Une inscription sur un carton blanc posé sur une étagère. Prière de ne pas déplacer les fantômes. Une allusion, si ma mémoire est bonne, à Marcel Proust. Une maison tourangelle près de l’Indre, et le jour du Solstice d’hiver de cette année là, passé en barque sur la rivière, entre les brumes et les arbres morts. De vieux souvenirs qui reviennent hanter les vivants, portés par les morts.
Freyfaxi, festival des récoltes.
Un blót à Freyr. Honorer les récoltes et les bienfaits de la vie. Sacrifier à certaines Disír une bouteille d’hydromel qui a traversée la France d’ouest en est. Il ouvre la bouteille. Le goulot explose et lui entaille le pouce. Avec le sang, il trace une othala sur la jambe de son pantalon.
Le blót est fini, et reposant mon tambour en hauteur, mon poignet vient heurter le goulot brisé de la bouteille, et me coupe. Retirer son bracelet, le poser soigneusement. Celui là le second qui me soigne, vérifie la coupure qui ne nécessite pas de sutures.
Je rentre chez moi et deux jours plus tard, je me rend compte que j’ai oublié mon bracelet chez lui. Lui qui est parti vivre 600 km à l’ouest. Cet autre ami au téléphone, qui me dit comme un présage ou un écho, à moitié perché, à demi hilare que les Dieux m’appellent en Bretagne. Je lève les yeux au ciel. Faut arrêter quoi.
Mais quoi ? Encore ? Il y a eu cette première occurrence il y a plusieurs années. Je le prend comme une boutade et rien de plus. Le premier me dit qu’il n’a pas retrouvé mon bracelet. Je l’ai « probablement perdu dans le métro ». C’est un possible, mais je sais que c’est faux. Je m’en serais rendue compte. Pas ce bracelet là. Un cadeau précieux, cadeau de mon père pour mes 18 ans. Un bracelet norvégien en argent du début du siècle dernier.
La nuit je rêve. Je rêve que mon Watcher revient chez moi, avec mon bracelet enveloppé dans une étoffe rouge et noir. Je rêve que toute cette minuscule histoire a provoquée des remous.
Je lui écris pour lui dire. Marquant la datation du phénomène. Et je renonce.
Je rêve.
Je rêve d’un champ lourd d’épis, et de Freyr qui m’apprend les chants pour faire pousser les récoltes. Pour que les arbres se chargent de fruits. Pour que les paissent les animaux et que vêlent les vaches. Je rêve de cette mélodie entêtante que j’aurai pourtant oubliée au matin. Et même à travers la distance nocturne, je me demande pourquoi c’est à moi que l’on apprend cela, parce que concrètement, cela ne m’est d’aucune utilité à l’heure actuelle. Il me répond malicieusement que ma vie changera, et que, « tu verras, un jour cela te sera utile. Tu ne me crois pas aujourd’hui, mais un jour, tu verras. Je te le promet. »
Je serai moi aussi 600km à l’ouest, dans un village de granit quand un soir, la lumière clignote sur mon téléphone. Ces mots laconiques d’un Watcher concis « J’ai retrouvé ton bracelet ». Et ma perplexité. Ce trouble. Mon rêve disait vrai. Mes rêves disent toujours vrais au bout du compte. Et quand j’articule ces mots assise à la table en bois, dans la maison bruissante de Leurs Voix, dans le foyer d’Amis qui m’ont accueillie, o/On me répond en pouffant de rire « Non, sans blagues ! Il t’a fallu tout ce temps pour t’en rendre compte. »
Il me reviendra effectivement, contre toute attente. Je ne m’y attendais plus en fait.
De l’ouest et vers le sud ensuite.
De tissage de frith et de la gravure sur une roche calcaire. De l’ocre mêlée de sang qui orne désormais une paroi auprès d’une montagne, dans une ancienne forêt. Les sentiers, les routes, la grotte, la source de l’H. Une curieuse rencontre d’un type surgi de nul part. Quelques mots en provençal, semblables à une comptine d’enfant que l’on martèle du bout de la langue contre les dents du haut, les dents du bas « pour ne pas se faire bouffer son âme ». J’ai parfois envie de répondre que d’âme je n’ai pas. « Mais si on La réveille, Elle risque d’être über vénère non ? » « Ouais, ca peut. »
Concrètement, je suis pas bien faite pour rester longtemps dans ce paysage de garrigue. Un constat de plus. Je ne suis pas faite pour rester où que ce soit à l’heure actuelle de toutes façons. Sauf si un jour… néanmoins il y a un sauf et un si dans ce morceau. Sans oublier un morceau de laine, qui est tout sauf un morceau de laine, précieusement conservé. Parce qu’un jour… Un jour, oui.
Tout s’entremêle et je songe à ces paroles anciennes, écrites en mars 2009 sur un blog effacé depuis.
« Alors ils n’ont rien dit. Alors ils ont posé le geis quand celui‐là est monté affronter le dragon, osant demander s’il valait la peine d’attendre, s’il y a avait encore un après. Il est entré dans une colère noire, la fureur des impuissants, des seigneurs de guerre désarmés, privés de leur conseiller. Et ils les ont fait taire. Mais même les plus petites choses trouvent des yeux pour les regarder, mais même les plus grands secrets peuvent se répéter, mais même les rumeurs les plus vagues trouvent des voix pour les relayer. Et il arrive que toutes ces histoires chuchotées entre deux portes trouvent, on ne sait comment, le chemin jusqu’à un être improbable qui les garde précieusement enfouies en lui.
La nuit tombe sur le royaume et elle sera bientôt là.
Ca ressemble à de la fiction, mais la réalité dépasse toujours la fiction. C’est toujours le conteur qui écarquille les yeux pour mieux raconter. »
Il n’était question que de transposer une vérité plate et ordinaire en quelque chose de plus ample. Extraire l’essence du moment, au lieu de le cantonner à sa signification basique. Et comme les prophéties et les oracles, on les interprète comme on veut. Ou comme et quand on peut.
Aller et revenir.
Et en guise d’automne, en guise d’équinoxe, c’est de nouveau la Mort qui frappe à la porte de chez moi. Sans mélodrames, accueillie avec un pragmatisme qui n’est pourtant pas sans difficultés. C’est que parfois, l’ordinaire et les paperasses, l’équilibre des chiffres virtuels régissant nos vies et les actes des lois sont plus durs à gérer que la disparition corporelle.
Constater avec un certain effarement qu’il n’y a de place que pour les religions officielles. Quand on n’est pas « affilié » à une guilde, alors vous êtes considéré comme un genre de rônin. Et vous avez droit à des « je ne sais pas si tu es croyante, mais ». Ouais bordel, je suis croyante. Je crois en ma capacité de réussite. Je crois aux Dieux, je crois à la valeur des Serments. Aux Esprits des Lieux ici bien avant nous. Je crois aux Ancêtres, où qu’ils soient. Je n’ai jamais été le genre de personne qui garde sa gueule fermée pour faire plaisir. Sous le toit d’autrui, oui, si cela m’est demandée, parce que c’est le toit d’autrui.
Comme cela m’exaspère rapidement ce discours de guimauve se voulant porteur de réconfort (c’est joli mais ca règle pas nos emmerdes pragmatiques. Désolée d’être terre à terre. Ou non, pas désolée en fait.). Autre constat : le New Age joli tout plein, et les belles paroles ne sont souvent proférées que pour être des miroirs tout faits, renvoyant une image supposée gratifiante à la personne qui s’empresse de les dire ou de les écrire. « Tu sais, la mort n’est pas une fin ». « Tu sais, c’est un nouveau départ ». (You don’t say ? Et c’est à moi que tu dis ça ? Sans blague.)
Je finis par me dire que bien souvent, oui, bien souvent, les gens ne savent pas quoi dire, et que ceux qui veulent absolument sortir des phrases supposées nous « guider », viennent en fait se comporter comme des gourous voulant se coucher avec la satisfaction d’avoir bien agi. Si vous refusez cette main tendue que vous n’avez par ailleurs ni demandé ni souhaité, alors vous êtes quelqu’un de trop négatif et on ne peut pas « vous aider ». Comprendre que vous ne permettez pas à l’autre de se sentir exister. On croirait voir les USA qui veulent imposer leur aide sur le terrain à un pays qui n’a rien demandé, parce que les USA, ils sont trop gentils. J’appelle ça de l’impérialisme moi. Bref. Sujet complexe qui demande un jour un peu de débroussaillage.
L’équinoxe, cette période charnière-étrange. Do not go gentle into that good night. Dylan Thomas revient hanter le flux du conscient.
Chanter les runes, tordre les doigts. Deux équinoxes. Intérieur et extérieur. Honorer Sága. Parce que tout est toujours pour la Bête, et jamais sans un certain swag.
Vies parallèles.
A l’ouest, à l’ouest.
Mais l’histoire vraie, où est-elle ? Je ne sais pas, et c’est pourquoi mes phrases restent suspendues comme des vêtements dans une armoire, en attendant que quelqu’un les porte.
V. Woolf – Les Vagues