Freyja et Frigg, deux aspects de la Souveraineté

Peu d’articles en ce moment, il faut dire que ma vie regular est plutôt plus qu’occupée par divers changements, des drôles et des beaucoup beaucoup moins drôles. Passons.

Jusqu’à il y a quelques mois, je n’avais jamais vraiment bossé avec Freyja (je pourrais en dire autant avec Freyr, on verra, j’ai un peu du mal à rassembler mes idées, et encore plus de difficultés à trouver du temps pour écrire). Elle était une déesse que j’avais essayé plusieurs fois d’approcher, sans succès. Et puis, en septembre dernier, il y avait eu quelques taunts. En partie suite au mois de Frigg, mais aussi sûrement en raison de changements dans la trame, changements que je ne pouvais pas encore percevoir, mais qui n’ont eu de cesse de se produire. L’année sorciéron a été ouverte quelques jours avant Samhaïn, avec le concert de Wardruna et son déroulement what-the-fuckesque, et ça continue.

C’est avec un week-end de pratique du Seiðr qui a eu lieu en mars dernier que j’ai commencé à établir consciemment  certains liens, et à expérimenter un certain nombre de choses. Analyse des données, expériences palpables et levée(s) de sourcils autour de moi.

Plus j’y pense et plus je trouve que toutes les interrogations qu’il y a autour de Frigg et de Freyja sont fascinantes, et qu’elles ont à la fois lieues et pas lieues d’être.
Freyja est souvent réduite à une déesse de l’amour (lol, il n’y a qu’à voir le nombre de rituels dans ce sens qui font appel à Elle), parfois ce champ est quelque peu élargi à la sexualité et à la sorcellerie. Frigg, elle, c’est la déesse du foyer bien rangé et des naissances. Re-lol. Bah oui, des fois que les Déités déborderaient des petites cases et viendraient perturber nos classements Dewey…

Auteur(e) inconnu(e)

La question de la Souveraineté est souvent infiniment plus discrète : Freyja est la femme indépendante qui a la liberté de disposer de son corps. Frigg est davantage rapprochée de l’archétype de la Reine. Pourtant, là aussi, ces deux notions sont, pour moi, interdépendantes. Je vais essayer de démêler un peu le boxon.
Freyja est effectivement une figure d’indépendance particulière. Son infidélité et sa licence sexuelle sont souvent mis en exergue. Même si dans les textes, on la dit mariée à Oðr et qu’elle le pleure quand il disparaît, ce lien est presque anecdotique, et plusieurs auteurs se demandent si ce dernier ne serait pas en réalité Odin, ce qui n’est pas pour arranger les problèmes linguistiques et autres qui se posent par rapport à l’unicité de Freyja / Frigg. (Apparamment, ce problème se pose surtout dans les sources scandinaves, côté germanique, c’est la même. Frau Holda qui combine un certain nombre d’attributs de Frigg et de Freyja est d’ailleurs un cas intéressant). Freyja fait partie de la famille des Vanes, apparentée à la fertilité des champs, des animaux, des gens (bref, liés à la troisième fonction de Dumézil). En terme de Souveraineté, elle ne représente pas uniquement une certaine liberté et la possibilité de jouir de son corps comme elle l’entend, même si cet aspect peut et fait effectivement partie de la notion de souveraineté de soi. Elle est également liée à la Terre, au royaume fertile dont la fertilité permet la vie, l’équilibre et la continuation. Son aspect lié à la guerre et à la mort (comme dans la figure de son frère) fait également partie de cette souveraineté : dans les mythes scandinaves (et pas uniquement je crois) le roi est tenu pour responsable en cas de famines et de mauvaises récoltes, et il peut être sacrifié  si les circonstances l’exigent. La figure de Freyr, le jumeau de Freyja n’est donc pas uniquement à considérer sous un angle « cool et facile » (comme tous les Dieux en fait, pardonnez, je radote). Par rapport à ce dernier, je trouve néanmoins qu’elle possède un côté beaucoup plus sauvage, plus brut. Je ne la rattache pas aux terres cultivées, plutôt à la vitalité sauvage et aux forêts. (Elle est par bien des aspects une déesse aussi liminale qu’Hécate ou Morrigan).

Le fait que les Eddas mentionnent dans plusieurs textes qu’elle est une déesse convoitée par tous, et notamment les Jötuns est intéressant à ce propos : sa souveraineté, son pouvoir est sa force intérieure, et de ce pouvoir personnel qu’elle détient dépend l’équilibre et la prospérité, la vitalité, le jaillissement, et le fait que les Ases et les Vanes font tout pour que les Jötuns ne lui mettent pas la main dessus dénote pour moi son importance sur le plan de l’équilibre cosmique (comme Iðun d’ailleurs).

Et Frigg ? la Souveraineté de Frigg est davantage « interne » quand on pourrait qualifier celle de Freyja « d’externe », pour rappeler les notions d’ Innangard et d’Utangard. Ceci ne les mets par pour autant en position de rivalité contrairement à ce que l’on retrouve souvent, mais plutôt comme une illustration de la complémentarité des forces, complémentarité nécessaire pour que le monde ne sombre pas dans un chaos dévastateur. Frigg, comme Odin, fait partie des Ases, et peut être reliée à la première fonction dumézilienne, celle de la classe dirigeante. Son aspect familial n’est pas si innocent que ça si on sort un peu du contexte moderne dans lequel la famille s’arrête souvent à la famille nucléaire. Si on élargit la notion de famille à celle de famille élargie, ou de clan, Frigg est celle qui facilite les relations entre tous les membres, qui est la tisseuse et la garante du frith. Sa souveraineté est celle d’une reine. Elle assure la cohésion d’un groupe, en se tenant au centre de la toile. Les notions d’hospitalité et de diplomatie lui sont intimement corrélée. Dans quelques textes, on la voit parfois, soit en bisbille avec Odin sur certains sujets concernant un peuple, soit en tant qu’intervenante, quand elle apporte à un couple royal une pomme en leur promettant un héritier. Dans ce domaine de fertilité humaine, et de continuité du lignage, elle peut plus ou moins être rapprochée de Freyja, même si comme nous l’avons vu précédemment, la notion de fertilité de cette dernière est en réalité beaucoup plus large. Frigg est la mère du clan, qui pourvoit aux besoins de ce dernier, sur le plan humain et sur le plan matériel, en s’assurant qu’il ne manque rien. Sans la présence de Frigg, c’est le chaos interne. Ses interventions sont d’ailleurs généralement « équilibrantes » au sein des Ases et des Vanes. Ainsi, c’est également une lecture possible de son intervention pour tenter de préserver Balder : elle tente malgré tout de maintenir un équilibre qui menace de s’effondrer, en se conciliant les bonnes volontés de presque toutes les créatures.
On peut considérer, vu par un prisme moderne, qu’en n’assurant pas de fonction régulatrice au niveau du respect des lois et de l’ordre (au moins de manière directe) Frigg n’est pas « moderne », d’où peut-être le fait qu’elle soit à l’heure actuelle moins populaire que Freyja, puisque Frigg possède des attributs et un exercice que nous pourrions être tenté(e)s de percevoir comme rétrograde ou vieux jeu. Pourtant, je pense qu’il faut se garder toujours analyser les fonctions des déités par notre prisme actuel, en gardant à l’esprit qu’ils reflètent avant tout la société qui les honoraient, et pas forcément la nôtre, pour le meilleur comme pour le pire. Tout comme considérer certaines Déités comme ne pouvant être comprises « que » par les hommes ou « que » par les femmes est un mécanisme d’analyse qui peut se comprendre d’un point de vue purement analytique, mais qui au final nous prive de certaines richesses. Nous ne sommes pas obligés de nous cantonner à notre genre biologique pas plus que nous sommes obligés de faire exactement pareil que les sociétés anciennes. Essayer de comprendre et de décortiquer un mode de fonctionnement ne veut pas dire l’approuver sans réserve ou le copier bêtement, tout comme il est possible d’aborder certaines questions -par exemple ici celle de la souveraineté de Freyja et Frigg- avec un angle de vue contemporain, sans dénaturer l’ancien parce qu’on aimerait qu’il colle à nos idéaux présents, tout en l’interrogeant et en essayant de prendre du recul par rapport à nos observations.

Il y aurait beaucoup à dire encore sur le sujet, autant pour Freyja que pour Frigg, mais un certain nombre de ces notions ont déjà été abordées, au moins de manière rapide, au sein d’une certain nombre d’articles passés. De manière intéressante, c’est en relisant une adaptation de la légende arthurienne que l’idée d’écrire cet article a plus ou moins germé. La dualité Freyja / Frigg n’est pas sans m’évoquer, au moins de très loin, la dualité que forment Morgane et Guenièvre dans les différentes versions / réécritures des mythes arthuriens.

[Odin Project #29] Odin & Freyja

Les nombreuses facettes de Freyja sont parfois dissimulées sous les présentations simplistes de « Déesse de l’amour » qui, si elles ne constituent heureusement pas la majorité des cas, sont néanmoins fréquentes.

Bien plus qu’une déesse d’amour, elle est liée à la guerre, à la mort, au seiðr, à la sexualité, la fertilité, mais aussi, pourrait-on dire, à l’indépendance et à la souveraineté de soi.

Le mari de Freyja, Óðr -dont le nom est basé sur la même racine que celui d’Odin. La question de savoir si Óðr et Odin étaient autrefois un seul et même dieu n’est pas sans faire écho à l’interrogation similaire pour Freyja et Frigg.

En fait, d’une certaine manière, Odin et Freyja ne sont pas sans avoir certains traits communs ou des interactions et en même temps une certaine « opposition » (mais le terme est maladroit).

Les premiers exemples qui viennent en tête concernent la mort, et le fait que les deux se répartissent les guerriers morts, la pratique du Seiðr -on dit que Freyja l’enseigna à Odin- mais plutôt que d’en faire un catalogue maladroit et incomplet (puisque je n’ai pas encore creusé vraiment pour ce qui concerne Freyja), les deux possèdent à la fois une sorte de lien fort / une fonction particuloière au sein de leur groupe (si l’ont peut dire) respectif, et en même temps une espèce de détachement. J’ai abordé plusieurs fois le fait qu’Odin est parfois vu comme le « chef » des Ases, et les paradoxes de cette vision. D’une certaine façon, cela n’est pas sans me rappeler le fait que Freyja est aussi appelée Vanadís, c’est-à-dire la Dís des Vanes : s’il n’y a pas de notion de régulation, il y a l’idée de protection, de veiller sur les siens (ce qui est aussi d’une certaine manière le rôle d’Odin et qui l’oblige à prendre certaines décisions).

Pourtant, l’un comme l’autre sont deux déités indépendantes, l’un voyage, l’autre mène sa vie comme elle l’entend, loin d’un domaine ou d’une maisonnée. Là où Odin apparaît essentiellement comme un dieu « porteur de mort », on peut mettre en miroir la figure de Freyja « porteuse de vie » (le sexe, la fertilité notamment).

C’est évidemment très lacunaire, l’ébauche d’une réflexion plus qu’un réel contenu, mais il y a sûrement des pistes intéressantes à explorer (pareil si on inclu Freyr dans l’équation).

[Odin Project #20] Un dieu solitaire ?

Fritz Hegenbart

Je me souviens précisément du moment où, en voyage sur l’île de Samsø avec le Loup, nous avons eu cette conversation, autour de pizzas et de bières dans une échoppe de Nordby, après avoir parcouru le labyrinthe. On discutait de mythologie nordique -comme souvent entre nous- et au fur et à mesure de la conversation, je me suis retrouvée à penser qu’Odin était finalement un dieu bien solitaire.

J’aurais sans doute un peu de mal à restituer le cheminement exacte de ma pensée -la bière n’était pas terrible, mais on s’était levés à l’aube pour prendre le ferry. Ouh, les vilaines excuses- mais je vais essayer. Je pensais aux déplacements que font Loki et Thor, qui voyagent ensembles plusieurs fois notamment pour aller récupérer le marteau de ce dernier -dans le Chant de Thrym- ou pour aller chez Útgarða-Loki. Aux façons dont sont présentées, introduites toutes ces déités. A leur entourage. Pour au final en venir à la conclusion, entre deux gorgées de bières et quelques gouttes de pluie, que Le Vieux avait surtout l’air d’être seul. Même s’il effectue quelques déplacements accompagné -comme dans le Reginsmál– la plupart du temps, il est seul, avec un but précis. Il se retrouve à se trimbaler partout, en mission. La plupart du temps, ses voyages ne sont pas une sinécure : il certes récupérer l’hydromel -et occupe trois nuits de manière fort agréable avec Gunnlöd- mais il risque sa peau quand même. Et au passage, il y aurait pas mal à dire sur cette histoire avec Gunnlöd, mais bref, passons pour cette fois. Il va faire son battle d’énigmes avec Vafþrúðnir, seul, et là aussi, il risque sa peau. Vous me direz, il n’est pas obligé d’y aller. Peut-être, peut-être pas, après tout.

Il n’est pas présenté comme spécialement proche des autres déités : on le voit parfois interagir avec Frigg, mais leur relation est présentée comme plus ou moins conflictuelle, suivant ce que j’ai pu lire (plus vraiment la source en tête). Thor est son fils, mais -si je ne dis pas de bêtises hein, comme toujours- le seul moment où on les voit tous les deux, le Vieux est déguisé, et Thor et lui se querellent. Lui et le mari de Freyja, Óðr, sont parfois rapprochés ou même considéré comme étant la même déité, mais Óðr disparaît de toutes façons peu de temps après le mariage.
Finalement, à part Sága (on dit qu’ils boivent ensembles et partagent des histoires) et Loki -qu’elles soient conflictuelles ou non-, je n’ai pas l’impression qu’il est fait mention d’interactions fréquentes avec les autres.
Alors, oui, oui, Hermód voyage bien tout seul vers Helheim pour présenter une requête à Hel, oui, les autres vaquent aussi à leurs occupations, mais si on considère qu’il est souvent présenté comme « le chef » des Ases, il est bigrement distant : parce que justement il est le chef ? Parce qu’il se trouve dans l’obligation d’accomplir un certain nombre de tâches ? Parce qu’il a accès un certain nombre de connaissances qui l’éloigne des autres ? Parce qu’il possède aussi très lié à la mort ? (Les autres déités qui sont rattachées explicitement à la mort me paraissent aussi, isolée / indépendante, bref, évoluant en marge des autres). Un peu de tout cela ?

Même dans les réactions / perceptions des gens, disons que parmi les Ases, j’ai l’impression qu’il n’y a que Loki qui suscite autant d’ambivalence / méfiance / passion, etc. Les gens sont rarement neutres à leur sujet. (Oui j’inclue Loki dedans, rapport à la Gylfaginning, « toussa » comme dirait l’autre. Après, c’est un sujet dont il est sans doute possible de débattre des heures).

Je n’ai pas de réponses précises, et d’une certaine manière ce n’est sans doute pas très important, juste des vagabondages d’esprits sur une petite île danoise, par un jour ni beau ni laid d’un mois d’août qui aurait pu être comme un autre. 

[Odin Project #3] Connaissance, mort et responsabilité

« Odin og volva » par Limely

Odin est un dieu aux fonctions nombreuses, et parmi elles, on retrouve fréquemment mentionnée la connaissance. Cependant cette fonction n’est pas isolable des autres, mais participe à un tout.

On dit qu’il est le chef des Ases, et à ce titre, le dieu le plus important du panthéon nordique. Cette affirmation est pour moi à nuancer :  premièrement, cette notion d’importance est assez relative si on prend en compte quelques points. Tout d’abord, rappelons qu’il n’était pas franchement un dieu populaire. Craint, oui. Apprécié, c’est une autre histoire, et cette notion est délicate parce qu’il n’y a que peu d’éléments qui permettent d’en avoir un aperçu.
Les écrits par lesquels nous connaissons les dieux nordiques ont été écrits assez tardivement en ce qui concerne les sources « directes » (comme les Eddas de Sturluson). En ce qui concerne ce que j’appelle les témoins indirectes (comme Adam de Brême ou Tacite), leurs témoignages sont à prendre avec prudence : on ne sait pas dans quelle mesure leurs récits sont empreints de partis pris, plutôt négatifs dans le premier cas, plutôt positif dans le second. Dans le cas de Tacite, on peut de plus rajouter le fait qu’il n’a probablement jamais rencontré les tribus dont il parle, mais qu’il s’appuie sur des témoignages rapportés. (Je m’appuie ici sur ce que mentionne Jan Fries). Thor et Freyr semblent avoir été largement préféré par le peuple, et une analyse de la toponymie des pays scandinaves révèlent que Thor a donné son nom à de nombreux lieux (Si ma mémoire est bonne, c’est lui le dieu le plus présent). Je crois que c’est également le cas pour Freyr (largement présent dans la toponymie suédoise, absente au Danemark par exemple. Là aussi la répartition géographique appellerait de nombreux commentaires). Le nom d’Odin se retrouve quant à lui beaucoup moins fréquemment, même si par exemple, une des plus anciennes villes du Danemark, Odense, porte son nom.

Laissons de côté l’Histoire des rois de Norvège, particulier parce qu’il donne aux Ases une origines asiatiques et raconte leur établissement en Scandinavie, et la fondation de la dynastie des Ynglingar avec Odin comme premier roi, Niord (sic) qui prend ensuite les rênes du royaume après sa mort, puis Freyr, etc. Récit evhémériste, il donne aux dieux une origine humaine ou en tout cas, il rattache les dynasties de son temps à des figures légendaires.
Dans les nombreux textes où il apparaît, Odin est souvent occupé à vaquer à différentes affaires sous différents noms et semble n’intervenir que dans les moments assez dramatiques mais ces interventions ne sont pas -de mémoire- si nombreuses que cela. Il n’intervient pas pour donner un ordre ou pour arbitrer un conflit (par exemple, dans le Hyndluljóð, la querelle entre Hyndla et Freyja, et même dans la Lokasenna, si c’est lui qui donne en quelque sorte le « coup d’envoi », il ne donne pas l’ordre à Loki de sortir du palais d’Ægir etc.) En fait ses interventions semblent le plus souvent corrélée à la mort : par exemple quand il va interroger une völva morte (völva qui a parfois été indentifiée comme pouvant être Gullveig. Gullveig étant elle-même parfois rapprochée / identifiée à Freyja, là aussi il y aurait plein de choses à dire). Gundarsson souligne que dans le droit islandais (peut-être plus généralement aussi chez les scandinaves aussi, à voir), les lois ne concernent pas seulement les vivants, mais aussi les morts. Par exemple, les morts ont l’interdiction de revenir hanter les vivants. La notion de royauté s’exerce à la fois « dans les deux mondes ». Le fait qu’Odin soit considéré comme « le chef » serait liée directement à sa fonction de dieu des morts / en relation avec la mort. Cela n’a donc pas grand chose à voir avec une fonction supérieure, mais plutôt à une responsabilité supplémentaire. A ce titre, je trouve intéressant que Dame Holle, à qui le folklore germanique donne Wotan pour consort, soit parfois rattachée à Hela.

Ensuite, voyons le lien entre connaissance et responsabilité. Dans le Hávamál (strophe 54-56), il est dit :

54. Modérément sage
Devrait être chacun,
Jamais trop sage ; 
A ceux-là
La vie est la plus belle
Qui n’en savent pas plus qu’il ne faut.

55. Modérément sage
Devrait être chacun,
Jamais trop sage ; 
Car l’esprit du sage
Rarement est joyeux
Si sa sagesse est suprême. 

56. Modérément sage
Devrait être chacun,
Jamais trop sage ;
Celui qui ne sait pas d’avance
Son destin
A le cœur plus libre de soin [chagrin].

(Note : C’est moi qui remplace le mot soin par le mot chagrin. Pour ces deux dernier vers, la traduction anglaise de Andy Orchard donne : he never knows his fate before, / whose spirit is freest from sorrow. La traduction de Olive Bray donne : who looks not forward to learn his fate / unburdened heart will bear. Ce qui change le sens par rapport à la version française, le mot soin venant comme un cheveu sur la soupe.)

Il ressort que, moins on en sait, mieux on se porte. Je ne vois pas là une incitation à vivre comme un imbécile heureux (pardon), mais plutôt, en gardant en tête que le Hávamál est censé être un ensemble de conseils attribués à Odin, le fait que « si vous êtes au courant de quelque chose, alors il se peut que vous ayez l’obligation d’agir et pas forcément de manière plaisante. » La strophe 56 n’est pas sans m’évoquer les Rêves de Baldr (Baldrs draumar) quand Odin va réveiller la völva morte pour lui demander ce que signifient les rêves de son fils, et que les bonnes nouvelles ne sont pas franchement au rendez-vous (ou même dans la Völuspá). Pendant que Frigg fait jurer à toutes les créatures de ne pas faire de mal à son fils, Odin va faire de la nécromancie (on suppose qu’il parle avec l’esprit d’une morte en pratiquant le Seiðr). Il est intéressant de rappeler que, toujours d’après Gundarsson mais je crois que Jenny Blain le mentionne aussi, les « sorcières » n’étaient pas très bien vues en Scandinavie mais elles n’étaient que rarement mises à mort : on préférait les mettre au banc de la société en cas de pépin. Vu le climat et le fonctionnement de la société cela correspondait à une mise à mort, mais de manière indirecte. En effet on disait que mort/e/s, ils/elles avaient de plus grands pouvoirs que vivant/e/s. Ne pas les faire tuer évitait que l’esprit du mort se retourne contre l’exécuteur (directe ou ayant ordonné l’exécution de la sentence). Odin est le seul à pouvoir exercer ce type de fonction. Il est donc dans l’obligation d’agir et de faire le boulot nécessaire pour que les choses aillent le moins mal possible. Dernier point et pas des moindres, plusieurs auteurs (Gundarsson, mais aussi Davidson et d’autres que j’ai oublié) expliquent que le roi est tenu pour responsable en cas de problèmes (famines, épidémies, etc.) et que potentiellement, il doit être prêt à se sacrifier. Le chapitre 43 de l’Histoire des rois de Norvège (intitulé Olaf l’Herminette périt dans un incendie) fait allusion à cette pratique.
Le fait qu’Odin soit le chef des dieux est donc : 1/ absolument pas une sinécure contrairement à ce que certains raccourcis hâtifs semblent parfois sous-entendre. 2/ intéressant si l’on considère d’autres points importants des mythes nordiques, mais ce sera pour un autre jour.

Sources :

Histoire des rois de Norvège, traduction François-Xavier Dillmann
L’Edda poétique, traduction Régis Boyer
The Elder Edda, traduction de Andy Orchard
http://www.pitt.edu/~dash/havamal.html [traduction de Olive Bray]
Wotan – The Road to Valhalla, K. Gundarsson
Helrunar, Jan Fries