L’Ancien et le Nouveau

Histoire d’un renoncement et d’un recommencement

tumblr_mg4fofA9701r3wk1zo1_1280Il y a une dizaine d’années, j’avais la possibilité d’avoir une pratique “de luxe”, et je ne mesurais pas à quel point les mots “de luxe” ne sont pas vain.
Je savais bien que c’était une chance, mais quand je relis un de mes anciens articles sur la question, si je trouve que le propos est pas faux, il y a quand même un truc qui me saute au yeux :

Je n’ai pas été foutue de l’appliquer à moi-même.

Voilà. Les gentils conseils de la Aranna de 2013, qui t’explique que Faire une offrande pendant que l’on prépare le repas, ou garder une bougie dans la cuisine et l’allumer à ce moment là, ils sont pas totalement hors sol mais il y a un paramètre qu’ils ne prennent pas en compte.

La frustration.

La putain. De. Frustration. Frustration d’avoir la sensation de se perdre. Frustration parce qu’on se languit de son ancienne pratique, de son ancien cadre, de ses anciens luxes (comme avoir un toit stable au-dessus de la tête et ne pas bouger tous les 3 mois ; avoir ses affaires à portée de main ; dormir la nuit), de son ancienne liberté, de tout.

Pendant presque sept ans, j’ai couru et soupiré en pensant à cette ancienne liberté de pratiquer. Et pendant que j’avais cette liberté de pratiquer, je soupirais en pensant à la vie que j’ai maintenant (sauf quelques détails dont je me serais passée, mais on ne choisi pas tout. Non, non, on n’a pas commandé à l’Univers avec panier en 1-clic certains paramètres. Et non c’est pas sensé être chose que “shit happens”. Du moins pas pour moi.)

C’est pas tout de savoir en théorie comment on peut concilier vie on-ne-peut-plus-ordinaire et vie spirituelle, encore faut-il arriver à y trouver l’épanouissement. Je parle pas d’être tous les jours cui-cui les petits oiseaux, mais au moins, ne pas avoir l’impression d’être pris dans le cercle infernal du hamster dans sa roue.
Hors, rien que le terme “vie quotidienne” c’est un vaste sujet : c’est quoi le quotidien ? Faire ses courses ? D’accord, rien que dans ce petit détail, il y a une foultitude de paramètres qui vont faire que l’aune de ce qu’est “le quotidien” d’une personne » sera “le luxe” de l’autre.
Alors en soit, on le sait. On sait qu’il y a “toujours pire ailleurs” et oui, on est toujours le privilégié de quelqu’un. Sauf que se dire “il y a encore pire que moi”, je ne pense pas que ca aide une personne non plus. Ca ne lui change pas son cercle infernal personnel d’un coup de baguette magique, et si ca pouvait être utilisé comme prévention contre le burn-out, ca se saurait.

Pour en revenir à nos moutons, c’est pas tout d’avoir des paramètres quotidien, encore faut-il y trouver nos propres bornes, nos propres structures, notre propre bidule intérieur qui fait qu’on arrive encore à y faire pousser les p’tites fleurs de notre vie rituelle / spirituelle / dévotionnelle, bref vous voyez ça en fonction de votre axe de pratique. Par exemple, personnellement, je n’arrive pas à faire certaines connexions si je ne suis pas absolument seule chez moi. De même, me dire “j’ai 1h, je n’ai qu’à faire ça”. Ca fonctionne pour passer un coup d’aspirateur, pas pour créer le pont et la déconnexion mentale suffisante pour arriver à faire un truc rituel.

Un autre point de détail : trouver l’épanouissement dans la vie quotidienne, ca dépend aussi de son axe de pratique, option bonus, des divinités que vous honorez plus particulièrement (ca c’est ma caillasse personnelle dans la chaussure).

Odin, la popote, c’est pas trop son truc. (Sauf quand il s’agit d’aller tirer pépouze l’hydromel de Gunnlöð. Et Gunnlöð au passage.)

Et ca, je crois que ca a été le plus dur.

Ca, et mon amour des recherches et des heures passées dans la lecture de 10 000 ouvrages, l’écriture, l’écriture, l’écriture. Sauf qu’aujourd’hui, la plupart du temps, quand j’ai du temps pour lire, le soir (moment sacré de la journée !), j’en profite pour lire de la fiction, en français, parce que je suis tellement cramée de mes journées, d’une part, que c’est pas la peine de lire en anglais.
D’autre part, quand je lis des trucs intéressants (Bisou le Vieux) en anglais etc, ca me donne deux envies : écrire, et faire des recherches complémentaires. Et je me souviens que je n’ai pas le temps et qu’il faut faire des choix.

Est-ce que c’est ma nouvelle pratique qui m’a trouvée ou est-ce que c’est moi qui ait trouvé ma nouvelle pratique ?
Bonne question, je n’en sais rien. Je dirais un peu des deux. Quand on est dans une certaine optique, on tend à être plus réceptif à des divinités correspondant à cette optique. Et quand des divinités correspondent à des optiques qui nous parlent, on se rapproche un peu plus de leur axe dévotionnel.

Il m’a fallu du temps pour accepter le changement : pour cesser de vouloir absolument revenir un type de pratique comme celle que j’avais avant d’avoir une cohorte de petits champignons (les petits champignons, c’est du spore !). Si la vie est parfois comparée à une succession de saisons, on peut considérer qu’il y a aussi des saisons dans la vie spirituelle (et pas uniquement quatre, ni dans l’ordre canonique).

Se pose aussi la question de “après avoir vécu une énorme épreuve de passage, est-il simplement possible de revenir à la personne que l’on était avant ?” Et d’ailleurs, pourquoi le faudrait-il ?

Du coup, aujourd’hui, si mon chemin dévotionnel avec Odin n’est pas terminé, au quotidien, l’expression de ma pratique et tout ce qui la sous-tends, ca passe par une quantité de trucs très friggesques.

Mais ceci est une autre histoire.

[Source de l’image inconnue, trouvée sur tumblr il y a une décennie et sauvegardée dans mes dossiers.]

[Deuil périnatal] Trame de blót à Frau Holda pour honorer un bébé décédé

[TW : comme le titre le précise explicitement, j’aborde ici la question du deuil périnatal, et propose une trame de blót pour honorer leur mémoire. Si vous êtes concerné.e.s et que vous ne souhaitez pas lire le blabla, je vous invite à scroller jusqu’au gros titre ◊ Déroulement du blót ◊]

Le 15 octobre est la journée mondiale du deuil périnatal, c’est à dire concernant les bébés morts avant la naissance (MFIU, IMG, etc) ou dans la période juste après. Cette période varie en fonction des définitions, celle de l’OMS par exemple, comporte les décès entre la 22e semaine d’aménorrhée et le 7e jour après la naissance.
Évidemment qu’ici, on s’en fout, parce qu’on ne va pas débattre autour des limites médicales pour la prise en charge, ou toutes les questions administratives qui vont avec.

⇒ * Dans le texte de l’article, j’emploie le mot bébé pour des raisons de simplification stylistique. Il est bien évident que le stade d’avancement biologique n’est pas la même pour un fœtus de 5SA et un bébé mort à 7 jours de vie. Cependant, la question des ressentis / vécus est hautement sensible en plus d’être très complexe, variable d’une personne à l’autre et parfois même pour la même personne. Bref, merci de me coller aucun « biais idéologique » parce que j’emploie directement ce terme au fur et à mesure des lignes qui vont suivre. Si pour une raisons ou une autre il vous gêne, remplacez-le. *

Ce que je vous propose ici, c’est une trame de blót à Frau Holda pour ceussent qui souhaitent honorer la mémoire de ces enfants. Ce n’est qu’un axe, et il va de soit que vous pouvez le reprendre et l’adapter en fonction de votre besoin.

Pour faire simple :

Ce n’est pas un sujet « populaire » au sens où typiquement ca fait fuir tout le monde, mais c’est malheureusement un sujet auquel on peut toustes être confronté : soit de manière directe en le vivant, soit par le biais d’un proche, soit parce qu’enfant on a été touché soit en faisant partie de la fratrie concernée, soit par le biais d’un autre enfant. Dans ce dernier cas, bien souvent, les adultes sont tentés de penser qu’on oublie, ou alors qu’on ne s’est pas vraiment rendu compte.

Ce n’est pas parce qu’on se met la tête dans le sable qu’on en sera préservé. Ce n’est pas parce qu’on en parle que ca nous tombe dessus. Ca, c’est de la pensée magique nuisible. Le plus gros risque que vous prenez en vous informant au moins un minimum (si vous n’êtes pas directement concerné) c’est éventuellement d’être moins maladroit (j’ai pas dit plus à l’aise) au cas où vous rencontrez un parent endeuillé et/ou de faire preuve d’un tout petit peu d’empathie.

A qui s’adresse ce blót ?

En priorité, à toutes les personnes asatrù / nordisantes / polythéistes (principalement pour des raisons de connaissances des fonctionnements rituels / divinités et autres questions pratiques non développées dans cet article. Ceci étant, si vous ne l’êtes pas et que vous souhaitez tout de même le faire, rien ne l’interdit tant que la cohérence est respectée : ainsi, on n’honore pas une divinité romaine -par exemple- pendant un blót)… qui souhaitent rendre hommage à des bébés* (voir plus haut pour l’usage de ce terme) morts, quelques en soient les raisons (je pars du principe que si vous souhaitez faire ce blót et sentez qu’il fait écho à un besoin en vous, vous n’avez probablement pas besoin ni envie qu’on rentre dans des débats sémantiques.)  Cela peut être pour des parents ou des proches, pour une de vos ancêtres dont vous savez qu’elle a vécu ce genre de situation (les histoires familiales abondant de ce type de récits, souvent transmis entre deux portes, par hasard, véritables bombes d’émotions et de chagrins encore bruts dans la mémoire de celle qui se confie, chagrins transmis, parfois de générations en générations et dont on peut ne pas savoir quoi en faire).

Qui est Frau Holda (Dame Holle) ?

Déesse plus spécifiquement germanique, elle est parfois également présentée comme étant Bertha ou Perchta (pour faire simple). On disait que les bébés provenaient du bassin de Frau Holda et que ceux qui étaient morts y retournaient. Figure bénévolente, elle les protège et les accueille, et est donc une déesse particulièrement adaptée dans le cas de ce blót.
Si vous souhaitez rester spécifiquement dans le panthéon nordique, il est possible de remplacer Frau Holda par Frigg, leurs attributs et leurs fonctions étant très proches.

◊ Déroulement du blót

En partant de la trame « New Modern Blót », j’ai choisi d’aller au plus simple, pour qu’il soit le plus facilement accessible pour tout le monde et facile à mettre en place, y compris pour des personnes n’ayant pas l’habitude de ritualiser, mais il est tout à fait possible de l’adapter pour en faire un rituel plus sophistiqué / de groupe (vous pouvez vous référer au lien dans la section des sources à la fin de l’article).
De même, je l’ai écris en pensant à celleux qui vont ritualiser en intérieur, considérant que c’est plus facile d’adapter dans le sens intérieur => extérieur que l’inverse. ;

Ce qu’il faut prévoir :

[Note : Vous n’avez pas besoin de matériel sophistiqué ou de dresser un autel compliqué, sauf si vous le souhaitez. Peut-être avez vous un espace dédié avec des photos de votre enfant et des objets spécifiques, ou une boîte dans laquelle vous avez rangé les souvenirs relatifs à son existence. Vous pouvez soit utiliser cet espace pour le blót, ou vous en servir pour dresser l’autel.]

– Une offrande pour Frau Holda (du lait, de l’hydromel ou un vin doux par exemple)
– Deux bougies (une pour l’autel, une autre qui servira pour allumer la bougie d’autel).
– De l’eau fraîche
– Deux bols : un pour verser les libations, un pour l’eau qui servira à se purifier.

1. Dresser l’autel avec des photos / objets qui évoque le(s) bébé(s), le bol à offrandes et la bougie. Si, pour une raison ou pour une autre, vous n’avez rien qui lui/leur soit directement relié, vous pouvez mettre son/leurs prénom(s) et nom(s) sur un morceau de papier, ou les nommer (par l’exemple « les enfants de ma grand-mère qui n’ont pas vus le jour » ou tout autre formulation qui vous paraît juste et adéquate par rapport à la situation) ou encore trouver un symbole qui les représente. Placer aussi un symbole qui évoque Frau Holda (quelques-uns de ses attributs : le lin (des graines de lin, un tissu ou du fil de lin…), le sureau, la faucille, le fuseau, les couleurs bleu et blanc -le brun et les tissus « bruts » sont aussi très utilisés-, des babioles représentant l’hiver ou des figurines représentant un bébé, des plumes blanches, les oies, les chats.) Si vous n’avez rien, il est aussi possible d’imprimer une image représentant Frau Holda (j’en ai compilé quelques unes ici).

2. Préparer la ou les offrandes à proximité de l’autel.

3. Préparer le bol d’eau (relativement grand si possible) et une lingette propre. Il est préférable que ce ne soit pas juste à côté de l’autel.

4. Allumer la bougie de « départ », qui servira à allumer la bougie rituel.

5. Faire trois fois le tour en cercle autour de l’autel avec la bougie de « départ » allumée (ou autour de l’espace au sein duquel vous allez pratiquer si l’autel est contre un mur) . Vous pouvez chanter ou réciter une formule / prière de bénédiction/ purification si vous le souhaitez.)

6. Rincez vous les mains et le visage avec l’eau du bol (pas besoin d’un grand nettoyage si vous êtes en intérieur, cela peut rester léger et symbolique). Essuyez-vous avec une lingette.

7. Prière / invocation à Frau Holda
(Cette prière /invocation est bien entendu une suggestion qui peut-être remplacée par la votre. J’ai mis entre parenthèse certains mots : la tournure « Notre-Dame » pouvant, selon les personnes, perçue très différemment avec des contextes différents.)

Frau Holda
(Notre) Dame du puit,
Protectrice
Des enfants non nés,
des enfants à naître,
et de ceux qui te sont retournés.
(Notre) Dame sous la terre
Gardienne des âmes,
passées et à venir.
(Notre) Dame du Foyer
Accueille en ta Demeure,
Au cœur de la nuit,
Au cœur de l’hiver, 
Ce(lle)ux qui retournent chez Toi. 
Et reçoit les au chaud sous ton toit. 
Frau Holda,
(Notre) Dame du Puit
Gardienne de la Source
(Notre) Dame sous la Terre
(Notre) Dame du Foyer.

8. Consacrez les offrandes à Holda, demandez lui de veiller sur les bébés auxquels vous souhaitez rendre hommage. Vous pouvez, si vous le souhaitez, leur transmettre un message (verbal ou choisir d’écrire quelques mots etc), leur parler, jouer un instrument de musique, chanter. etc.

9. Versez ou posez les offrandes dans le bol rituel.

* * *

TRAME DU BLÒT TÉLÉCHARGEABLE EN PDF

* * *

lectures connexes

• Concernant le deuil périnatal vous pouvez consulter notamment (ressources non exhaustives) :
AGAPA
Petite Emilie (qui concerne plus spécifiquement l’IMG, c’est-à-dire l’Interruption Médicale de Grossesse.)
Le compte insta de Julie @a_nos_étoiles
Au revoir Podcast – Animé par Sophie de Chivré

* * *
Goddess Holle: In search of a Germanic goddess
, GardenStone
La trame de blót de The Troth (consultation possible en français). La trame de blót utilisée ici est celle du « New modern », qui contrairement à ce que l’on pourrait supposer, est plus proche de ce que les sources anciennes semblent décrire, contrairement au « classic » qui est dérivé pour une bonne part de la wicca. Au risque de me répéter : rien ne vous interdit de réécrire complètement ma proposition en vous basant sur l’autre trame si elle vous parle davantage.

Que dirais-tu à une personne qui souhaite se consacrer à Odin ?

Suite à un commentaire sur un des posts relatifs au Odin project que j’essaie de poster tous les jours brièvement sur instagram, il y a eu une remarque intéressante qui a finalement fait jaillir une réflexion qui demande d’être un peu plus poussée.

Qu’est-ce que je dirais à une personne qui souhaite se consacrer à Odin ?

[Edit : Alors, ce n’est pas un article exhaustif. (Je n’ai plus le temps et puis vous êtes par ailleurs aussi tout à fait libre d’écrire un blog).
Il sert simplement à poser une sorte de cadre d’interrogation en soulevant deux-trois points. Il ne vise pas à refaire le point détaillé sur les différents aspects d’Odin, le fonctionnement des dieux nordiques et tout le bazar qui a déjà été abordé sur ce blog plusieurs fois. Si vous êtes nouveaux/nouvelles, vous avez les archives et de la lecture. Il y a aussi plein de sources que vous êtes libres d’aller explorer. Je pars du principe que vous avez au moins quelques notions avant de vouloir faire une consécration, ou au moins la curiosité de vouloir vous renseigner.
L’article suivant n’aborde pas non plus les conséquences d’une consécration en prévenant que « attention ca peut être (grave)la merde ». Pourquoi ?
– Parce que, encore une fois, j’ai déjà parlé de ça ailleurs.
– Parce que je peux difficilement prévoir tous les cas de figure dans un article.
– Parce que c’est votre vie et que vous êtes assez grand.e.s pour réfléchir.
]

1 – Le degré de latitude quant au choix

Tout d’abord, je fais une légère distinction entre la personne qui décide de le faire entièrement et uniquement de son propre chef ; la personne qui s’est fait bien campée par le Vieux et que ce dernier lui a fait vertement comprendre que c’était ce qu’il attendait de cette personne.
Dans le premier cas, les paramètres sont relativement simples. Dans le second, c’est un peu plus délicat et ca demande sans doute une négociation un peu plus âpre. Certaines personnes considèrent que des demandes non-négociables, ca n’existe pas, et que l’on peut toujours négocier. D’autres personnes considèrent au contraire que l’on ne choisit / doit jamais choisir consciemment mais répondre à un appel ; que la divinité choisit, etc. Dans les faits, l’un n’exclut pas forcément l’autre et il est délicat de figer dans le marbre une situation. (Peut-être que la personne qui choisit pleinement consciemment de se consacrer à une divinité ne fait en réalité que devancer l’appel… ) En tout état de cause, étant donné que l’on ne peut pas rembobiner le passé ou dérouler le futur, il est difficile de savoir exactement quels sont les ressorts impliqués.
Ensuite, je pense que cela dépend des cheminements personnels de chacun : une personne qui a toujours eu le choix et la pleine liberté de son cheminement aura sans doute plus facile à en déduire que son cas est/doit être une vérité générale. En d’autres termes, même si ce n’est pas toujours le cas, il est fort probable qu’en fonction de notre propre expérience, on soit plus à même de considérer que les choses peuvent fonctionner de telle ou telle manière.

Personnellement, je considère que les deux options existent, mais qu’en fonction des divinités concernées, on remarque des schémas de fonctionnement assez différents. Certaines divinités vous laisseront toujours le choix, d’autres auront tendance à se moquer éperdument de votre avis et feront tout pour faire pencher la balance. Et Odin rentre clairement dans la seconde catégorie.

Pourquoi donc établir cette distinction ? Principalement parce que je pense qu’une personne qui aura subi la présence du Vieux se rendra plus facilement compte de certains aspects problématiques et sera peut-être plus vigilante.
Etant donné certains exemples lus au détour de mes rares passages sur les réseaux sociaux, il y a quand même pas mal de personnes (bon, d’hommes principalement) qui ont l’air de trouver que « Odin c’est cool, c’est le chef des Ases, et j’aimerais me consacrer à lui ». Bon, à une époque, j’aurais sans doute grogné. Aujourd’hui je me dis qu’après tout, il faut bien faire quelque chose de sa vie, alors s’ils veulent se consacrer à Odin, pourquoi pas ? Et ensuite, dans le fond, pourquoi est-ce que sans le savoir encore, ils ne répondraient pas à un appel ? La superficialité des réseaux sociaux s’envisage dans les deux sens au final. Je vais faire dans le cliché et grossir volontairement le trait en caricaturant, mais pourquoi est-ce que le cœur et les intentions d’un ado de dix-huit ans seraient forcément plus risibles que celles d’un.e universitaire de quarante piges ?

2 – Ne pas se voiler la face

Apparemment, la tendance actuelle c’est de considérer que en fait, les Dieux -ici nordiques- veulent uniquement notre bien, sont gentils, pacifistes, aimants, etc.

Alors, spoiler alert :

Non.

Je comprends que l’idée soit séduisante, réconfortante, qu’elle vous fortifie, que ca corresponde beaucoup plus aux normes actuelles, mais juste, encore une fois : Non.
Si vous recherchez un dieu aimant, qui pardonne tout, et tout le toutim, honnêtement je ne peux pas vous le reprocher, mais clairement, c’est globalement pas trop vers les Nordiques qu’il faut se tourner niveau casting. (Sinon Jésus-Christ est cool, anar’ et clairement il roxe aussi du poney niveau pratique. Je vous jure, et c’est même pas ironique.)

Odin n’est pas « gentil », mais il n’est pas « méchant » non plus. (Edit : Non, on n’est pas sur ce type de distinction quand il s’agit des divinités nordiques. ) Par contre, oui, il a la vengeance cruelle et il vaut mieux faire attention où on met les pieds. Les sagas et les Eddas sont d’ailleurs plein d’exemples de ce style.
C’est typiquement un dieu qui fait ce qu’il estime qui doit être fait, peu importe la manière dont il doit agir pour cela. C’est le point essentiel à ne jamais perdre de vue. Si vous choisissez de vous consacrer à lui, que vous lui offrez votre vie, il est probable qu’il vous utilisera de la manière qu’il jugera la plus pertinente. Hors, son idée de votre utilité peut s’avérer très différente de celle que vous envisagiez. C’est même probable.
On peut aussi finir comme dommage collatéral lors de la tentative de réalisation d’un de ses plans, qu’il soit une réussite ou un foirage monumental.

Il est de notoriété que ce n’est pas un Dieu paisible, et que ses protégés ont plutôt tendance à mourir de mort violente. Je suppose que c’est cette idée d’héroïsme qui, pour le meilleur ou le pire, suscite ce genre d’envie de la part de personnes qui se sentent coincées dans un monde qui, en matière de gloire et de courage, propose de rester enfermé.e chez soi pour sauver des vies. Ceci étant, et étant donné l’évolution, et des mœurs depuis l’an mille, et des destins qui nous sont proposés, il serait intéressant de voir quels seront les destins de celleux qui se sont voué.e.s à Lui. Ca donnera peut-être une vision un peu plus actualisée du sujet d’ici un siècle.

C’est un dieu qui prends beaucoup. Qui donne beaucoup aussi.

3 – Est-ce que les « antécédents » de consécration changent quelque chose ?

Est-ce que le fait qu’il veuille absolument qu’on se consacre à lui, et l’écouter, le rendra plus cool vis à vis de nous ?
Je ne peux avoir qu’une hypothèse en matière de réflexion sur la question, puisque je ne suis pas le principal intéressé, mais j’aurais tendance à dire que je ne pense pas. Disons qu’il a sans doute des intérêts dans le fait de voir telle ou telle personne se consacrer à lui, ne serait-ce que a minima parce qu’elle se trouve dans un alignement géographique/temporel/relationnel etc, particulièrement utile, mais si l’idée c’est d’ouvrir un parapluie en se disant « je peux merder tranquille, il ne m’arrivera rien parce que j’ai fait comme il me demandait », sincèrement, je ne tablerai jamais là-dessus (et je trouve ce type de raisonnement un peu abscons).

J’aurais même tendance à penser le contraire : s’il a un intérêt précis en ce qui vous concerne, vous risquez franchement d’en baver et d’avoir intérêt à ramener « un bon bulletin ».

J’arrive où je suis étranger.

Revenir en arrière. Jusqu’où ?
La réponse à ma question, l’an dernier pendant un week-end consacré au Seiðr.
Où il est question de quelque chose qui traverse un océan.
Ma soudaine envie de vomir. Personne n’est au courant. Cela fait du sens. (La vrai réponse est beaucoup plus précise.)
Et dix mois. Dix mois. Dix mois plus tard.
L’avion qui décolle, et le laridé qui tourne en boucle sur mon MP3, dissimulé par mes cheveux. La terre qui s’éloigne, minuscule, dans le froid de janvier. Tout est derrière moi, ou alors loin, loin devant. Loin devant, vers l’ouest et dans le futur. J’ai en tête la légende familiale qui dit qu’à chaque génération nous partons un peu plus à l’ouest. Tout ce que j’ai en tête, c’est la musique entêtante qui ne cesse de tourner et de retourner, pendant les 7h de vol, comme un transe lancinante, une injonction à ne pas penser. Rester concentrée sur l’objectif. Omni mea mecum porto. Je transporte avec moi tous mes biens. Tout ce que je possède d’important, ce que j’emporte, tient dans deux valises. Et deux caisses miaulantes.
Le reste, qui se compose pour la plupart de livres, est dans le container d’un port. Je les attendrai trois mois. Me demandant si je récupérerai un jour mes affaires, certains souvenirs. Mais en cet instant, l’instant du départ et de l’arrivée, je n’ai rien.
J’arrive sur une terre où je n’ai jamais mis les pieds, ma seule incursion de l’autre côté de l’Atlantique, dans un autre pays, remonte à mes 11 ans. Une expérience pas très heureuse où j’ai eu la sensation que le pays trop vaste, trop distordu. allait m’avaler. Qui es-tu ? Je suis le pays.
Mais où est ton cheval de peau, orné de runes ? Il est de l’autre côté de la mer. Donné à mon Watcher.
Mais où est la face ricanante de ton Renard, ornée d’ocre rouge ? Elle est là-bas, sous la garde de Écoute-les-voix.
Mais où sont les parties matérielles de ton Âme, faites de laine retordue, de crocs et d’os. Où sont les creux de terre pour les offrandes, où est le grès qui La referme ? Ils ne sont pas avec moi.

J’arrive où je suis étrangère, et où je ne connais rien. La terre ne résonne pas, je ne connais pas son chant, je suis sourde aux inflexions de leurs voix, incapable d’en déchiffrer le rythme, l’articulation, la syntaxe. Les Esprits d’ici ont un langage qui m’est totalement inconnu, totalement différent, et que je ne comprends pas.
La Terre dort sous la neige et dans le froid. Ici est un autre monde, et le réseau est indisponible. Littéralement et métaphoriquement. Indescriptible sensation. Celle d’un décalage. Il n’y a pas que pour les prises de courant, le réseau téléphonique et tout le palpable qu’ici est un autre monde.
Tout est flou, la sensation tenace de marcher sur un chemin de traverse. Les fils sont tordues. Comme si une vibration avait changée.
À la première nuit d’un sommeil de plomb accompagnée d’une dent brisée, suivront les nuits d’insomnie sans relâche. Savoir que je suis éveillée quand ils dorment et que je dors quand ils s’éveillent. Ne plus arpenter. Écho de là-bas, me disant que je ne suis pas la seule.
D’une certaine manière, j’ai la sensation qu’il est normal que la Brochette m’ait demandée de laisser certains de mes outils rituels en Europe. La certitude qu’ici, ils seraient faussés. Pas tous, mais ceux qui me servent à voyager.
Les rêves qui disparaissent. Le silence.
Tout est un Silence de neige. Est-ce le Pays qui l’hiver dort ?
Essayer de ritualiser. De faire des offrandes. Rien. Cet hydromel – au demeurant absolument déguelasse, le Melmor est un délice à côté – versé dans le récipient de secours n’est pas une offrande accompagnée d’une prière aux Dieux, aux Esprits, et à « Ces Étranges Ancêtres Qui… ». Il aurait dû. Mais non. C’est juste un liquide sirupeux et trop acide versé dans un mug de porcelaine, accompagné par des sons articulés dans une langue indo-européenne.
Non, poser trois cailloux et une guimbarde avec un pauvre lumignon ne remplace pas son autel. Cela en tient lieu. Un faire-comme. Un faire-comme honorable, toujours mieux que rien, mais cela reste un faire-comme. Les intentions, surtout les bonnes intentions et le symbolisme, c’est bien joli et c’est sans doute pas mal, en tout cas peut-être préférable à rien, mais non, ce n’est pas pareil.
Non une tasse de porcelaine achetée avec trois de ses sœurs chez Emmaüs ne remplace pas les bols rituels qui ont servis quotidiennement ou presque pendant trois ans. Non les os et la peau d’un animal ne se remplacent pas par une jolie image découpée dans un magazine. On lit partout que « le pouvoir est dans la sorcière, pas dans les outils ». Mouais. Outre que je ne suis pas une sorcière, j’ai envie de dire que, indeed, pas besoin d’outils pour jeter des sorts. Et pas besoin d’un autel en plastoc avec des merdes fabriquées en Chine pour célébrer un sabbat. Par contre, venez pas me dire que les objets fabriqués dans certaines conditions spécifiques, suite à certaines demandes / besoins spécifiques sont parfaitement interchangeable avec un gobelet vide du fastfood local. Sinon, bah écoutez, prenez de la poudre de perlimpimpin pour soigner une pathologie donnée à la place du traitement initialement prévu (allopathique ou non) et expliquez au malade que c’est parce qu’il a pas cru en lui. C’est vrai après tout, on est tellement fort aujourd’hui, les mythes avec des objets sacrés ou rituels, les croyances etc, c’est de la merde, que chacun fasse sa petite cuisine et tout est permis. Il faudrait surtout pas se montrer rabat-joie, sinon, on a rien compris.
Oui, on peut faire de la sorcellerie en faisant la cuisine, et faire pas mal de détournement d’objets rituels, me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. J’explique juste qu’on ne crée pas des outils /vecteurs en un coup de cuillère à pot parce que’on l’a décidé. Cela se fait à l’usage. Comme on ne se fait pas un meilleur ami en deux discussions sur Cul de Chèvre et qu’on ne se marie, en principe, pas à la première rencontre (en tout cas, pas trop dans nos contrées).

N’oubliez pas l’armée des trolls. Toujours. Et son étendard loufoque indiquant « Tout est pour la Bête ! ». Et dans l’appartement trouvé, découvrir, punaisé au tableau en liège, une petite carte d’un restaurant appelé « La Bête ». Se faire troller, encore, encore et encore par la même chaîne d’informations, en binaire, blanc et noir.
Reconnecter les informations. S’inscrire à la bibliothèque et commencer l’épluchage de la base de données.

Reconstituer les chaînes. Retrouver ses cartons, un mercredi, comme de juste, tandis que les jours rallongent et que les températures commencent à être timidement dans le positif. Avril est là. Retrouver ses affaires, et ses précieux petits trésors, sans valeur sur le plan financier, mais combien plus sur d’autres plans.
Et tandis que l’on réarrange son autel dans sa chambre à coucher, se rendre compte que les nuits sont devenues un peu moins anarchiques. Que les rêves sont revenus, plus étranges et porteurs de sens que jamais, comme souvent pour moi à cette période.


Le véritable travail va pouvoir commencer. Apprendre à connaître la terre où je vis désormais. M’initier à leur langage, leurs offrandes. Écouter leur chant et trouver le rythme, la syntaxe, l’articulation souple pour que le mouvement se fasse. Une expérience nouvelle, ne jamais cesser d’apprendre. Ne jamais croire que l’on sait tout, on pourrait être très surpris. Continuer d’avancer. Chaque terre est différente et c’est à celui qui arrive d’apprendre d’elle. Certains « apprivoisements », certaines rencontres se font facilement, d’autres sont plus malaisés. Il est des endroits où la terre nous appelle, d’autre où elle nous repousse. Chaque route est différente, et nous ne venons ni avec le même regard, ni avec la même terre sous nos pieds. Comme les plantes, certains d’entre nous poussent à merveille dans les forêts d’érables et d’autres s’épanouissent mieux dans les vieilles pierres d’une ville médiévale.