recentrer le propos : non je ne suis en aucun cas en train de sous-entendre que les victimes l’ont bien cherché et que s’ils avaient su ci ou mi, ils auraient eu la vie sauve, etc. Non. Ni de près ni de loin. Je suis juste en train de proposer des actions potentiellement constructives.)
C’est en tout cas l’optique que j’ai toujours essayé de mettre en pratique dans ma vie : apprendre, apprendre, apprendre. Accroître ses connaissances et ses savoirs-faire dans les domaines les plus divers (du jardinage à la broderie en passant par les langues et le survivalisme), la connaissance sert toujours. En revanche, se rendre compte de son ignorance dans un moment critique, ca fait mal.

La parole, les serments, les actes.

Au cours de ces deux-trois dernières années, où des changements pour le moins drastiques ont eu lieu à différents niveaux de ma vie (pour ne pas dire tous), j’ai eu l’occasion d’approcher différents groupes et la chance de participer à toutes sortes de rituels, de blots et de sumbel. Comme toujours, je trouve que les généralisations sont sinon dangereuses, au moins délicates. Elles peuvent induire en erreur et conduire autrui à se faire une image faussée ou des présupposés pas forcément valables, et finalement s’avérer néfastes sur le long terme. Il convient donc, comme toujours, de considérer que mes réflexions et mes positions sont relatives à mon expérience, et qu’elles peuvent par conséquence être proches des vôtres ou au contraire diamétralement opposées, ce qui n’en invalide intrinsèquement aucune : elles rendent juste compte de sommes de vécus différents.

La parole d’un individu est une donnée importante dans l’Asatrù. (Un terme que j’ai toujours un peu de mal à employer pour qualifier ma pratique, pour différentes raisons. Néanmoins, il faut reconnaître que, à l’heure actuelle, s’il fallait n’utiliser qu’un seul terme pour essayer de baliser et de qualifier l’ensemble de ma pratique, autant en terme de perception que de rites,ce serait encore celui qui conviendrait le mieux. Je ne suis pas franchement une polythéiste éclectique, pas vraiment « néo-païenne » dans le sens où ce terme semble globalement utilisé à l’heure actuel, et encore moins wiccane et compagnie.)

Lors d’un sumbel, on considère que tout ce qui va être dit doit être considéré avec prudence, puisque que ces mots ont un impact direct sur l’Örlog, et que de manière générale, la destinée (le wyrd) de tous les participant/e/s est liée. En d’autres termes, pour simplifier le schéma, disons qu’une personne s’engageant à faire quelque chose en un temps donné, ne s’engage pas seulement individuellement, mais qu’elle engage toutes les personnes participants à ce sumbel. Cette façon de considérer l’individu, non comme un élément entièrement indépendant libre d’agir à sa guise, mais comme élément intégré et ayant une part de responsabilité dans la vie de son groupe (le kindred ou le clan) et de ses membres pouvant s’expliquer directement dans la structure des anciennes sociétés germaniques et nordiques, (mais aussi, quoique de manière différente, dans bons nombres de sociétés et de structures anciennes) où la survie de tout le groupe dépendait de la solidarité et des capacités d’action de chacun de ses membres. (Notamment au vu des conditions de vie particulièrement difficile en raison du climat, de la pauvreté de la terre et de toute une série de facteurs. Pour rappel, les conquêtes des vikings -qui ne se nommaient pas ainsi eux même, pas plus qu’ils ne devaient utiliser le terme Asatrù- étaient à la base en partie motivées par la nécessité de trouver des terres cultivables.)

Prêter est un serment n’est pas un acte anodin, il s’agit d’un contrat verbal passé entre plusieurs partis : la personne qui prête serment, l’éventuelle autre personne (ou les témoins / membres du clan qui se retrouvent impliqués indirectement mais qui doivent s’assurer que le serment est rempli) et les Dieux. Une des suivantes de Frigg, Vár, est la gardienne des serments. La personne qui n’honore pas l’un de ses serments peut être punie, soit par les membres du clan, qui sont alors en droit de considérer que cette personne n’est pas honorable et ne peut donc pas demeurer dans le clan, mais aussi par les Dieux (c’est aussi une des fonctions de Vár.) La question corollaire qui vient donc généralement immédiatement en tête c’est « oui, mais comment fait-on si, pour une raison indépendante de notre volonté, on se retrouve dans l’incapacité d’honorer un serment ? » Et bien, c’est à vous qu’il incombe de réfléchir auparavant à cet éventuel cas de figure et à formuler votre serment de manière à ce qu’il comporte une porte de sortie pour ne pas se retrouver en porte-à-faux en cas d’incapacité.
Vu par le prisme actuel, on pourrait considérer que cette façon d’agir est semblable à ces petites notes écrites en tout petit à la fin des contrats d’assurance, et que quelque part, c’est un sauf-conduit bien commode. C’est à la fois vrai et faux. Vrai parce qu’à partir du moment où il est possible de trouver une échappatoire, on peut se demander quelle est valeur du serment initial. Il est alors commode de trouver une manière de se défiler pour ne pas avoir à remplir le serment tel qu’il a été passé au départ. Et bien, tout est dans la manière et dans le contenu : si vous passez un serment qui n’implique pas un réel effort de votre part, qui n’est pas un challenge, et que vous évaluez d’office qu’il y a une grande probabilité pour que vous vous rabattiez sur votre porte de sortie, alors ne passez pas de serments. D’autre part, cette « porte de sortie » ne devrait pas être une solution de facilité pour les paresseux mais devrait être tout aussi exigeante, quoique différemment.
Sinon, votre serment n’a pas de valeur. Et si vous ne remplissez pas vos engagements, alors vous n’avez pas de paroles, et si vous n’avez pas de paroles, alors vous n’avez pas de valeurs. Cela peut paraître froid et abominablement cynique, mais il faut garder à l’esprit que, remis dans les contextes anciens évoqués plus haut, toute cette organisation avait un sens capitale. Une petite structure sociale isolée, si elle voulait survivre, ne pouvait pas se permettre certaines libertés que nous pouvons aujourd’hui nous permettre sans plus de dommages que quelques egos froissés et une ou deux jérémiades sur Facebook.

Ceci étant dit, il me paraît important de préciser quelques points qui viendront nuancer quelque peu le propos. Premièrement, la notion du respect de la parole (et autres) ne voulaient pas dire que les ruses et autres fourberies étant inexistantes et que la subtilité étant inconnue, bien au contraire, il y a un certains nombres d’exemples dans ce sens, autant dans les Eddas que dans les Sagas. Voilà pour le premier point.

Le second point, et pas le moindre, étant que le fait de prêter un serment est tout à fait facultatif. Le serment, bien qu’il soit fréquent, surtout dans certaines occasions particulières, comme un sumbel funéraire, par exemple, n’est en aucun cas une obligation et il est bon de s’en souvenir. Le fait de lire et de se documenter est une très bonne chose, mais cela ne se substitue pas à l’expérience ou au vécu. Je me souviens avoir lu une quantité de choses avant d’assister à mon tout premier rituel de groupe, qui s’est avéré être un sumbel funéraire. Auparavant, j’avais bien lu que, effectivement, le degré d’alcoolémie allant croissant, les participant/e/s avaient tendances à se lâcher, tant au niveau des toasts portés qu’au niveau des éventuels serments prononcés. C’est une chose de le lire dans une étude universitaire qui se base en partie sur Beowulf, c’en est une autre que d’y assister (quelques siècles après Beowulf quand même…) et de constater que, outre le degré d’alcool, il y a aussi une énergie très particulière qui se dégage et un effet d’émulation qu’il peut être important de garder en mémoire, avant de faire une éventuelle connerie parce qu’on aura été tenté de rentrer dans la compétition de « kiki-kala-plulongue ».

Certains individus ont les serments faciles et en prêtent souvent, pour des motifs variés et pour des raisons qui les regardent. D’autres le font beaucoup moins aisément et toujours en choisissant leurs formulations avec une précaution de jésuite. Pourquoi ? Les serments peuvent être une arme à double tranchant, et le destin peut s’organiser de tel manière que tenir tel ou tel serment sera de l’ordre de l’impossible (parfois malgré « la police d’assurance ») ou parce que, même pour pouvoir respecter le serment en ayant recours aux « clauses d’urgences », cela vous conduira à agir d’une manière qui amputera vos capacités d’action ou bien aura un coût humain (en terme d’amitiés, de possibles, de tout ce que vous voulez) terrible. En résumé, même avec les intentions les plus sincères, les plus gentilles et les plus pures, vous n’êtes pas à l’abri de vous retrouver dans une merde noire, et qu’il n’est pas impossible que cela donne aux Dieux une latitude d’action sur votre vie dans des domaines ou par des moyens que vous n’auriez peut-être pas souhaité. Leurs agendas ne sont pas les nôtres, même si au bout du compte, il se peut que nous soyons finalement contents de notre sort, un peu de prudence et de bon sens ne nuit jamais.

Maintenant une autre question, peut-être un peu plus polémique, ou à tout le moins, sujette à débats. Une personne qui refuserait au maximum de prêter des serments est-elle lâche ? Une personne qui en prête beaucoup a-t-elle plus de valeurs ou est-elle juste un mariole de plus ? (Ceci étant une formulation volontairement polémique, répondant à des choses que j’ai pu lire sur la Toile, et pas forcément en français.)
Tout est une affaire de mesure, de contexte et d’actes quotidiens.
Dans mon optique -qui rappelons le, ne concerne que moi – à force de prêter des serments, on peut finir par en arriver à des obligations contradictoires (c’est d’ailleurs un ressort largement employé dans un certains nombre d’œuvres de fictions, et ce cas se retrouve fréquemment dans l’histoire) où pour en honorer un, on est obligé d’en bafouer un autre. Après une personne peut aussi en prêter pour des motifs disons relativement secondaires (quoique comportant une part de challenge pour cette personne, et cette notion est relative et propre à  chaque individu : cela dépend aussi bien de ses conditions de vie, que de ses moyens, de sa situation de famille, de santé, etc…)  -voulant par là montrer sa bonne foi- et elle est mesure de les achever les uns après les autres, sans jamais se retrouver prise au piège de ses mots. C’est un choix personnel, et tant qu’il est rempli, les interrogations que cela peut soulever relèveront davantage de l’interprétation de chacun que d’une démarcation claire et nette de « cela a été accompli », « cela n’a pas été accompli ».

Ceci étant, tout ceci laisserait sous-entendre qu’en dehors du serment, il n’y a rien. Hors, le serment est au départ quelque chose de très spécifique qui n’est employé que pour sceller certains accords particuliers ou pour des événements sortant de l’ordinaire. Au quotidien, et dans la majorité des cas, le comportement d’un individu devrait au maximum être en adéquation avec sa parole. Pour parler de manière plus simple : si vous dites que vous allez faire quelque chose, faites-le. Ne promettez pas constamment que vous allez faire quelque chose pour ne jamais le faire.
Dans les concepts scandinaves (et très probablement germaniques, mais je n’ai pas épluché tout ceci, je me garderai donc de toute affirmation catégorique), l’âme se divise en plusieurs parties, et l’une d’elle est le reflet de la force personnelle de l’individu, de sa valeur et de ses capacités personnelles¹. Le fait de manquer à sa parole porte préjudice à ses capacités, et le fait de rester fidèle à sa parole la renforce. En partant de ce principe, on pourrait s’interroger sur la force personnelle et la réelle capacité d’action d’une personne qui a besoin de recourir à des serments de manière fréquentes. A contrario, j’ai tendance a considérer qu’une personne dont les actes sont dans la majorité des cas en accord avec sa parole ne ressentira pas forcément la nécessité de prêter serment pour assurer l’autre partie (ou les Dieux) de sa volonté et de sa valeur, puisque ses actes parlent déjà pour elle au quotidien, le recours à une « garantie supplémentaire » est donc encore plus facultatif.

 1 : Apparemment, ce concept peut être rapproché de la notion de hamingja, mais étant donné que je manque de temps pour démêler sérieusement ces concepts en me fiant à des sources claires et sérieuses, j’ai choisi de ne pas les nommer, quitte à éditer plus tard l’article.