Les Esprits peuvent-ils mentir ?

Ou comment éviter de se faire enfler de manière grandiose en gardant en mémoire deux ou trois points. 

Note : Cet article n’est pas une vérité générale, il n’est que le reflet de mes observations et de ma pratique. Il se base sur une approche (le « Spirit Work ») de type chamanique (plutôt corrélée aux chamanismes traditionnels, et plus spécifiquement européen) et ne reflète pas forcément les avis, pratiques et expériences de personnes ayant des approches différentes (par exemple le contenu de cet article n’est pas nécessairement pertinent pour les pratiquants de Haute-Magie).
Par « Esprits » j’entends ici les Esprits liés à une terre (Esprits des Lieux), les Esprits des animaux, des végétaux, des pierres. Pour les Esprits comme les Ancêtres, ou de manière plus générale, les Morts, et autres, les choses sont un peu différentes. 

Il est un peu long, il est possible de commencer directement au grand II. 


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I-1. La notion de similitude et l’interprétation faussée du cadre de départ

J’enfonce une porte ouverte en disant que les Esprits ne sont pas humains.
Pourtant, à certains égards, la façon dont sont construites nos interactions avec eux ne diffèrent pas strictement des modèles humains. Cependant, ce parallèle doit être compris au sens large.
Ainsi, dire qu’interagir avec Eux est proche d’une interaction avec un humain est généralement interprétée comme « parler avec une personne que nous connaissons et avec qui nous partageons un socle commun suffisamment solide et stable pour ne pas à avoir à interroger constamment le message que nous émettons ni décrypter celui que nous recevons ». Autrement dit, dans la majorité des cas que j’ai pu lire, quand on dit que ça fonctionne comme avec les humains, ce propos est interprété comme « cool, c’est comme si je discutais avec un camarade de classe qui me ressemble sur beaucoup de points ».
Hors, non.
En rester à cette lecture supposerait les postulats suivants (liste non exhaustive) :
– Une langue unique
– Absence de niveaux de langages et disparition des implicites, sous-entendus et autres
– Un vocabulaire strictement standardisé (pas d’incompréhension sur le choix des mots)
– Une culture (au sens anthropologique du terme, tel que définit par E. B. Taylor¹) unique
– Une expérience unique
– Une personnalité unique
– Fonctionnement cognitif identique

On constate immédiatement que c’est impossible, et que ce cas de figure n’existe pas. Même en cumulant un certain nombre de paramètres communs (que l’on supposera identique pour l’explication), il existe toujours des différences, et donc des ajustements à faire pour s’assurer que le message que nous souhaitons faire passer a été correctement compris, et que nous avons bien compris celui que notre interlocuteur souhaite nous faire passer.
Au fur et à mesure que nous multiplions les interactions avec un même individu, nous ajustons mutuellement nos variables (dans le cas où il existe un désir de communication partagé, ce qui là encore, n’est pas toujours le cas) afin de réduire au maximum les marges d’incompréhension jusqu’à en arriver à un niveau -utopique- ne nécessitant plus cet effort (nous appellerons ce moment le point zéro).

I-2. Point zéro et zone grise ; l’effacement des cadres et des structures

Plus nos structures de départ sont éloignées, plus ce filtre d’interprétation mettra du temps à se mettre en place, et dans le temps où sa mise en place s’opère, il peut se produire un nombre considérable d’erreur, de brouillages diront-nous, qui peuvent retarder, complexifier ou même briser complètement le processus.
De même, en arriver au point zéro supposerait que nous sommes parvenus à un consensus total, certainement « idéal » du point de vue de la réception/émission pure, mais qui supposerait que, de part et d’autre, il y a d’une certaine manière, disparition totale des cadres de départ qui nous séparaient.
Autrement dit, nous arriverions dans une zone gris totalement indifférenciée dans laquelle les cadres contribuant à notre structure interne de fonctionnement auraient disparus. D’une certaine façon, nous ne serions plus vraiment nous-même, seulement une version « expurgée ». Cette zone grise ne possède pas de connotation négative tant qu’il s’agit d’un échange neutre. C’est à dire, d’un échange d’information restant qui ne demande pas une approbation ou une validation de son contenu avec répercussion immédiate sur l’un, l’autre ou les deux partis en présence.
J’explique : parvenir au point zéro dans une zone gris s’il s’agit d’écouter l’autre et de comprendre (comprendre intellectuellement, pas approuver) son message, de le laisser s’exprimer est une chose. On peut laisser le contenu du message être délivré, en analyser les tenants, les aboutissants, le pourquoi du comment et tout le mécanisme qui en découle sans pour autant partager cet avis, et encore moins vouloir adopter ce point de vue. (Je laisse volontairement de côté la question de la séduction rhétorique pour ne pas compliquer encore l’explication).
Par contre, si ce message comporte une obligation d’acceptation de son contenu par au moins l’un des interlocuteurs, alors la disparition des cadres et cette zone grise est une forme d’amputation, de renoncement brutal, et pas toujours souhaitable, de ce qui contribue à nous structurer et qui nous permet d’exister au sein de la structure que ces cadres régissent.
Pour en revenir un peu aux Esprits, on peut imaginer un humain et un Esprit en arriver au point zéro. L’Esprit demande à l’humain un sacrifice humain (je prends volontairement un exemple dramatique qui est relativement rare. Mais pas autant qu’on aimerait le croire ceci dit.) Il est possible de comprendre le pourquoi de sa demande, quels codes la régissent etc. Maintenant, on peut le comprendre intellectuellement et ne pas l’accepter au sens performatif, pour des raisons complètement évidentes. En tout cas si on se base sur la structure générale du paganisme actuel dans les pays occidentaux.

II- 1. Similitudes de certains types de fonctionnement cognitifs

La comparaison entre le dialogue humain-humain et humain-Esprit est plus pertinente si on ne prends pas comme référentiel premier l’exemple du camarade de classe précédemment cité, mais par exemple, une personne d’une société traditionnelle ayant encore un fonctionnement tribal. Ou une personne ayant un fonctionnement cognitif totalement différent, dans lesquels la logique rationnelle et l’attention aux détails priment, et qui ne possède pas forcément une bonne connaissance des implicites sociaux régissant la majorité des échanges neuro-typiques. Par exemple, certaines personnes autistes de haut niveau.

II – 2. Les Esprits ne mentent pas… mais suivent une logique propre

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« Oui, je suis ta Grand-Mère ». Ment-il ?

Ainsi, il me semble que les Esprits auront tendance à considérer une multitude de détails, tellement minime que la plupart du temps, nous ne pensons pas à les prendre en considération. De même, leur angle de vue nous paraît faussé parce qu’il se place d’une autre façon. Nous en déduisons qu’ils peuvent mentir, alors que, pour eux, ils ne mentent pas. Un exemple très pertinent qui provient du point 4 de cet article (qui est, au demeurant, plutôt bon, même si je ne partage pas, entre autre, l’approche du point 4. Non qu’elle soit totalement fausse, mais elle comporte justement ce fameux positionnement amenant des incompréhensions).
L’image qui l’illustre (j’en reprend une similaire) est particulièrement parlante : c’est un extrait du conte Le Petit Chaperon Rouge. Le loup est habillé en Grand-Mère et assure au Petit Chaperon qu’il est bien sa Grand-Mère. Supposons que le Loup est un Esprit. Ment-il ? Le postulat le plus courant -qui est aussi celui de l’auteure sur laquelle je me base- est que, oui. Il ment. Il n’est pas la Grand-Mère. Il est le Loup. Hors, ceci n’est vrai « que » dans la mesure où on se place dans un point de vue spécifique incluant cet implicite en cours dans nos sociétés : le fait de revêtir les vêtements d’un autre, ou un costume, ne fait pas de vous cet autre. Hors, cet implicite n’est pas toujours vrai. Dans de nombreuses légendes, ainsi que dans les pratiques chamaniques dans une certaine mesure, revêtir le vêtements – la peau- d’un autre, vous « transforme ». Le loup, ayant revêtu les habits de la Grand-Mère, est d’une certaine façon devenu la Grand-Mère. Il est la Grand-Mère. Le Loup-Esprit ne ment pas, en tout cas pas suivant ses critères.
Interagir avec les Esprits demande de garder en permanence en mémoire ce point crucial : nos implicites sociaux et culturels, nos codes, nos points de vues et tout ce que nous considérons généralement comme un acquis au niveau humains sont invalides dans ce type d’interaction. Ils ne mentent pas au sens strict ou de manière active : ils ne disent pas « oui » si la réponse est « non ». À condition que la question soit bien formulée. Par contre, une toute petite nuance de formulation dans votre question peut amener une réponse faussée. Le moindre flou peut devenir un point faible, un « trou » dans la toile, et, suivant l’Esprit avec lequel vous êtes en relation, il n’hésitera pas à en jouer, ou du moins à rester dans le flou. S’ils ne mentent pas de manière active, ils peuvent en revanche tout à fait vous gruger sans vergogne en mentant par omission (en ne vous disant pas ce que cela provoquera) ou sans préciser un contexte, un point de détail. Vous supposerez alors que ce minuscule détail aura été inclue dans la réponse parce qu’il était évident et implicite. Encore une fois, il n’y a ni évidence, ni implicite possible avec Eux. Et réciproquement. Ceci étant, au passage, une note importante : l’absence de « mensonge » proprement dit ne sous-entend pas qu’ils soient animés de bonnes intentions ou qu’ils soient incapables de nous berner. En omettant certaines précisions, il est tout à fait possible de rouler quelqu’un sans avoir à mentir, par exemple. De même, cela n’implique pas que, pour une question, ils nous disent tout ce qu’Ils savent…
Tous les indicateurs doivent être présent : temporalité, contexte, situation, répercussion, modalité et j’en passe. À l’inverse, cela aussi peut vous servir s’ils oublient quelque chose (c’est un point très fréquemment détaillé et mis en avant dans les folklores, en tout cas européens. Ma connaissance des autres est trop lacunaire pour que je puisse l’affirmer, et dans tous les cas, mes interactions réussies -c’est-à-dire sans « oh shit, oh shit, oh shit » ne se sont faites qu’avec des Esprits Européens. Les autres, j’avouerai que je ne m’y risque pas).

Un autre point important est celui de nos propres peurs, de nos propres désirs. Parce qu’ils peuvent volontairement jouer dessus en les utilisant pour un minuscule détail. Le risque est alors que nos propres sentiments prennent le pas sur l’analyse et nous ayions une vision faussée de ce qui nous est montré, qu’une distorsion se produise, et les émotions aidant, que certains autres détails soient négligés. Par exemple, dans une vision, on peut voir une image comme si on était en gros plan dessus. C’est une personne qui nous est chère, et elle a un peu de sang sur la joue. La personne a l’air endormie. Le risque serait par exemple que l’on interprète cette vision comme sa mort, alors que s’il existait une « image agrandie », on verrait qu’elle est dans son lit et qu’elle dort. Elle s’est simplement griffée la joue. Le plus souvent, on a aussi « un ressenti annexe » qui nous souffle le contexte quand c’est le cas (je ne vois pas comment le traduire autrement). Mais justement, ils peuvent jouer sur ce ressenti annexe, et nous montrer une image issue d’une possibilité (le fait de s’être égratigné la joue doit exister chez la plupart d’entre nous comme « possibilité »). Nous en tirerons une interprétation faussée. Mais ils n’ont pas menti (la possibilité existe), juste fait un montage et joué sur une peur. Par contre, ça peut nous perturber suffisamment pour que l’on fasse quelque chose (comme négocier sur un point auparavant décliné) pour tenter d’empêcher ça. Ceci est particulièrement fort quand on se trouve sous l’effet de substances diverses.

Mais alors, ca devrait être plutôt facile si c’est ça, non ? Oui et non. En fait, traiter avec les Esprits est plus ou moins comme être un profiler qui tente de comprendre un psychopathe. Ils ont tous leurs modus operandi et n’aiment pas trop en changer -bien qu’ils en soient capables-, ils ont envie de faire sentir qu’ils sont supérieurs et qu’ils mènent le jeu. Et ils aiment jouer. Et de fait, ils peuvent vous faire courir, et s’ils sentent que vous avez un peu trop l’avantage, ils peuvent vous en faire voir de toutes les couleurs. Ils sont intelligents, mais si d’un côté, leur fonctionnement nous prends en défaut, d’autres détails leur échappent. Rien n’est jamais laissé au hasard ou « sans signification ». Ils ont horreur de se faire coincer, et effectivement, s’il y a des méthodes pour cela, je ne les recommande pas. (Je n’ai jamais eu à tester « la méthode de la triple question » parce que je procède autrement). C’est absolument passionnant, tout comme l’étude des méthodes utilisées par les profilers (j’ai eu l’occasion de me documenter en profondeur sur la question à une époque où j’ai très sérieusement considéré la possibilité d’exercer ce métier).
Tous les Esprits ne sont pas comme ça, il est vrai. Maintenant, par défaut, il est plus prudent de considérer que c’est le cas et de mettre en place les processus appropriés pour éviter de se faire coincer.
Dans le même ordre idée, il m’est difficile d’en rendre compte, tout simplement parce que je ne peux parler que depuis mon point de vue, mais je suppose que tout le monde ne pourra parler avec le même taux de succès avec tous les Esprits. Il existe aussi chez eux des schémas plus ou moins différents. Et au sein de ces mêmes schémas, une multitudes de « caractères » et de « forces ». Je ne rentrerai pas dans une dissertation sur ce dernier point puisque ce n’est pas le propos de l’article, mais autant que possible, il m’apparaît préférable de faire un minimum attention à la force d’un Esprit avant de commencer toute interaction, si cela est possible. Parfois, « rompre la communication » n’est pas possible, et certains sont vraiment très doués pour nous embrouiller. (Au moindre doute, je déconseillerais de s’y engager).

III – Les pièges du langage

– « Tu es Untel ? » « Tu penses que je suis Untel ? Oui. » 
En fait, il n’est pas Untel. Mais vous vous pensez qu’il l’est. La façon dont la question est formulée lui donne une certaine légitimité pour se présenter comme Untel.
Les questions vraiment directes sur l’identité devraient toujours être évitées, et encore plus si vous pensez qu’un Esprit est ce quelque chose qu’il n’est pas. d0b7da5c444f238139715255d7567ee0
Un problème, ou plutôt un autre point tordu est la question du « langage ». Les Esprits peuvent s’exprimer de plusieurs manières, dont le langage/langue. Maintenant, ce « langage » est variable : toutes les personnes n’entendent pas les Esprits dans les mêmes langues. Parfois, certaines les entendent dans des langues qu’elles ne parlent pas. D’autres entendent une traduction approximatives. D’autres entendent un son de fond avec des bribes qui ressortent par dessus une espèce de distorsion traduite. Dans tous les cas, se pose le problème de la « traduction » qui amène une trahison de la pensée initiale, mais en plus, dans certains cas, se pose le problème de la traduction de « la langue des Esprits » dans une « langue humaine ». Suivant leurs niveaux d’accointance, il y a plus ou moins de compatibilité, et donc plus ou moins de distorsion (toujours dans le cas éventuel où « une langue » est utilisée, ce qui est loin d’être une vérité générale). Le langage ce n’est pas seulement des mots, une grammaire et une syntaxe, c’est aussi toute une vision du monde, l’expression d’un univers, de son histoire, de son environnement et de ses codes. je ne rentrerai pas dans une analyse sur le bilinguisme ou le fait de parler plusieurs langues, mais une personne change suivant la langue qu’elle parle (quoique cela soit mal exprimé ici).
On peut aisément comprendre qu’il y ait donc une distorsion encore plus grande quand il est question d’Esprits. J’ai tendance à supposer que suivant les langues que nous parlons, nous avons plus ou moins les clés, ou au moins un bout de la clé, pour interagir avec tels ou tels Esprits. Les corrélations entre linguistique, sol et Spirit Work est un projet d’article que j’ai depuis longtemps aussi ne rentrerai-je pas dans les détails, d’autant que ce serait très long. En gros, ma théorie, c’est que plus les Esprits  auxquels on s’adresse sont, culturellement, linguistiquement, énergétiquement, etc loin de nous, plus grand sont les risques que nous nous fassions enfler parce que la fracture devient trop importante pour que l’on puisse instinctivement la combler. Ceci n’est pas une vérité universelle, partant du principe que je ne fixe pas arbitrairement un individu à un endroit en fonction de quelques données, mais que j’admet qu’il puisse exister un certain nombre de variables propres à chacun de nous. Le fait qu’une personne puisse ne pas se retrouver dans l’énoncé de ce type de schéma n’invalide absolument ni son expérience personnelle ni cette théorie.

1:  Edward Burnett Tylor, l’un des fondateurs de l’anthropologie anglo-saxonne, a proposé l’une des premières définitions de la culture dans les années 1870 : ensemble de patterns (de pensée, de comportements, de sentiments, de croyances, de modes de production et de reproduction, etc.) socialement appris et globalement partagés, à un moment donné, par un groupe de personnes formant un peuple ou une société.  [source]

Que dire, que faire ?

tumblr_nfrlv4oTir1sm9wdio1_400Je réalise que je suis restée absente bien longtemps de ce blog. Des choses à faire, un emploi du temps pas franchement souple et très chargé, la vie réelle très demandeuse (et la vie réelle est une priorité par rapport à l’autre, qui ne présente que des fragments).

Les réactions de ces 48 dernières heures me laissent profondément perplexe. J’ai appris tout ce qui se passait par une amie qui m’a envoyé un lien. Ma première réaction a été de me demander si mes amis allaient tous bien. En mixage instantané avec, il faut bien le dire, une colère noire. Je ne suis pas le genre de personne qui pleure, je suis plutôt le genre qui se durcit et analyse les choses, et qui parfois, peut prendre des décisions ou dire des choses assez terribles. Donc généralement, je me tais, et j’attends que tout redescende.

Une copine à moi se trouvait dans un des lieux touchés. Elle était sous le choc, et quand je l’ai appelée, je me souviens de sa voix, hachée, de ses larmes. « Oh Aranna, j’ai eu tellement peur. » Et sa voix, qui me dit « Mais tu m’appelles, tu as tellement d’autres soucis, d’autres choses à faire, je sais que les appels internationaux coûtent cher et que tu es en difficultés. » Non copine, peut-être que oui, je galère, que oui ma vie a pris une tournure bien étrange depuis des mois, et peut-être même des années. Mais non, là, tout de suite, je me fous éperdument de savoir combien mon opérateur téléphonique me prendra pour cet appel. Je suis juste reconnaissante de savoir que tu n’as rien, que tu es en sécurité. Que tous les gens que je connais et que j’aime vont bien.

Et puis toutes ces réactions. Et je repense, sans trop savoir pourquoi, à ce vieil article, écrit il y a presque 3 ans, au moment d’un massacre dans une école américaine. Le retour de la Cailleach et la question de la compassion publique.

J’y repense à cause de tout ce que je vois défiler, sur différentes plates-formes, de la part de différentes personnes, aux bords politiques parfois diamétralement opposés. Je m’interroge sur ce classement que je vois fleurir sur ces réseaux. Ceux qui ressentent le besoin de montrer leur compassion et leurs prières (ce qui n’est pas nécessairement négatif, loin de là, et je parle déjà de cette réflexion dans l’article.) Et parfois, de manière un peu twistée, sur les jugements par rapport aux autres réactions.
Je ne suis pas le genre de personne qui étale ses sentiments. Mon éducation a très profondément ancré en moi une certaine distance et un certain refus des réactions publiques dithyrambiques. « Cela ne se fait pas. » On n’étale pas sa colère, sa douleur, sa peine, tout son remugle intérieur devant autrui. On le garde ou on l’exprime avec mesure et justesse. Je ne prétendrai pas avoir toujours sacrifié à cet impératif, mais il laisse sa marque dans mes manières de réagir. Et donc, je me demande, quel besoin de juger les réactions d’autrui : la personne qui réagit avec colère, pourquoi ne pas la laisser exprimer sa colère ? La personne qui réagit avec peine, pourquoi ne pas la laisser exprimer sa peine ? Et, la personne qui, en apparence, ne réagit pas, pourquoi en tirer des conclusions hâtives et la placer arbitrairement dans une case ? Pourquoi ne pas tout simplement se dire que les réseaux sociaux ne sont que des apparences, et que cette volonté de ne pas faire d’amalgames devraient peut-être aussi d’appliquer à tous ceux dont la ou les réactions diffèrent de la « nôtre ». ¨Puisqu’au final, c’est souvent de cela dont il s’agit. Celui ou celle qui ne s’inscrit pas dans le schéma majoritaire se voit souvent pointé du doigt, ou tancé. Directement ou indirectement. Mais, dans le fond, pourquoi ? On juge certaines réactions indignes, indécentes, non tournée vers la compassion, d’autres larmoyantes… J’en comprends intellectuellement bien les différents processus, les différentes motivations. Il n’en reste pas moins que la question que cela m’évoque c’est : « est-ce que cela veut dire que, dans le fond, il n’existe pas de places pour les réactions non normées ?  » Est-ce que, dans le fond, cette manière de réagir et de très vite condamner, n’est pas quelque peu ambivalente ?
Surtout quand cela se base sur des réactions de quelques lignes sur des réseaux numériques. Est-ce que ces incompréhensions, ces abîmes qui se creusent en quelques lignes et créée un fossé abyssal, ne sont pas justement ce qu’il y a de plus dangereux ? Je veux dire, au final, que ce soit par un silence obstiné ou par le spectre des différentes réactions, tous ces gens réagissent, tous ces gens ont été touchés, parce que tous, sont concernés ou potentiellement concernés. N’est-pas le plus important ? Accepter que l’autre puisse ne pas être pareil que nous, dans sa manière d’appréhender le monde, d’interagir avec lui et d’y réagir, dans les mouvements que nos actes font résonner dans la toile, n’est-ce pas cela, accepter autrui ? Alors, dans ces procédures de condamnation, n’est-ce pas justement le contraire qui s’exprime ?

Personnellement, je pense que les prières ne servent pas à grand chose de concret. Mon passé catholique (et très fervent, puisque j’ai tout de même, plusieurs années durant, envisagé d’entrer dans les ordres) me fait dire que non, la prière n’est jamais inutile. En tout cas, si des personnes en ressentent le besoin, quelque soit la manière dont ces prières s’expriment ou leurs croyances éventuelles, alors, qu’elles le fassent.
Mon côté pragmatique et mon intérêt pour le survivalisme en revanche, me fait dire que pleurer les morts, c’est joli mais ca ne préserve pas les vivants.
Que faire alors ?
Et bien, pour y répondre sans entrer dans la politique ou d’autres débats plus ardus (ce qui n’a jamais été le but du blog. En outre, l’analyse politique me dépasse largement), j’aurais quelques suggestions.
Chacun et chacune peut, en fonction de sa personne (on se connaît mieux que quiconque, et chaque personnalité, différente et unique, peut apporter quelque chose. Il n’y a jamais d’inutilité totale dans l’action concrète) acquérir des savoirs et des connaissances qui pourraient s’avérer utiles.
Par exemple, en faisant une formation de secourisme (même l’auto-formation, avec des vidéos, des livres et des connaissances médicales basiques, telles qu’on les apprenaient chez les Guides peut s’avérer utile). En resserrant les liens avec les personnes que l’on apprécie, même plus ou moins (tant qu’elles ne sont ni nuisibles ni toxiques), avec son clan (qu’il soit de sang, de cœur, de pensée, etc…). Et essayant de ne pas créer de clivages inutiles, y compris avec ceux qui ne partagent pas votre pensée politique ou religieuse. (Non, claquer la porte à un ami d’enfance en lui disant « tu es un sale facho » n’apporte rien de constructif. Par contre, si les deux personnes sont intelligentes, il peut y avoir un consensus : « ok, nous savons que nous ne partageons pas les mêmes idées. D’un commun accord, nous ne aborderons pas quand nous sommes en présence l’un de l’autre. », c’est dèjà éviter les clivages et les éloignements. Et nota bene : J’ai choisi un exemple, cette démonstration est à remettre dans tous les contextes et tous les schémas. J’aurais aussi pu dire « si vous êtes nationaliste, ne claquez pas la porte à un ami d’enfance sous prétexte que… » etc.)
Ensuite voici une suggestion qui sera sans doute perçue comme plus « polémique », mais  qu’il m’apparaît important de mentionner, justement parce qu’on voit rarement ce type de proposition fait dans l’optique que j’ai en tête.
Apprenez à vous servir d’une arme par exemple. Tout simplement parce que, dans les clubs de tirs, on n’apprends pas seulement à tirer, mais aussi à charger et à décharger une arme. On est en mesure de voir si elle a le cran de sécurité enclenchée ou non. On apprends aussi à ne pas se blesser stupidement avec si jamais un jour on doit en manipuler une (ne serait-ce que pour en repousser une). Ces suggestions ne sont pas faites dans un but d’appel à la violence, (et j’apprécierais de ne pas voir circuler sur internet des citations tronquées de cet article) : c’est une question de pragmatisme. Elles sont proposées dans un esprit de bon sens. Si un jour quelqu’un devait braquer une arme sur vous, et que vous êtes en mesure de voir que le cran de sécurité n’est pas retiré, alors peut-être serez-vous en mesure une autre décision que si vous ne pouviez pas le vérifier. Par exemple.
Apprenez quelques techniques de survivalisme, comme retirer des menottes faites avec des liens en plastique. Etc.
Encore une fois, tout ceci n’est pas dit dans un but belliqueux, bien au contraire. Je pense qu’être en pleine possession de ses moyens et savoir que l’on possède quelques connaissances pouvant éventuellement nous permettre de réagir de façon à maximiser nos chances et celles de nos proches évite aussi de se sentir totalement démuni et agressif gratuitement. (Au passage, il me paraît primordial de bien recentrer le propos : non je ne suis en aucun cas en train de sous-entendre que les victimes l’ont bien cherché et que s’ils avaient su ci ou mi, ils auraient eu la vie sauve, etc. Non. Ni de près ni de loin. Je suis juste en train de proposer des actions potentiellement constructives.)
C’est en tout cas l’optique que j’ai toujours essayé de mettre en pratique dans ma vie : apprendre, apprendre, apprendre. Accroître ses connaissances et ses savoirs-faire dans les domaines les plus divers (du jardinage à la broderie en passant par les langues et le survivalisme), la connaissance sert toujours. En revanche, se rendre compte de son ignorance dans un moment critique, ca fait mal.

Peut-on encore parler de Sorcellerie traditionnelle ?

Sporegod, 2011 par Zhectoid

Après une longue période où la wicca a été extrêmement populaire, au point de devenir trop souvent synonyme de néo-paganisme/paganisme pour une grande majorité de personnes mal informées (et qui souvent ne cherchent pas à faire la différence), on assiste depuis quelques années à la présence grandissante d’un ensemble de pratiques regroupées sous le terme fourre-tout de « sorcellerie traditionnelle ». À l’instar de la wicca, on a vu une quantité impressionnante d’ouvrages et de blogs abordant cette branche se réclamant de l’héritage directe d’anciennes pratiques de certaines régions. La « sorcellerie traditionnelle » est souvent désignée sous différentes dénominations, dont pour l’anglais « Hedge Witchery », « Traditional Witchcraft ».
Bien évidemment, l’immense majorité de ces blogs et de ces ouvrages (plus ou moins sérieux, plus ou moins bien documentés, suivant l’éditeur ou l’auteur) mettent un point d’honneur à expliquer en long, en large et en travers que, non, non, non, rien à voir avec la wicca, cette invention de Gardner. Eux sont bien évidemment plus true, plus authentique, moins fluff et « not for everyone » (J’adore. Genre un sentier, peu importe lequel, est adapté à tout le monde. On n’ose même plus dire qu’un vêtement ou un sport est pour tout le monde, alors le préciser pour la « sorcellerie traditionnelle », quelle blague. Genre c’est un passe-temps que vous pourriez avoir la lubie d’essayer. Quoi que parfois…)
Jusque là, il y a un semblant de cohérence. Sauf que les choses se gâtent quand dans la plupart des cas, il devient subitement question de manière d’invoquer les quatre éléments, de cercle de protection, d’une déesse dominante, d’un dieu cornu, d’outils de pratique et bla, et bla, et bla.
En fait, par moment on a l’impression que la wicca, ca faisait pas assez sérieux depuis qu’elle est devenue éclectique (attendez, on ne va pas accueillir n’importe qui quand même ? Trop mainstream les gens…). Et puis la « wicca traditionnelle » (aka la mal nommée Wicca « gardnérienne », pour ne pas rentrer dans le détail) ca ne sonnait pas assez « certifié authentique A.O.C depuis 1720 ». En plus Garnder aimait se mettre à poil et puis il faut réunir un groupe de personnes, c’est trop compliqué. Non, la « sorcellerie traditionnelle » ca fait tout de suite plus terroir (pas trop quand  même, sinon vous allez passer pour un identitaire), plus vrai, on jette le rede wiccan à la poubelle et puis on peut pratiquer seul/e. En prime, plus on bidouille à sa sauce, mieux c’est et personne ne peut vérifier. Quelle idée de génie !

À la limite, pourquoi pas : intrinsèquement, que chacun se réapproprie un ensemble de pratiques et les adapte à son pagus, à son histoire et que le tout soit diffusé, quelque part, tant mieux. Une tradition qui ne vit pas, qui ne s’adapte pas, qui n’évolue et que l’on ne transmet pas est une tradition qui meurt. Personnellement, je préfère voir voir évolutions et partages plutôt qu’une uniformisation globale faite de tout et de rien, qui ne revêt plus de sens pour personne.
Sauf qu’une tradition n’est pas un truc qui surgit de nul part. Si les traditions sont souvent comparées à des arbres, c’est bien parce qu’elles ont des racines. Une tradition s’inscrit dans une culture (et je parle pas de « culture livresque ». Si, si je précise, parfois il y a des gens qui n’arrivent pas à faire la différence), dans une civilisation. C’est tout un système, exactement comme un organisme vivant, avec son mode de fonctionnement, sa société régit par des processus de fonctionnement et des normes sociales. En dehors de ce système et si ce dernier n’existe plus, alors le reste meurt. Exactement comme un organe doit rapidement être transplanté si on ne veut pas le perdre.
Le principal désaccord que j’ai avec cette tendance (je n’aime pas parler de mode. Je ne pense pas que les gens s’amusent à changer de croyances / pratiques uniquement parce que le voisin le fait. Certes, le voisin les a peut-être inspiré, mais s’il n’y avait eu en eux aucune résonance, alors je doute fort qu’ils aient emprunté ce chemin. Je suis loin d’être une grande humaniste, mais prendre par défaut tous les gens pour des cons, c’est le plus sûr moyen pour qu’ils le deviennent.) n’est pas tant dans le contenu de la tendance en elle-même, mais davantage dans le vocabulaire utilisé pour la désigner.
Les mots ne sont pas neutres et la manière dont nous choisissons d’employer tel ou tel terme pour nommer un fait, un processus, un ensemble de croyances participe à son identité et à son ancrage dans la mémoire collective. Hors, les pratiques que l’on trouve sous cette étiquette si elles sont effectivement inspirées de coutumes authentiques, sont trop souvent dénaturées par un processus de regroupement qui finit par leurs faire perdre leur sens premier. (Et premièrement, on peut question l’emploi du singulier dans les termes de « Sorcellerie traditionnelle. » Comme s’il n’y en avait qu’une.)
Je m’explique : c’est probablement une très bonne idée de s’inspirer du folklore d’une région en particulier et de vouloir écrire un livre sur la « Sorcellerie traditionnelle XXXX ». Maintenant, quand on constate que les quelques éléments de la culture locale en la matière se retrouvent sous une articulation qui évoque directement certains ouvrages plus que basiques sur la wicca (l’idée de l’existence d’une grande déesse du coin et de son consort fait notamment fureur), et que l’auteur/e dans son introduction a pris soin de bien dire que ce livre là, attention, c’est du vrai, hein, et que ca vient directement de telle ou telle personne, mais que l’ouvrage est dépourvu de tout élément historique ou permettant de resituer les pratiques dans un contexte social, même généraliste, alors oui, je trouve qu’il y a un très gros problème. Pas tant dans le fait de réécrire la tradition, mais dans le fait de prétendre que c’est la tradition originelle, qu’elle n’a pas changée. On peut agrémenter le tout avec autant de beaux dessins en noir et blanc et de mots de la langue ou du dialecte local, ça n’en reste pas moins du foutage de gueule malhonnête qui se vend pour se qu’il n’est pas. (Et encore, je n’aborde la question de la pertinence du médium de transmission ni ne questionne celle de la sortie du contexte culturelle).
La sorcellerie traditionnelle s’inscrivait dans une société essentiellement rurale qui a aujourd’hui majoritairement disparue en Europe Occidentale. Son fonctionnement, ses mœurs et son architecture ont évolué de manière drastique tout au long du XXe siècle (plus particulièrement à partir de la guerre de 14-18 et quasiment achevé dans les années 60. Cette datation est plus ou moins valable suivant les endroits ou même les pays. En France, c’est globalement pertinent.) La société d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier, et prétendre que les courants de sorcelleries traditionnelles n’ont pas subis eux aussi le contrecoup de cette évolution est absurde. Cela ne veut pas nécessairement dire que tout a disparu : certains éléments ont perduré, certains ont disparu, d’autres se sont probablement ajoutés.
Comme je le disais plus haut, on peut questionner le fait d’utiliser le terme de « Sorcellerie traditionnelle » au singulier pour désigner un ensemble de pratiques censé être propre à chaque région, et donc à chaque groupement établi sur un territoire plus ou moins défini, possédant qui une langue, qui un dialecte, qui un parler avec ses particularités et ses expressions, son histoire, ses coutumes, bref tout son bagage et son système. En gros, est-il possible de parler d’une sorcellerie traditionnelle française, d’une sorcellerie traditionnelle anglaise et de donner, sous couleur d’arpenter un chemin se voulant moins galvaudé, dans la grosse généralisation sans aucun approfondissement sérieux ?
Je suis toujours profondément perplexe de voir des nord-américains faire intervenir leurs ancêtres [insérer un adjectif] de la 5e ou 6e génération pour venir justifier d’adopter tel ou tel sentier culturel alors qu’ils n’ont pas été élevé dans cette culture là, qu’ils n’ont jamais mis un pied sur le Vieux continent. Pas que cela les intéresse -c’est leur droit le plus strict et vouloir renouer le lien avec son histoire familiale est une chose admirable-, mais qu’ils puissent venir se permettre de dicter comment, à leur avis, qui a le droit de faire ci ou ça, et comment on devrait le faire. Exactement comme quand il semble admissible pour certaines personnes de dire que elles, elles sont légitimes pour pratiquer [XY] mais que les gens de telle voie sont des %@#!!* de faire pareil avec la leur. L’altérité, ca vous parle ?
On en vient à l’épineuse question du : faut-il habiter sur une terre, en être originaire ou a minima y avoir habité pour pratiquer la sorcellerie tradz d’un endroit donné ? J’ai tendance à penser qu’en plus des éléments sus-mentionnés, une quantité d’autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte : on peut avoir des connexions spirituelles avec certaines personnes qui ne font pas forcément directement parties de notre lignée génétique, on peut parfois se retrouver dans une position où un certain nombre d’éléments vont nous pousser dans cette voie, il peut y avoir des initiations, on peut être appelé par un endroit sans aucune connexion visible et constater ensuite qu’un ancêtre y a vécu et que cela soit « assimilé » dans la mémoire de la lignée, bref, je ne vois aucune raison de se limiter de manière formelle à quelques données restreintes et je n’ai pas de réponse toute faite et catégorique à donner. De manière empirique, j’ai pu constater que quand une affaire est sérieuse à ce niveau là, c’est rarement sans raison.

Au niveau de la pratique proprement dite, je doute que la sorcière ou le rebouteux ait eu besoin de grand chose d’autre que des objets de tous les jours. À l’heure actuelle, aller se chercher un bâton en forêt est sans doute devenu une sorte d’aventure qui sort de l’ordinaire, avec tout le salamalec que certains sont capables de faire autour. Dans la société rurale, c’était tout bête : les gens possédaient un bâton pour aller garder les bêtes (au pluriel quand ils étaient assez riches pour cela) : la belle affaire que d’aller se chercher un bâton. Certes, il y avait peut-être un bâton particulier, mais si tout le monde savait qui était la sorcière du coin, on se gardait en général bien d’en parler ouvertement.
Pareil pour les formules, mots de pouvoir et autres. Honnêtement, je me permet de douter qu’il était question d’une grande déesse, sauf si on considère la Vierge Marie. Mais pour avoir lu deux ou trois trucs, au moins dans certaines régions, on ne dérangeait pas « la Vierge Marie », on s’adressait spécifiquement à la Vierge de telle chapelle dans tel endroit et on avait recours à la sainte locale, patronne de la source machin, connue pour soigner le type de maux auquel on avait à faire (en tout cas en terre catholique). Dans la « sorcellerie traditionnelle païenne contemporaine », évidemment, le culte des saint/e/s, ça passe modérément, alors il fallait bien adapter un peu le texte d’origine (qui avait peut-être déjà été adapté d’anciennes litanies.)

Du coup, si les pratiques actuelles ont reformulées les pratiques plus anciennes qui ont elles-mêmes été calquées sur d’autres plus anciennes, alors comment on fait ?
Et bien on regarde ce que l’Église interdisait, par exemple. Et on se détend.
Vouloir singer d’anciennes pratiques alors que clairement, tout ce qui les entouraient n’existe plus  (et qu’il est possible que l’on en ait une vision lacunaire) est sans doute modérément pertinent. En revanche, c’est peut-être une bonne manière pour commencer à se cultiver sur la question, en ne se limitant pas à l’aspect sorcellerie d’une société donnée, mais en essayant d’élargir le champs de ses connaissances à son sujet. Parce que concrètement, on trouve pas mal d’articles visant à faire ci ou ça sur la base d’un rituel/autre que l’on a trouvé dans un bouquin et que la personne adapte en toute bonne foi. Sauf que ça serait pas trop mal d’essayer de comprendre pourquoi ce rituel/autre pour cette occasion / lieu / célébration avant de vouloir faire une transposition. Parfois c’est le cas, parfois pas. Bon, l’important c’est d’essayer. Certes, il vaut mieux une action, même pouvant être améliorée, que rien du tout. Sauf qu’au lieu de qualifier sa pratique de « sorcellerie traditionnelle » / « Sorcellerie des campagnes » et autres, il ne serait pas mal d’accepter que ce n’est qu’une réinterprétation moderne de ce qui a pu existé et qui désormais n’existe plus.

[SYLPHE] Ces monstres aux mâchoires d’acier dans des boîtes si fragiles

Avec un peu de retard par rapport aux autres, ma contribution au sujet de la peur pour le projet Sylphe.

Nos peurs, soigneusement enfermées à double tour dans le coffre de notre esprit. Nos peurs, bien présentes, que nous connaissons mais préférons ignorer, que nous empêchons de jaillir à l’improviste. La somme de nos craintes : d’échouer, d’être blessé, abandonné, oublié.
Nos peurs sont des clés et révéler leur nature est une arme à double tranchant.
Je pars du principe très simple que s’il faut connaître ses peurs, pour éviter qu’elles ne nous surprennent au moment le moins opportun, il est préférable de ne pas les partager avec le tout venant.
Plus on apprend à les connaître, plus on est à même d’en comprendre le mécanisme : qu’elles soient totalement irrationnelle (le monstre sous lit ou le vélociraptor dans la cuisine) ou qu’elles proviennent d’une source identifiable, savoir comment elles se déclenchent, d’où elles viennent, de quelles manières elles se traduisent, ce qu’elles nous poussent à faire ou ce qu’elles nous empêchent de faire, les réactions que l’on adopte quand elles nous saisissent. Tout cela permet, à défaut de les combattre efficacement, de pouvoir trouver une parade.
Par exemple, si l’on a peur de se faire agresser dans la rue, suite à une agression vécue par nous ou un proche, ou pour des raisons plus générales, pratiquer un sport de défense permet d’ajouter un outil qui permettra, l’éventuel moment venu, de pouvoir, pourquoi pas, réagir, bien que cela ne soit pas aussi simple que cela. (En l’occurrence, concernant les agressions, et plus particulièrement les agressions sexuelles, il y a le phénomène de la paralysie qui peut bloquer totalement la victime. Cette paralysie peut encore ajouter au traumatisme quand la personne se demande sans cesse par la suite pourquoi elle n’a pas réagit alors que, techniquement, elle aurait été en mesure de le faire. C’est encore plus le cas quand les gens, la police et tout le monde, interrogent la/le concerné/e en y mêlant une once de scepticisme.)
En revanche, savoir de quoi une personne a peur, c’est avoir une arme contre elle, un moyen d’exercer une pression, de la rendre malléable ou de lui faire du mal. Je ne pars jamais du principe que la majorité des gens sont bons et gentils, mais je ne pars pas du principe non plus que beaucoup sont intrinsèquement mauvais et prêt à faire du mal pour le plaisir, même s’ils existent indubitablement. La plupart sont surtout lâches et pense en premier lieu à leur gueule et en cas de problème, se rangeront du côté le moins menaçant pour leur routine, leurs préjugés, leurs fesses. Une minorité n’est pas vraiment menaçante mais peut devenir agressive s’ils se sentent menacés dans leur autorité, leur personnalité. En gros, si d’un seul coup une personne trouve que vous êtes, à tort ou à raison, une menace pour son petit territoire, elle peut vous menacer. Une minorité aime bien profiter d’une situation, même très passagère pour se défouler, surtout par le biais d’internet où il est facile de se comporter en nuisible le cul bien posé sur sa chaise. Et ainsi de suite. L’occasion fait le larron dit-on. Je ne rentrerai pas dans les détails de « pourquoi / comment les gens en viennent à agir de la sorte. » D’une parce que ce n’est pas le propos de l’article, de deux parce que je ne suis pas psychologue et que les généralités et la psychologie de comptoir avec une touche de nouvel-âge à la con pour se donner une profondeur et une humanité de facade, bof. Et ensuite parce que cela ne change pas le propos.
Quand vous avez un secret à partager, vous choisissez soigneusement la personne à qui vous vous confiez.
Cela devrait être pareil avec les peurs, on devrait même être encore plus vigilant dans ce domaine qu’on ne l’est avec les secrets. Un secret partagé est de toutes façons un secret qui finira par être éventé, qui remontera à la surface, et pas forcément dans les circonstances où cela vous sera favorable, il y a même à parier que ce sera le contraire. Eviter d’avoir des secrets (ce qui ne veut pas dire étaler sa vie dans les détails à tout le monde) c’est s’épargner une bombe à retardement planqué dans un coin. Eviter de partager ses peurs intimes, c’est éviter qu’un jour quelqu’un dispose d’un arsenal contre vous. Les bons secrets sont temporaires, les « bonnes peurs » canalisées, disséquées, progressivement évacuée. Ainsi, c’est vous qui aurez une longueur d’avance « le jour où ».

Je sais que c’est théoriquement bien joli, mais dans la pratique, plus difficile à faire, surtout que par définition, les peurs sont dans la majeure partie des cas, irrationnelles, notamment concernant les phobies (au pif). Ca m’a toujours tordu la gueule en biais quand, toujours par exemple, une personne dit qu’elle a peur des coccinelles et qu’on lui répond « mais pourquoi, ca n’est pas méchant tu sais ? » Merci Master Of Obvious. (En plus si ca se trouve, la personne a été un puceron dans une vie antérieure, ha ha ha !)
Petite, j’avais peur de me faire interner : c’était une menace que mes parents utilisaient tout le temps. C’était devenu une terreur, une véritable terreur. La seule mention de « on va appeler l’asile et tu n’en sortiras pas » provoquait une crise de nerfs et de terreur redoutable. Cela a continué jusqu’à ce que je devienne majeure. Et puis un soir, la crise de trop, mon père a appelé je ne sais quel numéro et un internement sur demande a été demandé. Il est arrivé triomphant dans le bureau en me disant que ca y est, j’allais être enfermée chez les fous et que je n’en sortirai jamais. La terreur de mon enfance et de mon adolescence matérialisée devant moi.
Pourtant, de manière complètement inattendue, il y a eu un déclic. Je suis là, recroquevillée dans un coin. Déjà païenne, bossant à cette époque de manière très soutenue avec la Morrigan. Cette sensation tenue et grandissante de « tu as le choix. Ou tu fais face à tes peurs, et tu gagnes. Ou tu les laisses te dévorer et tu es foutue. Il n’y aura pas de seconde chance. »
La psy est arrivée. Interrogatoire. La nana qui essaie de me provoquer un peu, qui me saisit les bras pour bien en exposer les marbrures. A l’intérieur, le calme fluide et lointain d’une présence solide comme du granit qui m’intime l’ordre de rester tranquille. Etonnament, j’y arrive. En définitive, il n’y a pas eu d’internement. Etant majeure, mes parents ne pouvaient pas le faire, et la psy n’avait rien vu dans mon comportement ou dans mes réactions quelque chose qui le justifiait. Et quand j’ai entendu sa voiture partir, je me souviens être rentrée dans la cuisine et avoir lâchée froidement à mes parents que premièrement, ils s’étaient foirés s’ils voulaient se débarrasser de moi, et que de deux, maintenant, c’était quelque chose dont je n’aurai plus jamais peur.
Je ne me considère pas comme particulièrement courageuse. Il y a des périodes où j’arrive à encaisser pas mal de trucs et des périodes où cela marche beaucoup moins bien. Mes peurs ne sont pas constantes, elles dépendent des circonstances, de mon humeur, des lieux, de mon entourage. J’ai parfois peur de trucs très cons. Parfois j’ai eu peur pour rien et rien ressenti dans des moments plus risqués.
Je sais qu’on ne les contrôles pas, j’essaie juste de ne pas laisser de zones de nids de poussière sous le tapis. Je sais quelles zones sont parfois un peu crade à ce niveau là. Je ne sais pas forcément pourquoi. Certaines partiront, d’autres ne partiront sans doute jamais. Les peurs font parties de notre personnalité, de notre histoire et probablement aussi de notre histoire familiale.

La peur dans ma pratique

D’une certaine façon, dépasser ses peurs (ou au moins essayer de) est un acte que je considère comme une offrande. Comme quand j’allais sauter du haut du plongeoir de la piscine quand j’étais petite fille, pour repousser mes limites un peu plus loin et m’entraîner à devenir plus courageuse.
Au sein de la pratique proprement dite, j’essaie autant que possible de distinguer la peur du doute, même si les deux notions sont parfois « relativement » proches.
Est-ce que la peur instille le doute ? Ou est-ce que le doute, quand il grandit, devient une peur ?
Par exemple, la peur de la folie ou du « c’est dans ma tête » qui semble relativement répandu quand on bosse avec les Esprits. Garder une part de doute raisonnable ne m’apparaît pas comme quelque chose de problématique, bien au contraire. C’est accepter à la fois sa potentielle défaillance, permet de garder les pieds sur terre et évite de se mettre à prendre des vessies pour des lanternes. Mais si ce doute raisonnable -que l’on peut choisir d’écouter ou de ne pas écouter suivant les configurations- grandit au point de paralyser totalement l’action (pour faire simple), alors probablement, le doute est devenu une peur, et de cette peur, il peut advenir que l’on ait besoin de se rassurer, ce qui peut engendrer d’autres types de problèmes.
Douter des Esprits, des Dieux est sans doute un moyen de fonctionner pour éviter de se retrouver piéger. En avoir peur, (en français il y a moins de nuances à ce niveau là, mais en anglais, on peut traduire la peur « simple » par « fear » et la « peur respectueuse, pleine de ravissement » par « awe », ce qui permet plus de finesse) dans le sens le plus « simple » (fear) risque d’ouvrir des « portes » et de mettre en branle certains types de processus qui finiront par nous piéger exactement comme on ne le voulait pas. Dans le même ordre d’idée, pendant un rituel de groupe en forêt, si une personne se met à flipper et que par réactions en chaîne d’autres se mettent à flipper, il y a des chances pour que l’on soit en position de flipper soi-même (phénomène du groupe) même si ce n’est pas notre genre, mais en prime, on risque d’attirer plus de problèmes, d’Esprits et d’Entités pas franchement cool.

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