Odin est un dieu complexe, c’est le moins que l’on puisse dire.
Les débuts n’ont pas été des plus simples, et pour cause, j’y suis allée à reculons. Il m’a fallu pratiquement neuf ans pour arrêter de faire ma tête de mule. Et quand j’ai commencé à m’y intéresser, le réservoir d’eau suspendu au-dessus de ma tête s’est brutalement rompu, et je me suis pris 30 000 litres d’eau sur la tronche.
Il est souvent décrit, entre autres, comme un dieu de sagesse et de magie, mais les aspects prédominants dans ma pratique sont plutôt ceux de mort et d’extase, et quand j’y pense, les frontières entre ces deux notions sont assez perméables, au moins en terme d’énergie.
Il n’a pas grand chose de calme et de posé, je le ressens parfois comme une sorte de prédateur à l’affût dans le noir, vous guettant avec un large sourire en lame de couteau. Il y a quelque chose de cruel et d’affûté dans cette attente, quelque chose de sourd qui gronde et que l’on perçoit à peine. Formulé de la sorte, cela n’apparaît pas comme particulièrement joyeux, je sais. Je sais aussi que souvent, les rares bribes de ce que je relate à propos de cette découverte et de ce travail peuvent donner une impression de quelque chose de pénible, de terrifiant. Une très mauvaise expérience dont on se méfie. La réalité est différente, bien différente.
Je ne pensais pas qu’il me reconnecterait à la source que j’avais tant cherché avant de laisser tomber. Cet extase là n’a rien de mesurable. Ca a été comme d’être à côté d’un réacteur nucléaire. Quand les alarmes se sont déclenchées, il était trop tard. J’étais devant le réacteur et tout a sauté. L’image est violente, et les radiations l’ont été aussi. Mais violent n’est pas toujours synonyme de nuisible, ou de négatif. La violence dénote aussi une intensité, parfois plus qu’une intention.
Et la mort.
La mort de ce que je connaissais. Parce que toutes les certitudes, certes vacillantes pour certaines, que j’avais eu se sont trouvées balayées. Parce que certains aspects de ma vie ont valsés, certains écartés pendant un moment, d’autres fracassés. Parce que certaines déités ont été littéralement dégagées de ma vie. Tout le monde dehors, hop, circulez y’a plus rien à voir.
Loki était le dieu le plus ancien dans ma pratique. Le premier. Le seul du panthéon nordique que je trouvais intéressant. Et si je n’ai pas toujours fait que des choses intelligentes, censées ou réfléchies, il m’a énormément apporté. Il m’a aidé à une époque où il n’y avait plus rien d’autre. Et c’est par le chaos que j’ai retrouvé le chemin de ma pratique. Il y avait un avant. Il y a eu un après. Une barrière. « Maintenant c’est comme ça. Pour le moment en tout cas. » / « C’est mieux pour toi. Vas-y maintenant. »
Impossible de me reconnecter à ce niveau là. Les frontières sont closes et les demandes de visa balayées du revers de la main. No way.
Et même si aujourd’hui on pourrait dire que les choses se sont assouplies, quand j’écris sur Loki ou quand je pratique, je sens que ca n’a plus rien à voir. Je reste dans le factuelle, parce que de « non factuelle », il n’y a plus que des bribes effilochés qui subsistent encore de l’ancien tissage.
Est-ce que je regrette ? Certains impacts, oui, parce que je me suis sentie coupable. « Si j’étais restée à allumer des bougies blanches à la pleine lune, certaines choses auraient été plus simples » me suis-je souvent dit. (Probablement une connerie de plus à ajouter à mon compteur.)
Est-ce que je regrette ? Parfois, quand je me souviens des morceaux de verre dans le kaléidoscopes, je regrette leurs dessins et leurs enchantements. Mais la musique de leurs couleurs, je n’étais pas en mesure de l’apprécier. Pas comme j’ai pu apprécier une autre musique. Qu’est-ce qu’il y aurait à regretter, quand même les couleurs chantantes se figent, jusqu’à ce que vous les posiez ?
Dans le fond, en dépit des apparences, j’ai au moins autant reçu que donné. Cela n’a pas été facile, en sautillant et en claquant des doigts, apporté sur un plateau d’argent. Mais je mentirais si je disais que, au final, tout m’avait déplu. Je mentirais si je disais que tout était horrible. Je vous mentirais si je vous disais que j’ai continué sur ce chemin là par obligation.
Merci Loki.