La communauté païenne est-elle dangereuse ?

Note : J’utilise le terme « communauté(s) païenne(s) », abrégé(s) en CP au fil de l’article, pour désigner les personnes, groupes, associations et autres gravitant autour du (néo)paganisme. Ceci afin de simplifier les propos.
Il est question ici de la France, pour des raisons évidentes.
Je remercie chaleureusement les deux personnes qui ont accepté de relire cet article et m’ont fait part de leurs observations. Le sujet pouvant être épineux, je souhaitais avoir un avis extérieur avant toute publication. 

[A lire avant d’entrer dans le vif du sujet]

⇒ Cet article trouve son origine dans un rapide échange avec deux personnes, échange au cours duquel une des personnes expliquait avoir toujours fait preuve de la plus grande méfiance avant de « mettre son pied quelque part dans la CP », tandis que l’autre, ayant une approche différente, demandait quelle pouvait être la nature de ces dangers.
Après avoir répondu rapidement, je me suis demandé « pourquoi ». Pourquoi est-ce une question que l’on se pose / doit se poser ? Qu’est-ce qui dans la façon dont les choses fonctionnent, dont les gens se croisent peut augmenter -ou parfois réduire- les risques ? Comment présenterai-je le tout si le moi d’il y a vingt ans venait me poser cette question ?

⇒ Il a des airs « Captain Obvious », parce qu’il a été écrit dans le but d’essayer d’expliciter les mécanismes qui sous-tendent la/les CP, d’en comprendre les bases de fonctionnement et de ce qui en découle. A aucun moment, il n’est destiné à être autre chose que généraliste, et ne prétend pas être une vérité complète et absolue. J’ai essayé de l’écrire en restant factuelle autant que je pouvais.

⇒ Je ne rentre pas dans les détails de tout ce qui « peut survenir dans les cas les plus dramatiques » ni ne donne d’exemple ouvertement explicite quant aux abus. Pourquoi ? Parce que certaines personnes ayant vécu des traumas similaires peuvent les voir se réactiver, d’où la mention de plus en plus fréquente de « trigger warning », qui est un minimum quand on aborde certains sujets, et que le but, justement, c’est de faire de ce pavé une lecture accessible au plus grand nombre.

⇒ Bien que quelques exemples de red flags soient glissés au fil des mots, le but n’est pas ici, spécifiquement, d’en dresser une liste.

⇒ « Tu fais chier, c’est un pavé ton truc. » Oui, vu la nature du sujet, je me voyais mal le couper en deux ou trois parties. (Ça aurait été parfait pour du putaclic remarquez).

1/ Considérer la base

Premièrement, et pour essayer de poser une base, le socle des communautés païennes ne repose pas exactement sur le même que celui, disons d’une communauté se regroupant autour du tricot.
S’il y a, et qu’il doit y avoir, des bases communes au niveau du comportement admissible / non admissible, puisque nous évoluons au sein de la même société (occidentale du XXIe siècle) et que nous sommes régis par les mêmes lois (enfin, en principe), les raisons de la présence d’une personne et les sujets abordés sont bien évidemment très différents.

Il y a, chez les païens, non seulement une foultitude d’histoires et de parcours personnels mais on y aborde également des sujets qui sont plus généralement passés plus ou moins sous silence, parce que non pertinents ou alors seulement spécifiques dans certaines communautés « de niche ». J’explicite :

→ Pour reprendre l’exemple du tricot, il n’y a pas besoin d’aborder des thèmes comme la mort (bien que le sujet puisse éventuellement, on peut l’imaginer, survenir de manière épisodique pour X raisons.) Ce n’est pas ce qui va préalablement orienter les personnes VERS la communauté « tricot », même s’il n’est pas possible d’exclure que cela puisse être le cas pour certaines personnes ou que cela ait joué un rôle dans leur parcours.

→ D’autres communautés qui vont aborder certains de ces thèmes (par exemple celui du deuil périnatal) vont le faire spécifiquement dans cette optique. Il est rare que des individues (oui, au féminin) aillent spontanément vers ce type de communauté sans y être confrontée (de manière personnelle / directement autour d’elle / en tant que professionnelle), même si cela arrive, mais dans les faits, c’est globalement -et malheureusement- plutôt rare.

a) Des sujets liminaux

Plus qu’une seule communauté, il est pertinent ici de distinguer grossièrement deux parties dans la CP : celle qui se regroupe davantage autour des axes de la sorcellerie / pratique magique et celle qui est plus axée dans une relation -parfois non personnelle- avec les divinités. L’étendue des sujets abordés couvre un très large spectre. Ce n’est pas la même chose d’essayer de reconstruire le plus factuellement possible une religion antique, de pratiquer certaines formes de sorcellerie ou de magie avec possiblement des rituels spécifiques autour d’une initiation / de pratiquer les Arts divinatoires et j’en passe.
Sachant que dans les faits, ces « axes » ne forment pas des isolats impénétrables et qu’il est possible de cocher plusieurs catégories. Certaines des problématiques et des risques exposés dans cette partie concernent un peu plus spécifiquement la CP « sorcière », bien que la partie « polythéiste » puisse être également concernée.

Au cœur des communautés « sorcière » et « polythéiste », on retrouve toute une série de sujets liminaux par rapport à la société globale dans laquelle nous évoluons. On ne parle pas de sport(s) ou d’aquarelle, on parle de transe, de possession, de divinités, de leurs présences, de trauma, de recherche de guérison, de communication avec la nature, de sexualité, de prise d’enthéogènes, d’empouvoirement… pas vraiment des choses dont il est possible de discuter avec le tout-venant entre deux portes. Aussi passionnants soient ils, ce ne sont pas des sujets anodins et sans conséquences.
Nous venons tous avec nos bagages personnels, notre vécu, et nous avons chacun.e notre propre cheminement, des sujets auxquels nous sommes davantage sensibles que d’autres.

Le corollaire plus sombre de ces aspects liminaux, c’est notamment toute la thématique liée aux gourous, aux abus de toutes sortes et à la possible fragilité / crédulité de certaines personnes, par exemple en raisons de traumas passés.
Enfin, il existe aussi des gens qui viennent à emprunter ces chemins, soit avec des intentions qui les rendent possiblement nuisibles pour d’autres, soit qui au fur et à mesure de leur pratique, de leurs fréquentations et de toute une pléthore d’autres facteurs, vont devenir dangereux. Ce n’est pas le cas le plus fréquent, mais croire que ces personnes n’existent pas est une erreur.
Il y a ceux qui mentent et vont essayer de fourguer de la camelote (physique ou spirituelle) et qui le font sciemment dans le but d’arnaquer (tous ne font pas partie de la CP, certaines personnes profitant « juste » de l’étiquette pour le marché juteux qu’elle attire. Cependant et bien qu’étant externes, ils font partie des problèmes que l’on peut rencontrer « de l’intérieur ».)
Parfois, certains aspects peuvent être perçus comme sulfureux, par exemple la pratique de la nudité rituelle (skyclad) et dans les faits, n’être pas problématique au sein d’un groupe. Parce que toustes celleux qui en font partie sont clean sur la question et ont un comportement approprié. Pour autant, le groupe peut être « clean » sur la question de la nudité rituelle, mais pas sur d’autres plans, ce qui peut s’avérer tout aussi problématique, mais qui sera peut-être, au moins dans un premier temps, moins perceptible.
Pour reprendre l’exemple du skyclad, d’autres groupes peuvent effectivement avoir en leur sein une personne qui a tendance à « mater », voire à commenter ensuite à guichet fermé. (Je n’évoque pas de problématique plus explicite, parce que je pense que le tableau de potentialité est suffisamment évocateur.) Une des réactions peut être de se dire « oh ben ça va, si ça n’en reste qu’au matage, y’a pas de quoi fouetter un chat ». Alors, vous pouvez être concerné.e et ne pas vous en soucier, ce qui est votre liberté la plus stricte. La ou les personne(s) concerné.e.s peut/peuvent être très mal à l’aise voire plus. Cela peut aussi, plus sournoisement, progressivement vous « insensibiliser » à des comportements qui ne sont pas acceptables.
J’explique, en reprenant l’analogie de la communauté de tricot évoquée plus haut.

→ Dans un club de tricot, en général, on ne se met pas nu.e pour tricoter. Dans certains rituels au sein de certains groupes de la CP, c’est une possibilité. Déjà, les « bases » de ce qui est « acceptable » ne sont pas les mêmes.
Qu’on le veuille ou non, il y a déjà un « brouillage » par rapport à ce que l’on peut connaître dans la vie de tous les jours. Alors si ces moments, où nos points de repères habituels ne servent plus, s’avèrent en plus entachés de comportements ou de problématiques qui n’ont rien à y faire, le risque est de considérer cela comme étant en fait « normal » et non pas « problématique ». Et d’accepter de plus en plus de situations qui seraient autrement perçues comme largement abusives / risquées avec éventuellement une escalade dans la gravité des situations abusives.
L’autre aspect risqué, c’est de n’avoir jamais été en position de questionner / de ne pas s’être rendu.e compte qu’il y avait de facto un énorme problème, et de finir par se retrouver en position où l’on peut devenir la personne abusive.

J’ai pris l’exemple du skyclad, parce que dans les années 2005, c’était vu comme très très sulfureux. D’autant qu’on ne trouvait pas d’informations ou très peu, et qu’il y avait peu d’endroits où poser des questions ou avoir un back-up pour checker si c’était sain et normal ou pas. Ce n’est bien sûr qu’un exemple, et ce type de schéma peut s’adapter à bon nombre de pratiques.

En parlant de pratique, une autre question se pose : où s’arrête une pratique saine et où commence une pratique malsaine ?
Si on se cantonne à l’aspect purement humain, c’est déjà compliqué de savoir à quel moment une relation devient toxique (qu’elle soit amoureuse, professionnelle…) ou quand nous sommes dans une situation de violence (notamment quand la pratique est banalisée par le milieu au sein duquel on évolue, je pense par exemple aux pratiques de management de certaines entreprises), alors comment on fait quand on est en présence de pratiques comme les rituels de possession ? Les transes ?
Comment sait-on si c’est vraiment le rituel qui part en couille ou si c’est la personne qui va utiliser ce biais pour profiter de son niveau d’influence sur les autres ? Comment fait-on vérifier ? Par qui ? Il n’y a pas d’instances, de spécialiste(s) neutre(s) avec un diplôme. On peut trouver des personnes non directement concernées et extérieures à la question, mais là aussi, on les trouve comment ? Par le bouche-à-oreille ? Dans une communauté plus développée et différente ?
Je n’ai pas de réponse toute faite à ces questions, mais cela fait partie des aspects à garder en tête et d’y réfléchir, sans doute avant même de commencer à rencontrer un groupe ou autre. Comme me l’a soufflé très justement une des personnes qui a relu cet article : « quand on commence à se poser des questions, ne pas évacuer les choses du revers de la main. On ne se questionne jamais à partir de rien. »

Enfin, et si je ne rentrerai pas dans les détails au fil de cet article, oui, la pratique de la magie / des rituels / du seiðr… de ce que vous voulez, n’est pas sécuritaire. Oui, on peut se ramasser des bricoles. Même des rituels censés être positifs / bénéfiques pour une communauté peut avoir « un bug » pendant qu’il est performé et devenir l’inverse de ce qu’il était censé être.
Certaines pratiques semblent plus risquées que d’autres, mais dans tous les cas, le risque zéro n’existe pas.
D’où, je pense, l’importance d’essayer de comprendre, de décortiquer, de pouvoir échanger, questionner, évoluer… Quand on arrive, et que l’on a peu ou pas de points de repères fixes, comment on fait pour savoir si une pratique est légitime ? Si c’est vrai ? Si le groupe est sain ou pas ?

 

2. Un « monde païen » qui n’est pas « du monde »

Pour ne pas alourdir mon pavé, je ne retracerai pas l’histoire de figures comme celle de la Sorcière, ni ne raconterai l’importance du groupe et des risques qu’il y a/avait à se trouver « à la marge » ou à être « une minorité », supposant que chacun.e possède un minimum de représentation quant à ces sujets.
Tout ceci pour dire qu’il y a déjà une double caractérisation dans la CP sorcière et non sorcière : premièrement une variation plus ou moins grande par rapport à la norme* sociétale française contemporaine (descendant directement des Lumières, qui n’a quand on creuse, de Lumières que le nom…) mais aussi un certain historique d’opposition par rapport à cette norme*. [« Norme » désignant ici « ce que l’on retrouve le plus souvent / le postulat généralement présupposé faute d’informations complémentaires.]
Par « opposition » je n’entends pas ici un rapport de lutte (bien qu’il puisse coexister), mais plutôt deux constructions différentes qui bien que pouvant être proches, se distinguent de manière marquée, un peu comme dans un tableau. Que ce soit de manière consciente ou inconsciente, on note souvent cette marque dans de nombreux ouvrages ou témoignages : la marque d’une différence ressentie, de la recherche d’autre chose, d’une conscience que d’autres ne semblent pas avoir.

Cette opposition, couplée à d’autres facteurs qui ne sont pas propres à la CP (notamment l’impossibilité de pouvoir/devoir expliquer une partie de la nature du groupe / du rite, l’attitude potentielle de la police / des gendarmes, la peur d’être pris.e de haut -fondée ou non-, la difficulté d’arriver à porter plainte, la complexité des fonctionnements judiciaires,  et j’en passe) peut finir par favoriser un processus d’isolement.
Ce processus va par exemple, contribuer (je dis bien contribuer, parce que ce n’est pas un seul facteur qui entre en jeu) à empêcher les gens d’agir face à certains types d’abus voire de violence(s). Plutôt que de faire intervenir des gens situés à l’extérieur du groupe (type médecins, police, etc), le groupe essaiera de régler « ça » de manière « privée » (quand il le fait). Je souligne que ce n’est évidemment pas uniquement une question « de volonté » parce qu’en fonction des potentielles réactions que l’on a rencontrées au cours de nos vies, du soutien ou de l’absence de soutien, des peurs et des enjeux potentiels qui seront différents pour chacun.e, mais aussi des processus d’emprise, cela dépasse la simple question lâcheté / courage telle qu’on la voit souvent décrite de façon binaire.

Et si nous, nous nous considérons comme étant « du monde », parce que par exemple, nous sommes simplement « polythéiste soft », c’est le monde qui considérera que nous n’en sommes pas. On peut trouver différents degrés d’acceptation, validation et autres, mais à un moment donné, plus ou moins haut, cela risque de coincer (je pense notamment aux systèmes judiciaires, aux enquêtes sociales et j’en passe). Les structures et le poids des PC actuels ne nous permettant pas -encore- d’être autre chose qu’une minorité non influente. 

Des structures extrêmement mutables et diverses

Rares sont les groupes stables et nombreux. Ils sont même davantage des exceptions plutôt que la règle. La majorité des groupes existant se composent d’un petit nombre de personnes qui évoluent librement sans structure fixe ni de cadre légal, (a contrario d’une association qui doit avoir un statut enregistré et des membres désignés pour les fonctions administratives) leur longévité est variable.
On retrouve aussi quelques très rares associations françaises.
Ainsi, on a des personnes majoritairement isolées (voire des petits groupes informels) éclatés sur le territoire, avec des poches de concentration suivant les zones / type de pratique.
On a donc, nonobstant la diversité des pratiques religieuses / spirituelles / magiques, une constellation de groupes qui peuvent avoir des politiques de base et des règles de fonctionnement très différents les uns des autres, pour le meilleur comme pour le pire. En général, la plus universelle concerne la non admission de personnes mineures (ou alors pour le cas d’association, avec une autorisation signée de la part d’un représentant légal). Pour tout le reste, c’est à l’avenant et pas forcément toujours simple d’avoir certaines réponses, notamment parce que la majorité… n’ont pas forcément eux même idée de quelle attitude adopter sur place si tel ou tel truc ne se passe pas du tout comme prévu.

Ces groupes sont généralement relativement difficiles à trouver si on vient de l’extérieur et qu’on essaie de démarrer par une classique recherche google, même si ces dernières années, le développement des réseaux sociaux a fait changer la donne : ainsi le bouche-à-oreille se fait aujourd’hui énormément par ce biais : groupes FB, pages insta et autres. Certains sont publics, d’autres très confidentiels.

Ces groupes évoluent rapidement que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Les gens vieillissent et n’ont plus le temps de prendre part à des événements spécifiques, ou alors déménagent. La structure aussi bien que les participants changent. Retrouver la trace d’un ancien groupe, des traces de son existence, des archives ou avoir des confirmations d’autres personnes peut s’avérer une gageure.

Enfin, beaucoup sont surtout des groupes d’ami.e.s qui pratiquent ensembles et n’ont donc logiquement pas ou rarement d’autre « porte d’entrée » que le cercle de relation.

En fonction des sujets / thématiques / axes de pratique, il est légitime que certains type de groupes n’aient pas nécessairement vocation à accueillir du monde de manière ouverte, ni à être trouvable : de ce point de vue-là, il n’est pas possible de comparer un groupe à visée reconstructionniste et un groupe qui pratiquerait certaines formes de magie.

3. Des identités polymorphes

Les réseaux sociaux mentionnés au paragraphe précédent sont souvent une donnée très appréciable autant pour les nouvelles générations -qui ne sont plus seul.e.s dans leur piaule à planquer un livre sous le matelas en cachette- que pour les plus anciennes, puisqu’on a la possibilité d’échanger, de confronter nos points de vue, de pratiquer nos rites et nos rituels, bref qu’on a la possibilité d’accéder, ne serait-ce que virtuellement, à une communauté relativement diversifiée pouvant partager informations, ressources, et tant d’autre choses positives.

Cependant, toute médaille a son revers, et c’est devenu aussi plus difficile de savoir exactement où on débarque ; même en sachant que popularité et qualité ne vont ni de pairs ni ne sont antagonistes, c’est une véritable jungle -spécialement quand on débute- pour parvenir à trier l’information et y dénicher ce qui est pertinent par rapport à son cheminement personnel. La qualité des contenus est très variable, non seulement d’une personne à une autre, mais aussi suivant les sujets abordés : une personne offrant du contenu en ligne qui peut être très bon sur certains axes, moins sur d’autres.

Enfin, sur les réseaux, il est facile de changer d’identité. On efface tout et on recommence avec une nouvelle interface, un nouveau design et un nouveau pseudo.
C’est aussi possible IRL quoique moins fréquemment : comme la « population » change, que des nouveaux arrivent, on se fait oublier, on monte un nouveau groupe, un nouvel atelier et pouf. La dynamique des groupes, sans parler des « Amicales de Pratique », fait qu’il faut bien connaître les gens pour avoir des informations fiables sur qui se trouve derrière tel ou tel nouveau truc qui a fait pop.

Par manque de place, je ne détaillerai pas le fonctionnement des nouveaux réseaux sociaux, de plus en plus spécifiques, avec un algorithme difficilement compréhensible et dont les règles changent extrêmement fréquemment, rendant quasi-obligatoire la fréquence toujours plus importante non seulement des publications / vidéos mais également différents types d’échanges avec sa communauté / d’autres internautes. D’où la multiplication de tendances en cascade mais aussi des clashs plus ou moins vrais, pour générer de l’affluence. Pourquoi en parler ? Parce que ces nouveaux réseaux favorisent et contribuent à créer une fausse sensation d’intimité avec le compte suivi/ /  des sensations de comparaisons délétères pour l’estime de soi / des phénomènes de harcèlements prenant des proportions toujours plus importantes et j’en passe.

Concernant l’identité sur internet / dans la CP, si les raisons de base sont tout à fait compréhensibles et prudentes, à savoir une certaine discrétion -hautement nécessaire pour certaines professions-, la volonté de ne pas afficher publiquement ses croyances, choix personnels, etc. Il ressort néanmoins que c’est difficile d’avoir un aperçu juste et complet du nombre de pratiquant.e.s, de la composition d’un groupe, de l’identité personnelle (« civile » ou « paganisée » du moment qu’elle est stable, c’est à dire qu’elle ne change pas tous les quatre matins) et donc de pouvoir clairement se prémunir de certaines personnes abusives / de les empêcher de revenir après une éventuelle éviction d’un groupe / d’éviter à des gourous et autres de remonter leur arnaque.

En cas de problèmes du type abus, harcèlement, violences et j’en passe, cela complexifie considérablement les signalements ou les recours (sauf dans les associations où il est normalement possible d’en référer au bureau qui doit, en principe, prendre les mesures appropriées.)
En général, une personne équilibrée dans sa pratique et qui essaie d’avoir un fonctionnement sain ne ressent pas le besoin de changer de pseudo, ou de se créer une nouvelle identité tous les trois mois ou après un énième pétage de câbles, et ce de manière répétée, en effaçant à chaque fois les traces de l’ancienne. (Je ne parle pas ici de la personne qui s’inscrit sur un forum ou sur un discord avec un pseudo, et qui en utilise un autre sur FB.)

La/les CP sont de petites communautés, et plus rares sont celleux qui y restent de manière « active » pendant une voire deux ou trois dizaines d’années. Rares tout court sont celleux qui s’impliquent pour faire quoi que ce soit de concret (se rendre à un blot, organiser un groupe IRL, un atelier en ligne…) me dit-on dans l’oreillette.
Conjugué à une partie de ce qui a été énoncé au point b) un monde païen qui n’est pas « du monde », on peut également assister à un processus d’intériorisation extrêmement toxique : autrement dit, on ne parle pas à « l’extérieur » des problèmes que l’on rencontre dans la CP, pour ne pas « menacer » cette même communauté. (Et en même temps, quand on voit déjà le sort réservé aux enfants qui dénoncent l’inceste et aux mères protectrices, on a envie de dire « comment vous voulez faire ? »)
A noter que ce n’est pas « un choix » qui est « conscient », mais plutôt une zone bien grise au milieu d’une autre zone bien grise. Si on parle, comme il n’y a pas de « politique officielle païenne » ou « d’instances régulatrices », c’est un peu « au petit bonheur la chance » en fonction d’où on parle, de qui on est, et des « bonnes relations », ainsi que de la nature même de ce qui peut être problématique (et là on en revient au point a) des sujets liminaux).

La parole, les serments, les actes.

Au cours de ces deux-trois dernières années, où des changements pour le moins drastiques ont eu lieu à différents niveaux de ma vie (pour ne pas dire tous), j’ai eu l’occasion d’approcher différents groupes et la chance de participer à toutes sortes de rituels, de blots et de sumbel. Comme toujours, je trouve que les généralisations sont sinon dangereuses, au moins délicates. Elles peuvent induire en erreur et conduire autrui à se faire une image faussée ou des présupposés pas forcément valables, et finalement s’avérer néfastes sur le long terme. Il convient donc, comme toujours, de considérer que mes réflexions et mes positions sont relatives à mon expérience, et qu’elles peuvent par conséquence être proches des vôtres ou au contraire diamétralement opposées, ce qui n’en invalide intrinsèquement aucune : elles rendent juste compte de sommes de vécus différents.

La parole d’un individu est une donnée importante dans l’Asatrù. (Un terme que j’ai toujours un peu de mal à employer pour qualifier ma pratique, pour différentes raisons. Néanmoins, il faut reconnaître que, à l’heure actuelle, s’il fallait n’utiliser qu’un seul terme pour essayer de baliser et de qualifier l’ensemble de ma pratique, autant en terme de perception que de rites,ce serait encore celui qui conviendrait le mieux. Je ne suis pas franchement une polythéiste éclectique, pas vraiment « néo-païenne » dans le sens où ce terme semble globalement utilisé à l’heure actuel, et encore moins wiccane et compagnie.)

Lors d’un sumbel, on considère que tout ce qui va être dit doit être considéré avec prudence, puisque que ces mots ont un impact direct sur l’Örlog, et que de manière générale, la destinée (le wyrd) de tous les participant/e/s est liée. En d’autres termes, pour simplifier le schéma, disons qu’une personne s’engageant à faire quelque chose en un temps donné, ne s’engage pas seulement individuellement, mais qu’elle engage toutes les personnes participants à ce sumbel. Cette façon de considérer l’individu, non comme un élément entièrement indépendant libre d’agir à sa guise, mais comme élément intégré et ayant une part de responsabilité dans la vie de son groupe (le kindred ou le clan) et de ses membres pouvant s’expliquer directement dans la structure des anciennes sociétés germaniques et nordiques, (mais aussi, quoique de manière différente, dans bons nombres de sociétés et de structures anciennes) où la survie de tout le groupe dépendait de la solidarité et des capacités d’action de chacun de ses membres. (Notamment au vu des conditions de vie particulièrement difficile en raison du climat, de la pauvreté de la terre et de toute une série de facteurs. Pour rappel, les conquêtes des vikings -qui ne se nommaient pas ainsi eux même, pas plus qu’ils ne devaient utiliser le terme Asatrù- étaient à la base en partie motivées par la nécessité de trouver des terres cultivables.)

Prêter est un serment n’est pas un acte anodin, il s’agit d’un contrat verbal passé entre plusieurs partis : la personne qui prête serment, l’éventuelle autre personne (ou les témoins / membres du clan qui se retrouvent impliqués indirectement mais qui doivent s’assurer que le serment est rempli) et les Dieux. Une des suivantes de Frigg, Vár, est la gardienne des serments. La personne qui n’honore pas l’un de ses serments peut être punie, soit par les membres du clan, qui sont alors en droit de considérer que cette personne n’est pas honorable et ne peut donc pas demeurer dans le clan, mais aussi par les Dieux (c’est aussi une des fonctions de Vár.) La question corollaire qui vient donc généralement immédiatement en tête c’est « oui, mais comment fait-on si, pour une raison indépendante de notre volonté, on se retrouve dans l’incapacité d’honorer un serment ? » Et bien, c’est à vous qu’il incombe de réfléchir auparavant à cet éventuel cas de figure et à formuler votre serment de manière à ce qu’il comporte une porte de sortie pour ne pas se retrouver en porte-à-faux en cas d’incapacité.
Vu par le prisme actuel, on pourrait considérer que cette façon d’agir est semblable à ces petites notes écrites en tout petit à la fin des contrats d’assurance, et que quelque part, c’est un sauf-conduit bien commode. C’est à la fois vrai et faux. Vrai parce qu’à partir du moment où il est possible de trouver une échappatoire, on peut se demander quelle est valeur du serment initial. Il est alors commode de trouver une manière de se défiler pour ne pas avoir à remplir le serment tel qu’il a été passé au départ. Et bien, tout est dans la manière et dans le contenu : si vous passez un serment qui n’implique pas un réel effort de votre part, qui n’est pas un challenge, et que vous évaluez d’office qu’il y a une grande probabilité pour que vous vous rabattiez sur votre porte de sortie, alors ne passez pas de serments. D’autre part, cette « porte de sortie » ne devrait pas être une solution de facilité pour les paresseux mais devrait être tout aussi exigeante, quoique différemment.
Sinon, votre serment n’a pas de valeur. Et si vous ne remplissez pas vos engagements, alors vous n’avez pas de paroles, et si vous n’avez pas de paroles, alors vous n’avez pas de valeurs. Cela peut paraître froid et abominablement cynique, mais il faut garder à l’esprit que, remis dans les contextes anciens évoqués plus haut, toute cette organisation avait un sens capitale. Une petite structure sociale isolée, si elle voulait survivre, ne pouvait pas se permettre certaines libertés que nous pouvons aujourd’hui nous permettre sans plus de dommages que quelques egos froissés et une ou deux jérémiades sur Facebook.

Ceci étant dit, il me paraît important de préciser quelques points qui viendront nuancer quelque peu le propos. Premièrement, la notion du respect de la parole (et autres) ne voulaient pas dire que les ruses et autres fourberies étant inexistantes et que la subtilité étant inconnue, bien au contraire, il y a un certains nombres d’exemples dans ce sens, autant dans les Eddas que dans les Sagas. Voilà pour le premier point.

Le second point, et pas le moindre, étant que le fait de prêter un serment est tout à fait facultatif. Le serment, bien qu’il soit fréquent, surtout dans certaines occasions particulières, comme un sumbel funéraire, par exemple, n’est en aucun cas une obligation et il est bon de s’en souvenir. Le fait de lire et de se documenter est une très bonne chose, mais cela ne se substitue pas à l’expérience ou au vécu. Je me souviens avoir lu une quantité de choses avant d’assister à mon tout premier rituel de groupe, qui s’est avéré être un sumbel funéraire. Auparavant, j’avais bien lu que, effectivement, le degré d’alcoolémie allant croissant, les participant/e/s avaient tendances à se lâcher, tant au niveau des toasts portés qu’au niveau des éventuels serments prononcés. C’est une chose de le lire dans une étude universitaire qui se base en partie sur Beowulf, c’en est une autre que d’y assister (quelques siècles après Beowulf quand même…) et de constater que, outre le degré d’alcool, il y a aussi une énergie très particulière qui se dégage et un effet d’émulation qu’il peut être important de garder en mémoire, avant de faire une éventuelle connerie parce qu’on aura été tenté de rentrer dans la compétition de « kiki-kala-plulongue ».

Certains individus ont les serments faciles et en prêtent souvent, pour des motifs variés et pour des raisons qui les regardent. D’autres le font beaucoup moins aisément et toujours en choisissant leurs formulations avec une précaution de jésuite. Pourquoi ? Les serments peuvent être une arme à double tranchant, et le destin peut s’organiser de tel manière que tenir tel ou tel serment sera de l’ordre de l’impossible (parfois malgré « la police d’assurance ») ou parce que, même pour pouvoir respecter le serment en ayant recours aux « clauses d’urgences », cela vous conduira à agir d’une manière qui amputera vos capacités d’action ou bien aura un coût humain (en terme d’amitiés, de possibles, de tout ce que vous voulez) terrible. En résumé, même avec les intentions les plus sincères, les plus gentilles et les plus pures, vous n’êtes pas à l’abri de vous retrouver dans une merde noire, et qu’il n’est pas impossible que cela donne aux Dieux une latitude d’action sur votre vie dans des domaines ou par des moyens que vous n’auriez peut-être pas souhaité. Leurs agendas ne sont pas les nôtres, même si au bout du compte, il se peut que nous soyons finalement contents de notre sort, un peu de prudence et de bon sens ne nuit jamais.

Maintenant une autre question, peut-être un peu plus polémique, ou à tout le moins, sujette à débats. Une personne qui refuserait au maximum de prêter des serments est-elle lâche ? Une personne qui en prête beaucoup a-t-elle plus de valeurs ou est-elle juste un mariole de plus ? (Ceci étant une formulation volontairement polémique, répondant à des choses que j’ai pu lire sur la Toile, et pas forcément en français.)
Tout est une affaire de mesure, de contexte et d’actes quotidiens.
Dans mon optique -qui rappelons le, ne concerne que moi – à force de prêter des serments, on peut finir par en arriver à des obligations contradictoires (c’est d’ailleurs un ressort largement employé dans un certains nombre d’œuvres de fictions, et ce cas se retrouve fréquemment dans l’histoire) où pour en honorer un, on est obligé d’en bafouer un autre. Après une personne peut aussi en prêter pour des motifs disons relativement secondaires (quoique comportant une part de challenge pour cette personne, et cette notion est relative et propre à  chaque individu : cela dépend aussi bien de ses conditions de vie, que de ses moyens, de sa situation de famille, de santé, etc…)  -voulant par là montrer sa bonne foi- et elle est mesure de les achever les uns après les autres, sans jamais se retrouver prise au piège de ses mots. C’est un choix personnel, et tant qu’il est rempli, les interrogations que cela peut soulever relèveront davantage de l’interprétation de chacun que d’une démarcation claire et nette de « cela a été accompli », « cela n’a pas été accompli ».

Ceci étant, tout ceci laisserait sous-entendre qu’en dehors du serment, il n’y a rien. Hors, le serment est au départ quelque chose de très spécifique qui n’est employé que pour sceller certains accords particuliers ou pour des événements sortant de l’ordinaire. Au quotidien, et dans la majorité des cas, le comportement d’un individu devrait au maximum être en adéquation avec sa parole. Pour parler de manière plus simple : si vous dites que vous allez faire quelque chose, faites-le. Ne promettez pas constamment que vous allez faire quelque chose pour ne jamais le faire.
Dans les concepts scandinaves (et très probablement germaniques, mais je n’ai pas épluché tout ceci, je me garderai donc de toute affirmation catégorique), l’âme se divise en plusieurs parties, et l’une d’elle est le reflet de la force personnelle de l’individu, de sa valeur et de ses capacités personnelles¹. Le fait de manquer à sa parole porte préjudice à ses capacités, et le fait de rester fidèle à sa parole la renforce. En partant de ce principe, on pourrait s’interroger sur la force personnelle et la réelle capacité d’action d’une personne qui a besoin de recourir à des serments de manière fréquentes. A contrario, j’ai tendance a considérer qu’une personne dont les actes sont dans la majorité des cas en accord avec sa parole ne ressentira pas forcément la nécessité de prêter serment pour assurer l’autre partie (ou les Dieux) de sa volonté et de sa valeur, puisque ses actes parlent déjà pour elle au quotidien, le recours à une « garantie supplémentaire » est donc encore plus facultatif.

 1 : Apparemment, ce concept peut être rapproché de la notion de hamingja, mais étant donné que je manque de temps pour démêler sérieusement ces concepts en me fiant à des sources claires et sérieuses, j’ai choisi de ne pas les nommer, quitte à éditer plus tard l’article.

Peut-on encore parler de Sorcellerie traditionnelle ?

Sporegod, 2011 par Zhectoid

Après une longue période où la wicca a été extrêmement populaire, au point de devenir trop souvent synonyme de néo-paganisme/paganisme pour une grande majorité de personnes mal informées (et qui souvent ne cherchent pas à faire la différence), on assiste depuis quelques années à la présence grandissante d’un ensemble de pratiques regroupées sous le terme fourre-tout de « sorcellerie traditionnelle ». À l’instar de la wicca, on a vu une quantité impressionnante d’ouvrages et de blogs abordant cette branche se réclamant de l’héritage directe d’anciennes pratiques de certaines régions. La « sorcellerie traditionnelle » est souvent désignée sous différentes dénominations, dont pour l’anglais « Hedge Witchery », « Traditional Witchcraft ».
Bien évidemment, l’immense majorité de ces blogs et de ces ouvrages (plus ou moins sérieux, plus ou moins bien documentés, suivant l’éditeur ou l’auteur) mettent un point d’honneur à expliquer en long, en large et en travers que, non, non, non, rien à voir avec la wicca, cette invention de Gardner. Eux sont bien évidemment plus true, plus authentique, moins fluff et « not for everyone » (J’adore. Genre un sentier, peu importe lequel, est adapté à tout le monde. On n’ose même plus dire qu’un vêtement ou un sport est pour tout le monde, alors le préciser pour la « sorcellerie traditionnelle », quelle blague. Genre c’est un passe-temps que vous pourriez avoir la lubie d’essayer. Quoi que parfois…)
Jusque là, il y a un semblant de cohérence. Sauf que les choses se gâtent quand dans la plupart des cas, il devient subitement question de manière d’invoquer les quatre éléments, de cercle de protection, d’une déesse dominante, d’un dieu cornu, d’outils de pratique et bla, et bla, et bla.
En fait, par moment on a l’impression que la wicca, ca faisait pas assez sérieux depuis qu’elle est devenue éclectique (attendez, on ne va pas accueillir n’importe qui quand même ? Trop mainstream les gens…). Et puis la « wicca traditionnelle » (aka la mal nommée Wicca « gardnérienne », pour ne pas rentrer dans le détail) ca ne sonnait pas assez « certifié authentique A.O.C depuis 1720 ». En plus Garnder aimait se mettre à poil et puis il faut réunir un groupe de personnes, c’est trop compliqué. Non, la « sorcellerie traditionnelle » ca fait tout de suite plus terroir (pas trop quand  même, sinon vous allez passer pour un identitaire), plus vrai, on jette le rede wiccan à la poubelle et puis on peut pratiquer seul/e. En prime, plus on bidouille à sa sauce, mieux c’est et personne ne peut vérifier. Quelle idée de génie !

À la limite, pourquoi pas : intrinsèquement, que chacun se réapproprie un ensemble de pratiques et les adapte à son pagus, à son histoire et que le tout soit diffusé, quelque part, tant mieux. Une tradition qui ne vit pas, qui ne s’adapte pas, qui n’évolue et que l’on ne transmet pas est une tradition qui meurt. Personnellement, je préfère voir voir évolutions et partages plutôt qu’une uniformisation globale faite de tout et de rien, qui ne revêt plus de sens pour personne.
Sauf qu’une tradition n’est pas un truc qui surgit de nul part. Si les traditions sont souvent comparées à des arbres, c’est bien parce qu’elles ont des racines. Une tradition s’inscrit dans une culture (et je parle pas de « culture livresque ». Si, si je précise, parfois il y a des gens qui n’arrivent pas à faire la différence), dans une civilisation. C’est tout un système, exactement comme un organisme vivant, avec son mode de fonctionnement, sa société régit par des processus de fonctionnement et des normes sociales. En dehors de ce système et si ce dernier n’existe plus, alors le reste meurt. Exactement comme un organe doit rapidement être transplanté si on ne veut pas le perdre.
Le principal désaccord que j’ai avec cette tendance (je n’aime pas parler de mode. Je ne pense pas que les gens s’amusent à changer de croyances / pratiques uniquement parce que le voisin le fait. Certes, le voisin les a peut-être inspiré, mais s’il n’y avait eu en eux aucune résonance, alors je doute fort qu’ils aient emprunté ce chemin. Je suis loin d’être une grande humaniste, mais prendre par défaut tous les gens pour des cons, c’est le plus sûr moyen pour qu’ils le deviennent.) n’est pas tant dans le contenu de la tendance en elle-même, mais davantage dans le vocabulaire utilisé pour la désigner.
Les mots ne sont pas neutres et la manière dont nous choisissons d’employer tel ou tel terme pour nommer un fait, un processus, un ensemble de croyances participe à son identité et à son ancrage dans la mémoire collective. Hors, les pratiques que l’on trouve sous cette étiquette si elles sont effectivement inspirées de coutumes authentiques, sont trop souvent dénaturées par un processus de regroupement qui finit par leurs faire perdre leur sens premier. (Et premièrement, on peut question l’emploi du singulier dans les termes de « Sorcellerie traditionnelle. » Comme s’il n’y en avait qu’une.)
Je m’explique : c’est probablement une très bonne idée de s’inspirer du folklore d’une région en particulier et de vouloir écrire un livre sur la « Sorcellerie traditionnelle XXXX ». Maintenant, quand on constate que les quelques éléments de la culture locale en la matière se retrouvent sous une articulation qui évoque directement certains ouvrages plus que basiques sur la wicca (l’idée de l’existence d’une grande déesse du coin et de son consort fait notamment fureur), et que l’auteur/e dans son introduction a pris soin de bien dire que ce livre là, attention, c’est du vrai, hein, et que ca vient directement de telle ou telle personne, mais que l’ouvrage est dépourvu de tout élément historique ou permettant de resituer les pratiques dans un contexte social, même généraliste, alors oui, je trouve qu’il y a un très gros problème. Pas tant dans le fait de réécrire la tradition, mais dans le fait de prétendre que c’est la tradition originelle, qu’elle n’a pas changée. On peut agrémenter le tout avec autant de beaux dessins en noir et blanc et de mots de la langue ou du dialecte local, ça n’en reste pas moins du foutage de gueule malhonnête qui se vend pour se qu’il n’est pas. (Et encore, je n’aborde la question de la pertinence du médium de transmission ni ne questionne celle de la sortie du contexte culturelle).
La sorcellerie traditionnelle s’inscrivait dans une société essentiellement rurale qui a aujourd’hui majoritairement disparue en Europe Occidentale. Son fonctionnement, ses mœurs et son architecture ont évolué de manière drastique tout au long du XXe siècle (plus particulièrement à partir de la guerre de 14-18 et quasiment achevé dans les années 60. Cette datation est plus ou moins valable suivant les endroits ou même les pays. En France, c’est globalement pertinent.) La société d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier, et prétendre que les courants de sorcelleries traditionnelles n’ont pas subis eux aussi le contrecoup de cette évolution est absurde. Cela ne veut pas nécessairement dire que tout a disparu : certains éléments ont perduré, certains ont disparu, d’autres se sont probablement ajoutés.
Comme je le disais plus haut, on peut questionner le fait d’utiliser le terme de « Sorcellerie traditionnelle » au singulier pour désigner un ensemble de pratiques censé être propre à chaque région, et donc à chaque groupement établi sur un territoire plus ou moins défini, possédant qui une langue, qui un dialecte, qui un parler avec ses particularités et ses expressions, son histoire, ses coutumes, bref tout son bagage et son système. En gros, est-il possible de parler d’une sorcellerie traditionnelle française, d’une sorcellerie traditionnelle anglaise et de donner, sous couleur d’arpenter un chemin se voulant moins galvaudé, dans la grosse généralisation sans aucun approfondissement sérieux ?
Je suis toujours profondément perplexe de voir des nord-américains faire intervenir leurs ancêtres [insérer un adjectif] de la 5e ou 6e génération pour venir justifier d’adopter tel ou tel sentier culturel alors qu’ils n’ont pas été élevé dans cette culture là, qu’ils n’ont jamais mis un pied sur le Vieux continent. Pas que cela les intéresse -c’est leur droit le plus strict et vouloir renouer le lien avec son histoire familiale est une chose admirable-, mais qu’ils puissent venir se permettre de dicter comment, à leur avis, qui a le droit de faire ci ou ça, et comment on devrait le faire. Exactement comme quand il semble admissible pour certaines personnes de dire que elles, elles sont légitimes pour pratiquer [XY] mais que les gens de telle voie sont des %@#!!* de faire pareil avec la leur. L’altérité, ca vous parle ?
On en vient à l’épineuse question du : faut-il habiter sur une terre, en être originaire ou a minima y avoir habité pour pratiquer la sorcellerie tradz d’un endroit donné ? J’ai tendance à penser qu’en plus des éléments sus-mentionnés, une quantité d’autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte : on peut avoir des connexions spirituelles avec certaines personnes qui ne font pas forcément directement parties de notre lignée génétique, on peut parfois se retrouver dans une position où un certain nombre d’éléments vont nous pousser dans cette voie, il peut y avoir des initiations, on peut être appelé par un endroit sans aucune connexion visible et constater ensuite qu’un ancêtre y a vécu et que cela soit « assimilé » dans la mémoire de la lignée, bref, je ne vois aucune raison de se limiter de manière formelle à quelques données restreintes et je n’ai pas de réponse toute faite et catégorique à donner. De manière empirique, j’ai pu constater que quand une affaire est sérieuse à ce niveau là, c’est rarement sans raison.

Au niveau de la pratique proprement dite, je doute que la sorcière ou le rebouteux ait eu besoin de grand chose d’autre que des objets de tous les jours. À l’heure actuelle, aller se chercher un bâton en forêt est sans doute devenu une sorte d’aventure qui sort de l’ordinaire, avec tout le salamalec que certains sont capables de faire autour. Dans la société rurale, c’était tout bête : les gens possédaient un bâton pour aller garder les bêtes (au pluriel quand ils étaient assez riches pour cela) : la belle affaire que d’aller se chercher un bâton. Certes, il y avait peut-être un bâton particulier, mais si tout le monde savait qui était la sorcière du coin, on se gardait en général bien d’en parler ouvertement.
Pareil pour les formules, mots de pouvoir et autres. Honnêtement, je me permet de douter qu’il était question d’une grande déesse, sauf si on considère la Vierge Marie. Mais pour avoir lu deux ou trois trucs, au moins dans certaines régions, on ne dérangeait pas « la Vierge Marie », on s’adressait spécifiquement à la Vierge de telle chapelle dans tel endroit et on avait recours à la sainte locale, patronne de la source machin, connue pour soigner le type de maux auquel on avait à faire (en tout cas en terre catholique). Dans la « sorcellerie traditionnelle païenne contemporaine », évidemment, le culte des saint/e/s, ça passe modérément, alors il fallait bien adapter un peu le texte d’origine (qui avait peut-être déjà été adapté d’anciennes litanies.)

Du coup, si les pratiques actuelles ont reformulées les pratiques plus anciennes qui ont elles-mêmes été calquées sur d’autres plus anciennes, alors comment on fait ?
Et bien on regarde ce que l’Église interdisait, par exemple. Et on se détend.
Vouloir singer d’anciennes pratiques alors que clairement, tout ce qui les entouraient n’existe plus  (et qu’il est possible que l’on en ait une vision lacunaire) est sans doute modérément pertinent. En revanche, c’est peut-être une bonne manière pour commencer à se cultiver sur la question, en ne se limitant pas à l’aspect sorcellerie d’une société donnée, mais en essayant d’élargir le champs de ses connaissances à son sujet. Parce que concrètement, on trouve pas mal d’articles visant à faire ci ou ça sur la base d’un rituel/autre que l’on a trouvé dans un bouquin et que la personne adapte en toute bonne foi. Sauf que ça serait pas trop mal d’essayer de comprendre pourquoi ce rituel/autre pour cette occasion / lieu / célébration avant de vouloir faire une transposition. Parfois c’est le cas, parfois pas. Bon, l’important c’est d’essayer. Certes, il vaut mieux une action, même pouvant être améliorée, que rien du tout. Sauf qu’au lieu de qualifier sa pratique de « sorcellerie traditionnelle » / « Sorcellerie des campagnes » et autres, il ne serait pas mal d’accepter que ce n’est qu’une réinterprétation moderne de ce qui a pu existé et qui désormais n’existe plus.

La prose des Bâtards (les problématiques dans le Culte des Ancêtres)

Un dernier article avant un déménagement au loin… Je ne reviendrai pas avant un bon moment. 

Il n’y a plus que la Patagonie, la Patagonie, qui convienne à mon immense tristesse, la Patagonie, et un voyage dans les mers du Sud Je suis en route J’ai toujours été en route Je suis en route avec la petite Jehanne de France. (Blaise Cendrars – La prose du transsibérien)

Le culte des Ancêtres occupe une bonne place -sinon la place principale- dans les cultes traditionnels. C’est plus ou moins visibles suivant les groupes et les axes reconstructionnistes et autres, mais au niveau francophone, on assiste à une visibilité de plus en plus importante de cette pratique. Dans la théorie, il est facile de synthétiser rapidement le principe : celui d’honorer ses ascendants. Toujours dans la pratique, il est également relativement facile de de faire quelques synthèses de pistes pour les cas « problématiques » : vous avez été adopté(e) ? Tant mieux, vous avez à la fois vos lignées adoptives et vos lignées génétiques à honorer. Vous avez eu des conflits familiaux graves / familles abusives ? Concentrez-vous sur les « bons » ancêtres et de toutes façons, vous n’êtes pas un individu sorti de nul part, vous êtes sur terre parce que des gens se sont battus, ont survécus et que tout ne tourne pas autour de vous. D’accord, tout ca n’est pas faux, loin de là. D’accord cela ouvre des pistes.

Sauf que, tout ces pistes théoriques, prêtes à bouffer, c’est de la théorie justement. Et le sujet du culte aux Ancêtres, c’est toujours de la théorie, sauf quand il s’agit des nôtres. Quand il s’agit de notre histoire -ou non-histoire- familiale. Arriver la grande gueule en bandoulière avec des réponses toutes faites, c’est ce que vous pouvez vous permettre de faire quand vous n’êtes pas concernés, parce que la théorie prend tout en compte, sauf l’énorme potentiel explosif et sensible dont cette question est porteuse.

Pour certains, il est facile de s’exciter sur une image d’Épinal de sa famille (Parfois, « les fantasmes ancestraux », ca me fait penser au délire de Gardner qui a prétendu avoir été initié et avoir reçu des infos trop trues de Dorothy Clutterbuck, histoire de rendre plus crédible et plus badass ce qu’il avait reconstruit (remarquez, il y a peut-être des wiccans tradz qui s’ignorent. Ok, j’arrête de troller) que d’oublier ses paradoxes, d’oublier ses douleurs. Quelque part, tant mieux pour eux. Sauf quand ils se servent de leur vision (qui n’est jamais qu’un prisme lacunaire : chaque fois que nous considérons quelque chose, ce n’est de toute façon qu’un prisme lacunaire. C’est pareil pour les problèmes, sauf que c’est plus difficile d’échapper à un prisme problématique que de se mettre la tête dans le sable) pour essayer de l’imposer aux autres, ou pire de les rabrouer ou de les tancer sur ce qu’ils devraient faire et ne pas faire. Franchement, quand vous n’êtes pas directement concerné, soit vous y allez mollo, soit vous fermez votre putain de gueule avec vos généralisations sur qui / quoi / pourquoi on devrait honorer ci ou mi. Idem pour les discours du type « mais si tu né/e, c’est que tu l’as choisi, donc… » (les dérives du New Âge et ses ravages : avoir ce type de philosophie n’est pas intrinsèquement un problème, ce qui est un problème, c’est quand la personne s’en sert pour donner des leçons). Les gens qui arrivent la gueule enfarinée avec des discours tout fait sur ce type de question ont généralement une famille relativement simple, ou alors c’est ce qu’il aimerait croire (un peu comme quand j’entends les généralisations idéalistes/idéalisées pour correspondre à « un certain modèle moral », généralisations du type « nos ancêtres ne divorçaient pas ». Ou encore plus fendard quand cela implique les délires du style « l’homosexualité existait moins qu’aujourd’hui ». Haha. Mais bien sûr. Les divorces existaient, ils étaient peut-être moins fréquents effectivement, mais peut-être qu’ils étaient moins fréquents parce que les lois le rendait beaucoup plus complexe, pas parce que les gens avaient une morale « tellement différente de celle de nos jours sur la question. » Tout est relatif : ce type de question demande une énorme quantité de recherches pour ne pas sombrer dans le cliché bas de gamme. Quant à l’homosexualité, je n’ai pas assez de données pour y répondre (à part que les catégorisations hétéro/homo etc, semblent dater de l’ère victorienne), alors plutôt que de dire une connerie, je me contenterai de dire que cela demande des recherches. Peut-être qu’effectivement, elle était moins fréquente qu’aujourd’hui, peut-être pas (je dis bien « fréquente » pas « visible »).

Et que fait-on, quand il n’y a pas d’histoire familiale ? Parce que vos racines n’ont cessées de bouger au cours des quatre générations précédentes, qu’il n’y a eu aucune transmission ? Quand vous avez été coupé(e) de votre histoire par des parents / grand-parents qui pour X raisons ont refusés de transmettre « le flambeau » ? Et que fait-on, quand tout ce que vous découvrez, génération après génération, c’est la répétition d’une histoire dramatique, malsaine, et pas seulement le fait d’un individu isolé ? Et que fait-on quand on n’a pas de « terre natale », quand on appartient aux déracinés, à ceux qui passent leur vie, et dont les ascendants ont passés leur vie à devoir oublier le passé ? Quand les archives qui pourraient contenir votre histoire ont toutes été brûlées par les conflits successifs qui ont déchiré une partie de l’Europe ? Parce que cette région d’où certains de vos ancêtres viennent, a été une poudrière ? Ou quand vous êtes un(e) enfant « non conforme au cahier des charges familiales » et que par le truchement de votre éducation, on vous a non seulement fait comprendre que vous ne faisiez pas partie de la famille, mais que l’on vous a violemment fermé la porte à toute coutume, langue, histoire, culture, souvenir ? (Franchement, pour moi, des gens qui se sont conduits comme ça ne méritent ni que l’on fleurisse une tombe -qu’ils ne méritent pas-, ni qu’on les honorent.). Le problème du problème, c’est quand cela ne se résume pas une seule génération, mais quand l’on constate que ce type d’histoire se répète, des parents, des grands-parents, et encore avant. Après, il ne reste souvent pas grand chose de tangible, et pour moi, il y a une différence entre honorer des ancêtres « imaginaires » et avoir des souvenirs concrets de transmission. Quand on cumule toute une suite d’axes à problèmes, ça devient velue comme thématique. On pourrait imaginer que effectivement, retrouver quelques « ancêtres référents » aide, et d’une certaine manière, c’est le cas. Mais de manière un peu grinçante, j’ai eu l’occasion de constater que très vite parfois on vient vous dire que, quand même, ce n’est pas comme vos ancêtres de sang et que pourquoi vous ne… (« Merde ! » comme dirait Léodagan.) Parfois, on peut retrouver certains ancêtres qui se pointent, et petit à petit, retisser le lien. Parfois. Pas toujours. J’avoue que quand on constate que finalement, tout est mort à ce niveau là (parce que parfois,  il ne reste plus personne de vivant, histoire de bien couronner le tout), je vous avoue que je ne sais pas comment on fait. Je n’ai pas de réponse, et j’ai pu constater que cette problématique est beaucoup plus courante qu’on ne le pense. Comme pour beaucoup de sujets : on trouve beaucoup de sources quand cela se passe bien, moins quand ca se passe mal. Et généralement, les cas où il est fait mention de situations qui se passent moins bien, soit c’est quand la personne a résolu sa problématique, soit quand elle a décidé qu’elle ne ferait pas çi ou ça pour telles et telles raisons. L’entre-deux, faut gratter nettement plus pour avoir des infos. En même temps, je ne cherche pas de réponses toutes faites, justement parce que je crois que dans ce domaine, les réponses toutes faites ne marchent pas. Oui, on peut honorer ses ancêtres de manière généraliste, mais est-ce que, en terme d’impact et de force, cela suffit à compenser les autres défaillances ? En d’autres termes, est-ce que ce rempart suffit pour contenir toute l’étendue d’eau qui par ailleurs menace ?

Par dessus le marché, le pompon, c’est quand des gens viennent vous dire QUI vous devriez prier parce que vos ancêtres venaient de là, et qu’ils ont lus deux fiches wikipédia et pensent vous apporter la civilisation. Jusqu’à preuve du contraire, laissez une personne suivre son chemin. C’est le sien, pas le vôtre. D’autant que les évolutions arrivent au fur et à mesure d’un cheminement, à vouloir les forcer, on risque juste de « braquer » la personne et à la bloquer. Ou qu’elle peut avoir d’autres processus nécessaires à explorer au préalable, quitte à se rendre compte qu’en fin de compte, telle option n’en était pas une et qu’elle s’avère finalement caduque. De plus, des histoires « d’adoptions » peuvent arriver à plusieurs niveaux : non seulement les adoptions passées mais aussi toutes les adoptions actuelles : adoption par une terre, une région, un pays. Adoption par une lignée qui nous intègre, lignées perdues qui en fait rejaillissent sous forme d’un Allié, d’un panthéon etc. Je pense qu’en terme de « culte des Ancêtres », il y a autant de solutions, de problématiques, de parcours, de fonctionnement qu’il y a de personnes.