[Odin Project #13] Les enfants d’Odin [généalogie]

On prête parfois à Odin d’être à l’origine de la plupart des Ases, ce qui me semble quelque peu exagéré, même si on peut lui rattacher la paternité d’un certain nombre d’enfants (et de petits-enfants par déduction). Probablement en raison de certains de ses heiti (je pense à Père-de-Tout, mais le rapprochement initial ne vient pas de moi), mais aussi de la création des humains telle que racontée dans la Gylfaginning (Ask et Embla). A noter que dans la Rígsþula (Chant de Rígr), c’est Heimdall, qui sous le nom de Rígr, engendre la race humaine : certains auteurs [encore une fois qui ? Je ne me souviens plus] ont suggéré que ce Rígr pourrait en réalité être Odin. Je ne sais vraiment quoi en penser, là au pied levé, je partage davantage à titre d’anecdote.

[La graphie des noms est celle utilisée par John Lindow]

Balder (M) : Second fils d’Odin après Thor. Frigg est sa mère.

Hermód (M) : Hermód est-il le fils ou un homme de main d’Odin ? John Lindow explique qu’il pourrait très bien être à l’origine un héros humain -le même type de paradigme se pose quant à l’origine de Bragi, qui a très bien pu être un scalde divinisé. Il précise aussi que l’histoire de la mort de Balder est parfois présentée comme se jouant entre trois frères (donc Balder, Hermód et Hödr) : j’avais lu -reste à retrouver la source : Turville-Petre ?- que le fait que cela se produise au sein d’une même famille (y compris en incluant Loki) pourrait être un exemple d’un règlement fratricide tel que cela pouvait se passer à l’époque.

Höd (M) : Fils aveugle d’Odin. [sa cécité n’est pas mentionnée dans tous les textes]. De manière assez surprenante, lui aussi survit au Ragnarök. Pas plus que pour Hermód le fait que sa mère soit Frigg n’est systématiquement mentionné.

Sæming (M) : Mentionné dans l’Histoire des rois de Norvège, soit fils d’Odin, soit fils de Freyr, cela n’est clair. Dans le prologue des Eddas, il est nommé comme étant le fils de Skadi et d’Odin (en plus d’autres fils non cités). A noter que j’ai parfois lu que l’union d’Odin et de Skadi avait donné naissance aux Sames [?].

Sága (F) : Sa parenté n’est pas claire non plus, il est parfois mentionné qu’elle est la fille d’Odin. En tout cas sa mère est inconnue.  Lindow mentionne qu’en considérant l’étymologie de son nom, certains spécialistes pensent que Sága pourrait être un autre nom de Frigg.

Thor (M) : Fils d’Odin et de Jörd.

Vídar (M) : Fils d’Odin et de Gríd, une géante.

Váli (M) : Dans le Skáldskaparmál, un kenning le désigne comme étant « le fils d’Odin et de Rind ».

Et à propos de Týr ? Toujours dans le Skáldskaparmál, un kenning le désigne sous le nom de « fils d’Odin ». Cependant, dans la Hymiskviða (Chant d’Hymir), qui raconte l’expédition de Thor et Týr chez le géant Hymir, on apprend que ce dernier est le père de Týr. Quant à l’identité de sa mère, elle pose apparemment problème à beaucoup de spécialistes : soit elle est une Ase, et autant l’union entre une géante et un ase ne pose pas de problèmes, autant l’inverse, déjà plus (pour diverses raisons, bla bla bla). Soit elle est une géante, ce qui pose un autre paradigme. Ceci étant, le cas de cette déité demanderait un approfondissement spécifique parce qu’il est assez particulier. [Personnellement, vu l’évolution des fonctions respectives de Týr et d’Odin, et d’autres détails,  j’ai un peu du mal à le considérer comme son fils.]

Sources : 
Norse mythology, John Lindow
A Piece of Horse Liver, Jón Hnefill Aðalsteinsson
Norse mythology, Kathleen Daly

[Odin Project #7] Odin est-il impliqué dans la mort de Balder ?

« Odin’s last words to Baldr » (1908) by W. G. Collingwood.

La mort de Balder est abordée dans plusieurs textes : dans la Gylfaginning (chapitre 49), dans la Völuspá (31 et 32) et les Baldrs draumar.

Je n’en resituerai pas le contexte, qui a déjà été abordé plusieurs fois sur ce blog, me contentant de rappeler que Loki pousse Hödr à décocher la flèche fatale. Ici commence l’interprétation.

Loki n’est pas directement puni : ce n’est pas lui que Vali, le fils engendré par Odin et Rind, tuera. C’est Hödr. Loki sera châtié suite à ce qui se passe dans la Lokasenna, où il explique être la raison pour laquelle Balder n’est pas présent au banquet (= la raison pour laquelle il est mort) [strophe 28]. Suite à cette déclaration, ni Frigg ni Odin ne répondent.
Les raisons pour lesquels Loki a poussé Hödr a commettre le meurtre ne sont jamais développées. On dit simplement qu’il était jaloux de Balder, ce dernier étant aimé de tous. A noter que là où dans les Eddas poétiques, Balder est un dieu disons « bien sous tous rapports », la description qu’en fait Saxo Grammaticus dans La Geste des Danois est quelque peu différente : Balderus (qui est présenté sous un jour beaucoup moins sympathique) se retrouve en compétition avec Hotherus (=Hödr, sauf que Hotherus n’est pas aveugle) pour gagner l’amour d’une femme, Nanna et finalement, Hotherus tuera Balderus. Si ma mémoire est bonne, il n’y a pas d’équivalent de Loki dans le panthéon germanique, il est une figure propre au panthéon nordique (je distingue germanique et nordique pour des raisons également évoquées précédemment sur ce blog).

Essayons de regarder la mort de Balder en retirant Loki de l’équation. La façon dont Balder est tué présente un certain nombre de traits avec un épisode de la Saga de Gautrek où (en gros, hein) un mec nommé Starkaðr survit à toutes sortes d’aventures et finit par faire un simulacre de sacrifice à Odin : il fait semblant de s’offrir à lui, avec une corde non tendue autour du cou et une branche d’osier comme lance. Sauf que d’un seul coup, la corde se tend et le pend, tandis que l’osier devient une lance et lui transperce le corps. La plante inoffensive qui se transforme en arme mortelle est commune aux deux histoires.

Il existe un certain nombre de parallèles entre Odin et Hödr. Un certain nombre de heiti décrivent Odin comme borgne ou même aveugle. Le nom de Hödr est traduit par « guerrier ». Dans la description des deux, il y a une certaine « schématisation » qui est commune, au moins en apparence. Je ne sais pas si une analyse plus poussée de l’origine du nom de Hödr ne se rattacherait pas à l’étymologie du nom Odin.

En admettant cette hypothèse, reste la question du « pourquoi » ? Pourquoi Odin sacrifierait-il son fils « aimé de tous » -et sa mort ne le réjouit absolument pas ? Plusieurs hypothèses complémentaires :

1/ La première (la mienne) : c’est que Odin, en tant que « responsable » des dieux, (comme vu ici) est chargé aussi du futur de tous. Il doit faire des choix, aussi douloureux soit-il en gardant à l’esprit l’évolution des mondes. Il est donc pas impossible de penser qu’il ait sacrifié Balder au destin (et un sacrifice qui ne vous coûte rien n’est pas un sacrifice, je fais une distinction entre cette notion et celle de don). Le destin n’étant pas ici une entité incontrôlable à laquelle les dieux sont soumis (bien que cela soit le cas dans les mythes nordiques : mêmes les dieux sont soumis aux lois du Wyrd) mais disons le calcul froid et pragmatique d’un stratège qui doit abandonner en apparence pour pouvoir remporter la bataille plus tard. Balder, comme Hel, sont peut-être des ajouts tardifs, approximativement du Xe siècle (je cite de mémoire, m’en souvenant quand j’avais fait les recherches sur Hel / Dame Holle et la Cailleach en juin 2011) : il est vrai que, même si je ne suis pas absolument convaincue par le rapprochement de Balder avec une figure christique, il n’est pas déraisonnable de penser que la façon dont il est présenté préfigure une certaine évolution.

2/ Cela nous mène à la seconde hypothèse, avancée par Patrick Guelpa. Odin et les autres Ases sont des figures d’un monde ancien, Balder représente le futur. On peut y voir la passation des anciennes puissances à des nouvelles, avant que ne s’écroule « l’ancien monde » (littéralement, Ragnarök signifie « Crépuscule des Puissances).

3/ Enfin, la troisième interprétation, celle qui est plusieurs fois reprises et étayée par K. Gundarsson : on retrouve la mort comme constante chez Odin, y compris dans la poésie, qui est utilisée par les skaldes pour se souvenir des morts, et honorer leurs exploits. [Note : on retrouve cela chez Saga, la fille d’Odin. Elle figure parmi les suivantes de Frigg -souvent douze, mais leur nombre varie suivant les textes- et on dit qu’elle se rappelle de toutes les histoires et de la généalogie des familles]. Ce que murmure Odin à l’oreille de Balder au moment où celui-ci est sur le bûcher funéraire, pourrait donc être la généalogie des Ases. Autrement dit, la possibilité de remonter à la source et de redécouvrir les anciens dieux une fois le Ragnarök passé, puisque Balder, et un certain nombre d’autres dieux, survivent et reviennent. Il aurait donc volontairement « préservé » Balder comme une sauvegarde de mémoire pour ne pas qu’ils soient tous oubliés.

Loin de s’exclure, ces trois possibilités dressent un tableau intéressant. Loki, loin d’avoir été la « source » de sa mort, n’aurait été qu’un exécuteur ignorant -ou pas d’ailleurs- le plan derrière. Bien que ses actions sèment généralement une belle pagaille, il est aussi celui qui permet de les résoudre, et qui permet d’en tirer, au moins des avantages, sinon de rétablir un certain statu quo. Ceci amènerait des débats intéressant, à voir pour une autre fois.

Sources : 

Our Troth, vol.1
Norse mythology
, John Lindow
La Völuspá, Essai sur l’ancienne poésie islandaise, Patrick Guelpa
Wotan – The road to Valhalla, Kvedulf Gundarsson
Mythes et Dieux de la Scandinavie ancienne, Georges Dumézil

[Sigyn Project – Jour 24] Jouer !

J’ai finalement assez peu parlé de Narvi et Vali. Avec Sigyn, cette triade pourrait nous apporter un message simple, mais pas toujours aisé à mettre en œuvre : ne pas trop se prendre au sérieux, de profiter des plaisirs simples de la vie et s’amuser. Prendre plaisir à faire des choses toutes bêtes comme griffonner sur une feuille de papier avec pleins de couleurs parce que cela nous éclate, faire la bombe à eau en plongeant, courir après les feuilles. Ne pas trop chercher à vouloir se cantonner à l’image sérieuse que l’on attend de nous, la vie est trop courte. Tant pis si on a l’air un peu con à chantonner en effeuillant une marguerite, ou si on a envie de sortir un vieux jouet de notre enfance.

Auteur inconnu

Faire de la balançoire et fermer les yeux en sentant l’air nous fouetter la figure, chercher des coquillages, ramasser des feuilles jaunies pour décorer le bol de l’entrée, partager un bon gâteau en famille, grignoter des sucreries ou du pain et du fromage en bavardant dans un parc, se blottir dans le creux de sa couette avec ses chats et faire un jeu de société, sortir les pastels et dessiner un arc-en-ciel… autant de trucs simples. Tellement simple qu’ils en paraissent idiots. Des choses simples qui sont à la portée de toutes les bourses. Si simples qu’il n’y a aucune excuse pour ne pas s’accorder le temps de le faire de temps en temps et pourtant, combien sommes-nous à faire passer ces choses là à la trappe en premier ? Parce que pas le temps, parce que le travail, les études, parce que, parce que. Parce qu’il est parfois plus simple de se mettre une chape de béton sur les épaules, de se regarder dans le miroir avec toutes nos responsabilités, qu’elles soient dans le domaine familial, professionnel, spirituel ou tout à la fois.

Mais la vie n’est pas faite que de responsabilités. Elle est aussi faite de tous ces moments là qui ne servent à rien, qui ne doivent servir à rien d’autres qu’à nous apporter un peu de légèreté et de douceur. Si on oblitère complètement cet aspect, alors tout le reste devient progressivement de plus en plus lourd, et si on n’ey prend pas garde, il peut finir par nous écraser totalement. Cet aspect mutin de Sigyn est tout aussi important que l’autre. Elle est à la fois l’enfant qui joue de manière insouciante avec des fleurs et celle qui porte le bol dans la caverne. L’un ne va pas sans l’autre.

Quand j’ai commencé à travailler avec Narvi, je ne savais pas comment faire. Je me sentais maladroite et gauche, je n’avais aucune idée de la manière adéquate pour débuter. Je me sentais beaucoup trop cynique et tranchante pour utiliser mes méthodes habituelles, qui sont parfois assez trash. Autant je n’hésite pas à bourriner pour bosser avec certains, autant, je m’étais dit que j’allais devoir changer mon fusil d’épaule. En même temps, c’est une vue de l’esprit : on projette une fragilité présumée sur eux, et totu ce qu’on lit n’aide pas forcément à trouver sa manière de procéder (C’est depuis ce moment là que je ne lis plus rien avant d’entamer un travail. Ce n’est qu’après avoir commencé que je regarde rapidement ce que d’autres peuvent en dire, histoire d’avoir d’autres visions, mais je n’épluche pas tout, cela ne m’intéresse pas et je ne souhaite pas être trop influencée). En les visualisant comme des enfants, on peut rapidement perdre de vue qu’ils ne sont pas humains. J’ai du faire exactement le même type d’erreur que ceux qui ne voient en Sigyn qu’une femme abusée. Bref, j’ai finalement eu l’idée de jouer avec Narvi. Et c’est comme ca que je me suis retrouvé à sortir les petits bâteaux Vulli avec lesquels je jouais enfant, à me faire couler un bain et à vouloir jouer avec. Je passe sur le moment awkward où on réalise qu’on est à poil dans sa baignoire à vouloir entrer en contact avec une déité qui a l’apparence d’un petit garçon de huit ans. -___- Grand moment de solitude et de « I have no fucking idea what I’m doing ». Le plus dur ? Arrêter de se regarder et de projeter ce dont on pense qu’on a l’air (« on va passer pour des qu’on peut pas se permettre de passer pour » comme ils diraient dans Kaamelott), lâcher prise et prendre du recul. C’est là qu’on se dit « ouais ben bordel de merde, peut-être que je voyage facilement ou quoi, mais là, c’est du challenge. » S’amuser, jouer, garder une âme d’enfant, c’est un putain de challenge, mais c’est aussi nécessaire que toutes ces histoires d’ancrage/purification/protection/visualisation etc.

[Sigyn Project – Jour 10] Dame du Silence

Bien que je ne la connaisse pas depuis longtemps, Sigyn m’apparaît comme une déesse lointaine. Pas vraiment éthérée ou évanescente, lointaine. Elle est toute entière dévouée à sa tâche, à sa famille et toute son attention se concentre là-dessus. Il me semble qu’elle n’intervient dans la vie d’une personne que lors d’une épreuve particulièrement difficile pour elle, pour lui insuffler courage et persévérance.

Ce n’est pas une déesse prolixe, mais aucune des déesses de la mythologie nordique ne l’est, du moins pas celles que j’ai approché. Chez Sigyn, son silence est parfois pris pour de la timidité, mais je trouve pas qu’elle soit réellement timide. Elle n’a simplement pas envie de parler, elle n’a rien à dire. Son silence est celui de ceux qui ont quelque chose à faire et qui s’emploie à le faire plutôt que d’en parler. Elle ne demande rien, ne réclame rien : que voulez-vous lui dire ? « Courage » ? Ce mot est superflu. Ce n’est pas tant qu’il n’y ait rien à dire, c’est plutôt que la façon d’exprimer est dérisoire par rapport à ce que l’on voudrait dire. Elle est au-delà des mots.

Certains perçoivent Sigyn comme une pauvre femme abusée, une victime ou un parangon d’abnégation. Je ne pense pas qu’elle soit aucune de ces choses. Elle a fait son propre choix et il ne nous appartient pas d’en discuter ou de venir la voir avec commisération pour la plaindre. Elle ne se plaint pas et le faire à sa place me semble déplacé. Exactement comme ne voir qu’en Narvi et Vali deux pauvres petites victimes. Certes, ils sont les victimes innocentes, un dommage collatéral, mais je suis mal à l’aise quand je lis qu’il faudrait pleurer pour eux trois, qu’il faut éprouver de la compassion pour la famille détruite de Loki. C’est en quelque sorte se mettre dans une position qu’il ne nous appartient pas d’occuper. Une forme d’orgueil, comme si avions le droit de décider ce qu’il sont ou que nous avions le pouvoir d’interférer avec leurs trajectoires. Ils apparaissent fragiles, mais je ne sais pas s’ils le sont ou si ce sont uniquement le fruit de nos projections qui nous les font paraître fragile. Certes il n’est pas question non plus d’occulter leurs destins, mais quelque soit l’optique dans laquelle on les considère, il faut garder à l’esprit que comme toutes les déités, nous ne pouvons jamais réellement les comprendre et les considérer dans leur intégrité. Nous ne percevons que des fragments et nos perceptions sont faussées.
C’est en cela que je les trouve difficile à approcher : existe-t-il seulement une manière correcte de le faire ? Le fait qu’ils ne semblent pas « venir » spontanément dans la vie des gens de manière courante pourrait indiquer qu’ils ne désire qu’une chose : qu’on leur foute la paix sans en rajouter en plus avec nos gros sabots et nos maladresses.

Je ne sais pas quoi leurs dire, je ne sais pas quoi faire. Alors je ferme ma gueule. Je me contente d’être la plus factuelle possible quand je fais certaines dévotions, je laisse une offrande et je les laisse décider. Par rapport à toutes les déités nordiques avec qui j’ai eu l’occasion de travailler, je trouve que ce sont eux qui font le plus réfléchir sur la question de notre ego, de la place que nous avons le droit de prendre, sur la question de la pudeur et du respect.