Fini A la croisée des mondes. Enfin, fini, plutôt relu pour la cinquième fois.
Première lecture quand j’étais au lycée. Fini par un torrent de larmes, et cette foutue boule dans la gorge qui n’en finissait pas de se nouer. Relu à la fac, au fond de l’amphi, pendant les cours de grammaire. Passons.
Relu encore ici et là. Relu cette semaine. Et toujours la même boule dans la gorge. Sciée par l’érotisme brûlant dans un livre d’enfants, et par la volonté adulte de l’anéantir. A chaque fois que j’ai bossé en librairie, ca me surprenait cette manie des adultes d’exercer une censure sur ce que lisent les adolescents et les personnes âgées. Comme s’il y avait un âge approprié pour le désir. Passons ça aussi.
Et pendant cette lecture, réaliser brusquement qu’il se pourrait que l’on comprenne pourquoi cette trilogie a provoqué un foin du tonnerre de Zeus.
[Attention, spoiler]
Cette histoire avec le monde des morts, et du Paradis qui n’est qu’un mensonge, comme l’Enfer au passage. Le monde des Morts est aussi blindé et chiant qu’une salle d’attente de généraliste un mercredi après-midi. Et les morts se languissent. Ils se languissent du vent sur leurs visages. De la saveur des mets sur la langue. De leur corps.
Les Anges aussi. Ils ont beau être super méga fort, même Métatron se languit du temps où il était humain et où il avait un corps. Il se languit de pouvoir posséder une femme.
Alors, Lyra et Will ouvriront un passage pour que les morts remontent à la surface, qu’ils puissent se dissoudre. Que les atomes de leurs corps se mêlent aux arbres, aux étoiles, à ceux des daimons qu’ils ont tant chéri. Leur propre part d’âme externe,visible, palpable.
Et les harpies demanderont des histoires, des histoires vraies, en échange de leur aide pour rejoindre le passage.
[Fin du Spoiler]
Et pendant que je dévorais chaque ligne, chaque mot, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à pleins de parallèles. Déjà, l’histoire de Will et Lyra me faisait penser irrésistiblement à Balder et Hel. Oui, je sais, pas accurate. Le mythe est très différent du roman, mais, et ceci est absolument non-factuel, non mythologiquement correcte, n’importe quoi à donf, mais je ne peux pas m’empêcher de les voir en transparence dans ce réçit. Je suppose que n’importe quelle mythologie possède une histoire sembable, et Pullman a fait ce qu’à fait Tolkien avant lui : il a pris les mythes, certains grands textes, comme le Paradis Perdu de John Milton, et il a puisé dedans. Et si je vois Balder et Hela en Will et Lyra, c’est parce que la mythologie nordique est celle qui me parle le plus. Je transpose mes propres référentiels, et les humains donnent aux Dieux une profondeur bouleversante, que je suppose n’être pas capable d’appréhender autrement.
Et concernant les histoires vraies devant être racontées, je repense aux Dísir et aux morts. A raconter leurs propres histoires. A conter au coin du feu, sur les lignes d’un blog, dans le recoin d’un carnet les méandres de leurs vies. A prononcer leurs noms, le doigt posé sur des photos poussiéreuses, en les montrant à des enfants qui feront un jour de même. Et alors que je ne pensais jamais faire ca, pour des raisons qui me sont propres, il me vient en mémoire que je l’ai déjà fait, en parlant de ma grand-mère. Il me vient en mémoire ce moment où durant un blót, j’ai honoré R., dont le nom incertain est venue de manière improbable. Mais dans le fond peu importe, parce que la vrille au creux de la poitrine se moque bien de l’état civil, et que l’essence de la mémoire, elle, était là.
Et alors que je le fais pour certains de mes ancêtres -puisque les choses étant ce qu’elles sont, parfois c’est compliqué-, alors que je me bagarre pour qu’on n’oublie pas le nom de cet homme, suisse-allemand, qui a adopté mon grand-père après la Première Guerre Mondiale, et que ce combat fait parfois ricaner autour de moi (au passage je vous emmerde), je me dis que la théologie autour de la vie éternelle, elle, me fait bien marrer.
Je me fous complètement de savoir s’il y a un truc ou pas. Je voudrais qu’il n’y ait rien. C’est censé nous rassurer, je ne vois pas ce qu’il y a de rassurant. Exactement comme quand les gens pensent vous aider ou vous réconforter en vous balançant que « la mort est juste le début ». M’ouais, et si moi ca m’arrange que ce soit la fin ?
Le problème, c’est que la vie après la mort, elle est partout. Sauf chez les athées. Merde, je suis pas athée. Je suis polythéiste. J’ai pas envie d’être athée, je l’ai été pendant mon adolescence. Trois ans, trois ans à vider mon stylo plume dans un geste gracieux pour maculer le mur de tâche d’encre noire, parce que je refusais d’écrire en bleu écolier/regular/effaçable.
Je crois que j’aime profondément les Dieux que j’honore. Maladroitement, oui absolument. Non sans révoltes ou blagues potaches pas très drôles. Non sans doutes. Mais… Ouais.
Elles devraient plutôt me réjouir, ces théories. Mais ce n’est pas le cas. Bien au contraire, je trouve qu’il n’y a rien de plus flippant, je ne sais pas expliquer vraiment pourquoi. Toujours dans le bouquin [Re-Spoiler] il y a ces chapitres où il est raconté que notre propre mort se tient toujours à nos côtés, que nous pouvons apprendre à la connaître, mais que la plupart des gens en ont peur. [Fin du Spoiler]
Je trouve que loin d’être effrayant, c’est plutôt génial. Au passage, ca me rappelle le Conte des Trois Frères, dans Harry Potter. Un de mes contes préférés. On ne peut jamais duper la mort, ni avoir le dessus sur elle. On ne peut pas la vaincre, on ne peut ni l’amadouer, ni la soudoyer, ni la corrompre. Mais on peut apprendre à la connaître, comme on fait connaissance avec un ami qui viendra un jour à notre rencontre.
Dés lors, je ne comprends pas pourquoi il faut « une terre promise emplie de béatitude » pour ne pas avoir peur de la mort (parce que c’est souvent la manière dont c’est perçu. Pour autant, chacun à sa propre compréhension, manière d’appréhender, je ne pense pas que le fait de considérer qu’il y a quelque chose après dénote automatiquement une crainte de la mort, c’est juste dans ma manière d’appréhender le phénomène, pas une vérité générale). Soit on a peur d’elle, et alors ce qu’il y a derrière est un promesse pour se rassurer, pour se donner du courage, pour masquer son doute et ses craintes. Soit on n’a pas peur de sa propre mort, et alors, qu’il y ait ou non quelque chose, peu importe. Dans ma façon d’appréhender les choses en tout cas, cela ne signifie pas que cela doit être pareil pour tout le monde, ni même qu’il y a une seule réponse possible, une seule voie envisageable rendant toutes les autres caduques. L’idée que ce qui nous attends après la mort puisse être un choix personnel et pas imposé par une croyance, après tout, pourquoi pas. Peut-être que ce serait ça la vraie liberté.
Je me doute qu’il y a dans certains cas de figures, une idée de récompense, mais je ne la comprend pas non plus. Intellectuellement disons que je comprends le principe, mais je n’y adhère pas, parce que de la façon dont je considère les choses, c’est inepte. La mort est un fait, c’est tout. Et ca ne sert à rien de flipper sa race devant un fait, c’est un peu comme si quelqu’un avait soudainement des crises d’angoisse parce que la terre est ronde, et qu’elle tourne autour du soleil. Je comprend qu’on ait peur de perdre une personne que l’on aime, qu’on s’inquiète de ceux qu’on laisse derrière soi, mais j’ai tendance à les considérer comme des dommages collatéraux. Avoir peur d’un dommage collatéral, c’est normal, c’est même logique puisque ses paramètres ne sont pas fixes, le cas de figure peut donc être très différent suivant les personnes, les moments, les endroits. On peut dans une certaine mesure avoir une influence relative sur eux. Mais la mort, en tant qu’acte performatif, c’est le noyau. Les circonstances et tout le bordel, on ne peut pas savoir comment ils seront disposés, on peut faire des suppositions. Mais ils tournent autour du noyau qu’est le phénomène de la mort.
Le souci, c’est que 7 fois sur 10 (et je suis sympa), quand vous essayez d’expliquer cela, les gens vous prennent soit pour une cinglée, soit pour une psychopathe, soit pour une personne suicidaire (voire les trois en même temps, co-co-co-combo breaker). Comme si, pute borgne, être un curieuse de sa vie et en profiter impliquait obligatoirement qu’on doive se pisser dessus devant la mort (c’est malpoli, ma mère m’a mieux élevée que ça). Nope.
(Le titre de l’article est tiré du poème Fugue de mort de Paul Celan)