Ou comment éviter de se faire enfler de manière grandiose en gardant en mémoire deux ou trois points.
Note : Cet article n’est pas une vérité générale, il n’est que le reflet de mes observations et de ma pratique. Il se base sur une approche (le « Spirit Work ») de type chamanique (plutôt corrélée aux chamanismes traditionnels, et plus spécifiquement européen) et ne reflète pas forcément les avis, pratiques et expériences de personnes ayant des approches différentes (par exemple le contenu de cet article n’est pas nécessairement pertinent pour les pratiquants de Haute-Magie).
Par « Esprits » j’entends ici les Esprits liés à une terre (Esprits des Lieux), les Esprits des animaux, des végétaux, des pierres. Pour les Esprits comme les Ancêtres, ou de manière plus générale, les Morts, et autres, les choses sont un peu différentes.
Il est un peu long, il est possible de commencer directement au grand II.
I-1. La notion de similitude et l’interprétation faussée du cadre de départ
J’enfonce une porte ouverte en disant que les Esprits ne sont pas humains.
Pourtant, à certains égards, la façon dont sont construites nos interactions avec eux ne diffèrent pas strictement des modèles humains. Cependant, ce parallèle doit être compris au sens large.
Ainsi, dire qu’interagir avec Eux est proche d’une interaction avec un humain est généralement interprétée comme « parler avec une personne que nous connaissons et avec qui nous partageons un socle commun suffisamment solide et stable pour ne pas à avoir à interroger constamment le message que nous émettons ni décrypter celui que nous recevons ». Autrement dit, dans la majorité des cas que j’ai pu lire, quand on dit que ça fonctionne comme avec les humains, ce propos est interprété comme « cool, c’est comme si je discutais avec un camarade de classe qui me ressemble sur beaucoup de points ».
Hors, non.
En rester à cette lecture supposerait les postulats suivants (liste non exhaustive) :
– Une langue unique
– Absence de niveaux de langages et disparition des implicites, sous-entendus et autres
– Un vocabulaire strictement standardisé (pas d’incompréhension sur le choix des mots)
– Une culture (au sens anthropologique du terme, tel que définit par E. B. Taylor¹) unique
– Une expérience unique
– Une personnalité unique
– Fonctionnement cognitif identique
On constate immédiatement que c’est impossible, et que ce cas de figure n’existe pas. Même en cumulant un certain nombre de paramètres communs (que l’on supposera identique pour l’explication), il existe toujours des différences, et donc des ajustements à faire pour s’assurer que le message que nous souhaitons faire passer a été correctement compris, et que nous avons bien compris celui que notre interlocuteur souhaite nous faire passer.
Au fur et à mesure que nous multiplions les interactions avec un même individu, nous ajustons mutuellement nos variables (dans le cas où il existe un désir de communication partagé, ce qui là encore, n’est pas toujours le cas) afin de réduire au maximum les marges d’incompréhension jusqu’à en arriver à un niveau -utopique- ne nécessitant plus cet effort (nous appellerons ce moment le point zéro).
I-2. Point zéro et zone grise ; l’effacement des cadres et des structures
Plus nos structures de départ sont éloignées, plus ce filtre d’interprétation mettra du temps à se mettre en place, et dans le temps où sa mise en place s’opère, il peut se produire un nombre considérable d’erreur, de brouillages diront-nous, qui peuvent retarder, complexifier ou même briser complètement le processus.
De même, en arriver au point zéro supposerait que nous sommes parvenus à un consensus total, certainement « idéal » du point de vue de la réception/émission pure, mais qui supposerait que, de part et d’autre, il y a d’une certaine manière, disparition totale des cadres de départ qui nous séparaient.
Autrement dit, nous arriverions dans une zone gris totalement indifférenciée dans laquelle les cadres contribuant à notre structure interne de fonctionnement auraient disparus. D’une certaine façon, nous ne serions plus vraiment nous-même, seulement une version « expurgée ». Cette zone grise ne possède pas de connotation négative tant qu’il s’agit d’un échange neutre. C’est à dire, d’un échange d’information restant qui ne demande pas une approbation ou une validation de son contenu avec répercussion immédiate sur l’un, l’autre ou les deux partis en présence.
J’explique : parvenir au point zéro dans une zone gris s’il s’agit d’écouter l’autre et de comprendre (comprendre intellectuellement, pas approuver) son message, de le laisser s’exprimer est une chose. On peut laisser le contenu du message être délivré, en analyser les tenants, les aboutissants, le pourquoi du comment et tout le mécanisme qui en découle sans pour autant partager cet avis, et encore moins vouloir adopter ce point de vue. (Je laisse volontairement de côté la question de la séduction rhétorique pour ne pas compliquer encore l’explication).
Par contre, si ce message comporte une obligation d’acceptation de son contenu par au moins l’un des interlocuteurs, alors la disparition des cadres et cette zone grise est une forme d’amputation, de renoncement brutal, et pas toujours souhaitable, de ce qui contribue à nous structurer et qui nous permet d’exister au sein de la structure que ces cadres régissent.
Pour en revenir un peu aux Esprits, on peut imaginer un humain et un Esprit en arriver au point zéro. L’Esprit demande à l’humain un sacrifice humain (je prends volontairement un exemple dramatique qui est relativement rare. Mais pas autant qu’on aimerait le croire ceci dit.) Il est possible de comprendre le pourquoi de sa demande, quels codes la régissent etc. Maintenant, on peut le comprendre intellectuellement et ne pas l’accepter au sens performatif, pour des raisons complètement évidentes. En tout cas si on se base sur la structure générale du paganisme actuel dans les pays occidentaux.
II- 1. Similitudes de certains types de fonctionnement cognitifs
La comparaison entre le dialogue humain-humain et humain-Esprit est plus pertinente si on ne prends pas comme référentiel premier l’exemple du camarade de classe précédemment cité, mais par exemple, une personne d’une société traditionnelle ayant encore un fonctionnement tribal. Ou une personne ayant un fonctionnement cognitif totalement différent, dans lesquels la logique rationnelle et l’attention aux détails priment, et qui ne possède pas forcément une bonne connaissance des implicites sociaux régissant la majorité des échanges neuro-typiques. Par exemple, certaines personnes autistes de haut niveau.
II – 2. Les Esprits ne mentent pas… mais suivent une logique propre
Ainsi, il me semble que les Esprits auront tendance à considérer une multitude de détails, tellement minime que la plupart du temps, nous ne pensons pas à les prendre en considération. De même, leur angle de vue nous paraît faussé parce qu’il se place d’une autre façon. Nous en déduisons qu’ils peuvent mentir, alors que, pour eux, ils ne mentent pas. Un exemple très pertinent qui provient du point 4 de cet article (qui est, au demeurant, plutôt bon, même si je ne partage pas, entre autre, l’approche du point 4. Non qu’elle soit totalement fausse, mais elle comporte justement ce fameux positionnement amenant des incompréhensions).
L’image qui l’illustre (j’en reprend une similaire) est particulièrement parlante : c’est un extrait du conte Le Petit Chaperon Rouge. Le loup est habillé en Grand-Mère et assure au Petit Chaperon qu’il est bien sa Grand-Mère. Supposons que le Loup est un Esprit. Ment-il ? Le postulat le plus courant -qui est aussi celui de l’auteure sur laquelle je me base- est que, oui. Il ment. Il n’est pas la Grand-Mère. Il est le Loup. Hors, ceci n’est vrai « que » dans la mesure où on se place dans un point de vue spécifique incluant cet implicite en cours dans nos sociétés : le fait de revêtir les vêtements d’un autre, ou un costume, ne fait pas de vous cet autre. Hors, cet implicite n’est pas toujours vrai. Dans de nombreuses légendes, ainsi que dans les pratiques chamaniques dans une certaine mesure, revêtir le vêtements – la peau- d’un autre, vous « transforme ». Le loup, ayant revêtu les habits de la Grand-Mère, est d’une certaine façon devenu la Grand-Mère. Il est la Grand-Mère. Le Loup-Esprit ne ment pas, en tout cas pas suivant ses critères.
Interagir avec les Esprits demande de garder en permanence en mémoire ce point crucial : nos implicites sociaux et culturels, nos codes, nos points de vues et tout ce que nous considérons généralement comme un acquis au niveau humains sont invalides dans ce type d’interaction. Ils ne mentent pas au sens strict ou de manière active : ils ne disent pas « oui » si la réponse est « non ». À condition que la question soit bien formulée. Par contre, une toute petite nuance de formulation dans votre question peut amener une réponse faussée. Le moindre flou peut devenir un point faible, un « trou » dans la toile, et, suivant l’Esprit avec lequel vous êtes en relation, il n’hésitera pas à en jouer, ou du moins à rester dans le flou. S’ils ne mentent pas de manière active, ils peuvent en revanche tout à fait vous gruger sans vergogne en mentant par omission (en ne vous disant pas ce que cela provoquera) ou sans préciser un contexte, un point de détail. Vous supposerez alors que ce minuscule détail aura été inclue dans la réponse parce qu’il était évident et implicite. Encore une fois, il n’y a ni évidence, ni implicite possible avec Eux. Et réciproquement. Ceci étant, au passage, une note importante : l’absence de « mensonge » proprement dit ne sous-entend pas qu’ils soient animés de bonnes intentions ou qu’ils soient incapables de nous berner. En omettant certaines précisions, il est tout à fait possible de rouler quelqu’un sans avoir à mentir, par exemple. De même, cela n’implique pas que, pour une question, ils nous disent tout ce qu’Ils savent…
Tous les indicateurs doivent être présent : temporalité, contexte, situation, répercussion, modalité et j’en passe. À l’inverse, cela aussi peut vous servir s’ils oublient quelque chose (c’est un point très fréquemment détaillé et mis en avant dans les folklores, en tout cas européens. Ma connaissance des autres est trop lacunaire pour que je puisse l’affirmer, et dans tous les cas, mes interactions réussies -c’est-à-dire sans « oh shit, oh shit, oh shit » ne se sont faites qu’avec des Esprits Européens. Les autres, j’avouerai que je ne m’y risque pas).
Un autre point important est celui de nos propres peurs, de nos propres désirs. Parce qu’ils peuvent volontairement jouer dessus en les utilisant pour un minuscule détail. Le risque est alors que nos propres sentiments prennent le pas sur l’analyse et nous ayions une vision faussée de ce qui nous est montré, qu’une distorsion se produise, et les émotions aidant, que certains autres détails soient négligés. Par exemple, dans une vision, on peut voir une image comme si on était en gros plan dessus. C’est une personne qui nous est chère, et elle a un peu de sang sur la joue. La personne a l’air endormie. Le risque serait par exemple que l’on interprète cette vision comme sa mort, alors que s’il existait une « image agrandie », on verrait qu’elle est dans son lit et qu’elle dort. Elle s’est simplement griffée la joue. Le plus souvent, on a aussi « un ressenti annexe » qui nous souffle le contexte quand c’est le cas (je ne vois pas comment le traduire autrement). Mais justement, ils peuvent jouer sur ce ressenti annexe, et nous montrer une image issue d’une possibilité (le fait de s’être égratigné la joue doit exister chez la plupart d’entre nous comme « possibilité »). Nous en tirerons une interprétation faussée. Mais ils n’ont pas menti (la possibilité existe), juste fait un montage et joué sur une peur. Par contre, ça peut nous perturber suffisamment pour que l’on fasse quelque chose (comme négocier sur un point auparavant décliné) pour tenter d’empêcher ça. Ceci est particulièrement fort quand on se trouve sous l’effet de substances diverses.
Mais alors, ca devrait être plutôt facile si c’est ça, non ? Oui et non. En fait, traiter avec les Esprits est plus ou moins comme être un profiler qui tente de comprendre un psychopathe. Ils ont tous leurs modus operandi et n’aiment pas trop en changer -bien qu’ils en soient capables-, ils ont envie de faire sentir qu’ils sont supérieurs et qu’ils mènent le jeu. Et ils aiment jouer. Et de fait, ils peuvent vous faire courir, et s’ils sentent que vous avez un peu trop l’avantage, ils peuvent vous en faire voir de toutes les couleurs. Ils sont intelligents, mais si d’un côté, leur fonctionnement nous prends en défaut, d’autres détails leur échappent. Rien n’est jamais laissé au hasard ou « sans signification ». Ils ont horreur de se faire coincer, et effectivement, s’il y a des méthodes pour cela, je ne les recommande pas. (Je n’ai jamais eu à tester « la méthode de la triple question » parce que je procède autrement). C’est absolument passionnant, tout comme l’étude des méthodes utilisées par les profilers (j’ai eu l’occasion de me documenter en profondeur sur la question à une époque où j’ai très sérieusement considéré la possibilité d’exercer ce métier).
Tous les Esprits ne sont pas comme ça, il est vrai. Maintenant, par défaut, il est plus prudent de considérer que c’est le cas et de mettre en place les processus appropriés pour éviter de se faire coincer.
Dans le même ordre idée, il m’est difficile d’en rendre compte, tout simplement parce que je ne peux parler que depuis mon point de vue, mais je suppose que tout le monde ne pourra parler avec le même taux de succès avec tous les Esprits. Il existe aussi chez eux des schémas plus ou moins différents. Et au sein de ces mêmes schémas, une multitudes de « caractères » et de « forces ». Je ne rentrerai pas dans une dissertation sur ce dernier point puisque ce n’est pas le propos de l’article, mais autant que possible, il m’apparaît préférable de faire un minimum attention à la force d’un Esprit avant de commencer toute interaction, si cela est possible. Parfois, « rompre la communication » n’est pas possible, et certains sont vraiment très doués pour nous embrouiller. (Au moindre doute, je déconseillerais de s’y engager).
III – Les pièges du langage
– « Tu es Untel ? » « Tu penses que je suis Untel ? Oui. »
En fait, il n’est pas Untel. Mais vous vous pensez qu’il l’est. La façon dont la question est formulée lui donne une certaine légitimité pour se présenter comme Untel.
Les questions vraiment directes sur l’identité devraient toujours être évitées, et encore plus si vous pensez qu’un Esprit est ce quelque chose qu’il n’est pas.
Un problème, ou plutôt un autre point tordu est la question du « langage ». Les Esprits peuvent s’exprimer de plusieurs manières, dont le langage/langue. Maintenant, ce « langage » est variable : toutes les personnes n’entendent pas les Esprits dans les mêmes langues. Parfois, certaines les entendent dans des langues qu’elles ne parlent pas. D’autres entendent une traduction approximatives. D’autres entendent un son de fond avec des bribes qui ressortent par dessus une espèce de distorsion traduite. Dans tous les cas, se pose le problème de la « traduction » qui amène une trahison de la pensée initiale, mais en plus, dans certains cas, se pose le problème de la traduction de « la langue des Esprits » dans une « langue humaine ». Suivant leurs niveaux d’accointance, il y a plus ou moins de compatibilité, et donc plus ou moins de distorsion (toujours dans le cas éventuel où « une langue » est utilisée, ce qui est loin d’être une vérité générale). Le langage ce n’est pas seulement des mots, une grammaire et une syntaxe, c’est aussi toute une vision du monde, l’expression d’un univers, de son histoire, de son environnement et de ses codes. je ne rentrerai pas dans une analyse sur le bilinguisme ou le fait de parler plusieurs langues, mais une personne change suivant la langue qu’elle parle (quoique cela soit mal exprimé ici).
On peut aisément comprendre qu’il y ait donc une distorsion encore plus grande quand il est question d’Esprits. J’ai tendance à supposer que suivant les langues que nous parlons, nous avons plus ou moins les clés, ou au moins un bout de la clé, pour interagir avec tels ou tels Esprits. Les corrélations entre linguistique, sol et Spirit Work est un projet d’article que j’ai depuis longtemps aussi ne rentrerai-je pas dans les détails, d’autant que ce serait très long. En gros, ma théorie, c’est que plus les Esprits auxquels on s’adresse sont, culturellement, linguistiquement, énergétiquement, etc loin de nous, plus grand sont les risques que nous nous fassions enfler parce que la fracture devient trop importante pour que l’on puisse instinctivement la combler. Ceci n’est pas une vérité universelle, partant du principe que je ne fixe pas arbitrairement un individu à un endroit en fonction de quelques données, mais que j’admet qu’il puisse exister un certain nombre de variables propres à chacun de nous. Le fait qu’une personne puisse ne pas se retrouver dans l’énoncé de ce type de schéma n’invalide absolument ni son expérience personnelle ni cette théorie.
1: Edward Burnett Tylor, l’un des fondateurs de l’anthropologie anglo-saxonne, a proposé l’une des premières définitions de la culture dans les années 1870 : ensemble de patterns (de pensée, de comportements, de sentiments, de croyances, de modes de production et de reproduction, etc.) socialement appris et globalement partagés, à un moment donné, par un groupe de personnes formant un peuple ou une société. [source]