Une lampe sous la mer

(Parce que parfois, la nuit, j’aimer bien triper sur de la musique)

Une lampe sous la mer, où sont mes os emprisonnés.
Brille ici un silence de neige
Est-ce le Pays qui l’hiver dort ?
Est-ce le chant sous les eaux, et la corde,
la corde d’or qui nous relie ?
Filage tordu, les liens dont l’un est esquissé.
Clé sur l’autre monde et portes fermées ?

Est-ce le murmure des vagues qui dansent, qui dansent.
Une voix immatérielle qui la nuit tort retord mon cœur ?

Loin là bas.

Un. Deux. Trois
Une danse maladroite dans le monde d’En bas.
Noirceur dans les carrières, arbres dans la forêt.

Est-ce le Pays d’où on ne revient pas et qui porte
dans ses traces immatérielles un passé
que l’on ne distingue pas ?

Est-ce le pays d’où nul ne revient qui la nuit chante sans fin ?

Les eaux du monde ruissellent.
Sommeille le Bois du Marais.
La nuit se fait sur le Royaume.

Chante la corde vibre le chant,
vibre le chant la nuit.
Je parcours sans fin le pays sans frontières, mes pauvres os sans terre.

Je viens
Je viens du palais sous la mer
De l’Elbe gelée et d’un creux dans la glace
Où mon aïeule est un jour tombée.
Je viens d’un pays de montagne
À l’aigle d’or sur fond d’azur
À l’aigle d’or sur fond de gueule par temps de guerre
Et d’ailleurs.
Navette lancée à travers le métier

Chantent les os sous la terre, les noyés sous la mer
murmurent les vagues de la baie
brille le phare
Hantent les morts la terre sombrée.

Tout est un chant filé, une danse sautillée.
Un. Deux. Trois.
Joïk dans la forêt
Et j’ai vu.
Et j’ai vu
Tambour devenir Anneau de serment.
Et j’ai vu
Le pont de glace
Midgard là bas.
Loin ici la langue n’est pas humaine.

Mimé les ondes.
Guimbardes la nuit dans le marais.

Une comptine enfantine,
aux paroles sans sens, à rebours et sans retour.
Un mouvement du doigt saccadé cadencé.
Un. Deux. Trois.
Impossible voyage de retour vers toi
vers les terres inconnues qui jadis portèrent mes pas.

Un. Deux. Trois.
Tu reviendras à la fontaine, Ô à la fontaine tu reviendras.

Playlist pour Balder

Sans titre-1

(Quelques doublons avec les pistes du Vieux, de Frigg et de Hel. C’est normal.)

Kūlgrinda – Apėja sauliūte
Hocico – The Day The World Stopped 
Klaus Nomi – Cold song
Velan KolodChto mié choumiétia [Βеданъ Колодъ – Что ми шумить] (transcription phonétique approximative, mes années de délire avec le cyrillique datent un peu…) 
Brian Boru
(Version en français chantée par Alan Stivell. )
Marv Pontkalleg (Version d’Andrea Ar Gouilh)
Sol Invictus – Kneel to the cross
The Cranberries – Daffodil Lament
Eluveitie – Anangantios
Faith & The Muse – The birds of Rhiannon
Guillaume de Machaut – Qui es promesse / Ha ! Fortune
Nebelhexë Against the Wall 

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Par Natacha Ilincic


Car ainsi sont nos Dieux.

Car ainsi sont nos Dieux, à qui nous offrons une part de nous-même, les limites de nos peurs sans cesse repoussées. Et quand viennent parfois, racler la nuit, les parois de nos cœurs, le doute et la crainte que nos chemins solitaires nous instillent, nous leurs opposons le souvenir, le courage et la force des mots. Ces mots articulés, haut et clair le soir autour d’un feu de camp, quand réunis en cercle sur la pierre d’une carrière un soir de Solstice, nous écoutons, muets et patients, la voix du Conteur qui fait rejaillir pour nous l’ancienne foi. Ses mots et son rythme allant comme deux navettes sur le métier à tisser de la mémoire, et sa ferveur ne leurs donnent que plus de corps.
Car ainsi sont nos Dieux et car ainsi parlent les Esprits, silhouettes lointaines faites d’argent, vêtues seulement d’une mélopée que l’âme perçoit et que la pensée seule ne peut entendre. Il fait nuit depuis longtemps, une nuit fragile et incertaine, étant celle du milieu de l’année, et si le soir et l’argenté de l’Hiver reviendront, ils ne sont pour l’instant qu’un peut-être que l’on répugne encore à esquisser, remerciant à dessein les Puissances pour leurs Grâces et leurs Dons. Et s’il y a par moment des détails grinçant, des pointes lancinantes qui démangent les contours de nos vies, il ne serait guère avisé de leurs en tenir rigueur, à présent que l’hydromel se répand en cascade sur le sol, et que les bûches de jeunes bouleaux sont dévorées par les flammes.
La nuit s’est faite, s’effiloche sans bruit. La salive est amère et mesure le décompte. L’arc des corps, le chant diphonique qui appelle, incante, invoque. Une psalmodie aux milieux des lignes. Les claquements métalliques des guimbardes et le geste de Qui manie avec dextérité un bâton qui serait mortel si coiffé d’une pointe de bronze ; à moins qu’il ne le soit déjà.
Par saccade l’obscurité file, et si la Dame a appelé et s’est manifestée, avec le compte-à-rebours des heures déjà elle se retire, emportant avec Elle ses murmures, l’amorce de sa langue non-humaine et l’imperceptible potentialité d’une prochaine rencontre. Un possible et rien de plus.
Couche après couche, le ciel s’éclaircit, comme un corps se dénudant de voiles aériens, jusqu’à laisser apparaître ce qu’il est : froid, gris et de marbre. Impassibles et neufs nous en avons déjà usé cependant la moitié. L’arc est sur la descente. Viendront si la Terre l’accepte encore, les blés dorés et les moissons. Puis la pluie et le grain de l’automne, les fruits mûrs durement récoltés, un semblant de récompense après un labeur qui toujours s’étire pour ne jamais vraiment cesser.  Les nuits s’étireront, agrandissant paresseusement leur règne et nous sauront, au bruit du givre craquant sous nos pas, à l’odeur des fagots et aux vols des oiseaux que les Morts bientôt parcourront à nouveau la terre, dévorant avidement les trop rares offrandes que ceux d’entre nous déposent encore aux carrefours, aux portails des cimetières, aux vieilles habitantes des souterrains et aux bordures des champs.
Alors viendra le temps de chanter le départ, et pour le Conteur de se retirer, s’absorbant dans l’étude des légendes d’autrefois, et pour nous d’aller dormir, pour ceux au-delà de l’océan ou sur les rives de chez-soi.
Car ainsi chantent-on encore, parfois, les Dieux, les Esprits et les Ancêtres, dans une litanie grommelée qui pour ne rien sembler aux oreilles d’autrui, signifie encore beaucoup pour ceux qui ont langues : le sens des Routes, le tracé du Sentier et l’arc des notes. Pour les Chanter, les Parcourir et les Rêver.

7/7/2014

Vassilisa with Baba Jaga’s Fire, by Kate Adams

Regin Smiður – Ballade des Îles Féroé

Note : toutes les sources et références sont à la fin de l’article. 

Il y a quelques mois, à la médiathèque de ma ville, je suis tombée sur un coffret de musique traditionnelle des îles Féroé. Il s’agit d’enregistrements effectués dans les années 50 de chants et ballades chantées dans les villages, lors de fêtes ou de rassemblements. (Ca me fait toujours un peu bizarre d’entendre ce genre de bandes, la voix de ces gens a survécu, tandis que la majeure partie d’entre eux sont sans doute morts).

Le coffret se divise en deux parties, une en féringien (ou féroïen, les deux se disent), l’autre en danois. Il y a d’ailleurs une distinction de thématique flagrante entre les deux langues : en féringien, toutes les ballades inspirées du folklore, de légendes, des mythes nordiques. En danois, essentiellement des hymnes religieux.

L’air de la première piste, intitulée Regin the Smith, me disait quelque chose (sans même parler du titre). Effectivement, cette ballade a également été enregistrée par le groupe de métal Týr, qui d’ailleurs est un groupe originaire de ces îles.

J’ai intégré à l’article les deux versions : celle de mon CD (je l’ai encodé, c’est mal) et celle du groupe Týr.

Mais qu’est-ce qu’elle raconte cette ballade ? Le titre me faisait penser au Reginsmál [Dit de Reginn] mais je suis allée chercher les paroles avant. Le texte de la chanson est, pour autant que j’ai pu en juger, bien en féringien. Je ne parle ni le norrois ni le féringien, mais la combinaison particulière de certains lettres comme le eth (ð) et le ø n’apparaissent, à ma connaissance, pas dans une autre langue. Effectivement, après avoir fait une rapide comparaison, cette ballade m’a l’air d’être une sorte de rapide résumé, du Reginsmál, mais aussi du Fáfnismál. Un genre de synthèse qui pourrait presque prendre place dans la blague sur comment on reconnaît les différents types de métal. Ce raccourci en choquera peut-être certain(e)s, mais honnêtement, quand on lit les paroles, hein…

Si des gens veulent s’amuser à apprendre la ballade pour la chanter, voilà les paroles en féringien, la traduction en anglais (note : je ne sais pas ce qu’elle vaut) est .

Viljið tær nú lýða á
Meðan eg man kvøða
Um teir ríku kongarnar
Sum eg vil nú um røða

Grani bar gullið av heiði
Brá hann sínum brandi av reiði
Sjúrður vá á orminum
Grani bar gullið av heiði

Hundings synir í randargný
Teir skaðan gørdu har
Eitur var í svørinum
Teir bóru móti mær

Grani bar gullið av heiði
Brá hann sínum brandi av reiði
Sjúrður vá á orminum
Grani bar gullið av heiði

Fávnir eitur ormurin
Á Glitrarheiði liggur
Regin er ein góður smiður
Fáum er hann dyggur

Grani bar gullið av heiði
Brá hann sínum brandi av reiði
Sjúrður vá á orminum
Grani bar gullið av heiði

Hann var sær á leikvøllum
Ímillum manna herjar
Rívur upp eikikelvi stór
Hann lemjir summar til heljar

Grani bar gullið av heiði
Brá hann sínum brandi av reiði
Sjúrður vá á orminum
Grani bar gullið av heiði

Eystantil undri heyginum
Ið dreingir eyka tal
Dimmur er hesin dapri dagur
Niður í mold at fara

Grani bar gullið av heiði
Brá hann sínum brandi av reiði
Sjúrður vá á orminum
Grani bar gullið av heiði

Har kom maður á vøllin fram
Eingin ið hann kendi
Síðan hatt á høvdi bar
Og finskan boga í hendi

Grani bar gullið av heiði
Brá hann sínum brandi av reiði
Sjúrður vá á orminum
Grani bar gullið av heiði

Har kom maður á vøllin fram
Hann vá við eggjateini
Eyga hevði hann eitt í heysi
Knept var brók at beini

Grani bar gullið av heiði
Brá hann sínum brandi av reiði
Sjúrður vá á orminum
Grani bar gullið av heiði

Ormurin er skriðin av gullinum
Tað man frættast víða
Sjúrður setist á Granar bak
Hann býr seg til at ríða

Grani bar gullið av heiði
Brá hann sínum brandi av reiði
Sjúrður vá á orminum
Grani bar gullið av heiði

Sources et références : 

Article sur la musique traditionnelle des Îles Féroé
Sur le groupe Týr
Sources des paroles de la chanson

Le cd : Traditional Music in the Faroe Islands 1950-1999 (Collectif)
Et pour avoir un aperçu plus précis de son contenu, voir ici