L’Ancien et le Nouveau

Histoire d’un renoncement et d’un recommencement

tumblr_mg4fofA9701r3wk1zo1_1280Il y a une dizaine d’années, j’avais la possibilité d’avoir une pratique “de luxe”, et je ne mesurais pas à quel point les mots “de luxe” ne sont pas vain.
Je savais bien que c’était une chance, mais quand je relis un de mes anciens articles sur la question, si je trouve que le propos est pas faux, il y a quand même un truc qui me saute au yeux :

Je n’ai pas été foutue de l’appliquer à moi-même.

Voilà. Les gentils conseils de la Aranna de 2013, qui t’explique que Faire une offrande pendant que l’on prépare le repas, ou garder une bougie dans la cuisine et l’allumer à ce moment là, ils sont pas totalement hors sol mais il y a un paramètre qu’ils ne prennent pas en compte.

La frustration.

La putain. De. Frustration. Frustration d’avoir la sensation de se perdre. Frustration parce qu’on se languit de son ancienne pratique, de son ancien cadre, de ses anciens luxes (comme avoir un toit stable au-dessus de la tête et ne pas bouger tous les 3 mois ; avoir ses affaires à portée de main ; dormir la nuit), de son ancienne liberté, de tout.

Pendant presque sept ans, j’ai couru et soupiré en pensant à cette ancienne liberté de pratiquer. Et pendant que j’avais cette liberté de pratiquer, je soupirais en pensant à la vie que j’ai maintenant (sauf quelques détails dont je me serais passée, mais on ne choisi pas tout. Non, non, on n’a pas commandé à l’Univers avec panier en 1-clic certains paramètres. Et non c’est pas sensé être chose que “shit happens”. Du moins pas pour moi.)

C’est pas tout de savoir en théorie comment on peut concilier vie on-ne-peut-plus-ordinaire et vie spirituelle, encore faut-il arriver à y trouver l’épanouissement. Je parle pas d’être tous les jours cui-cui les petits oiseaux, mais au moins, ne pas avoir l’impression d’être pris dans le cercle infernal du hamster dans sa roue.
Hors, rien que le terme “vie quotidienne” c’est un vaste sujet : c’est quoi le quotidien ? Faire ses courses ? D’accord, rien que dans ce petit détail, il y a une foultitude de paramètres qui vont faire que l’aune de ce qu’est “le quotidien” d’une personne » sera “le luxe” de l’autre.
Alors en soit, on le sait. On sait qu’il y a “toujours pire ailleurs” et oui, on est toujours le privilégié de quelqu’un. Sauf que se dire “il y a encore pire que moi”, je ne pense pas que ca aide une personne non plus. Ca ne lui change pas son cercle infernal personnel d’un coup de baguette magique, et si ca pouvait être utilisé comme prévention contre le burn-out, ca se saurait.

Pour en revenir à nos moutons, c’est pas tout d’avoir des paramètres quotidien, encore faut-il y trouver nos propres bornes, nos propres structures, notre propre bidule intérieur qui fait qu’on arrive encore à y faire pousser les p’tites fleurs de notre vie rituelle / spirituelle / dévotionnelle, bref vous voyez ça en fonction de votre axe de pratique. Par exemple, personnellement, je n’arrive pas à faire certaines connexions si je ne suis pas absolument seule chez moi. De même, me dire “j’ai 1h, je n’ai qu’à faire ça”. Ca fonctionne pour passer un coup d’aspirateur, pas pour créer le pont et la déconnexion mentale suffisante pour arriver à faire un truc rituel.

Un autre point de détail : trouver l’épanouissement dans la vie quotidienne, ca dépend aussi de son axe de pratique, option bonus, des divinités que vous honorez plus particulièrement (ca c’est ma caillasse personnelle dans la chaussure).

Odin, la popote, c’est pas trop son truc. (Sauf quand il s’agit d’aller tirer pépouze l’hydromel de Gunnlöð. Et Gunnlöð au passage.)

Et ca, je crois que ca a été le plus dur.

Ca, et mon amour des recherches et des heures passées dans la lecture de 10 000 ouvrages, l’écriture, l’écriture, l’écriture. Sauf qu’aujourd’hui, la plupart du temps, quand j’ai du temps pour lire, le soir (moment sacré de la journée !), j’en profite pour lire de la fiction, en français, parce que je suis tellement cramée de mes journées, d’une part, que c’est pas la peine de lire en anglais.
D’autre part, quand je lis des trucs intéressants (Bisou le Vieux) en anglais etc, ca me donne deux envies : écrire, et faire des recherches complémentaires. Et je me souviens que je n’ai pas le temps et qu’il faut faire des choix.

Est-ce que c’est ma nouvelle pratique qui m’a trouvée ou est-ce que c’est moi qui ait trouvé ma nouvelle pratique ?
Bonne question, je n’en sais rien. Je dirais un peu des deux. Quand on est dans une certaine optique, on tend à être plus réceptif à des divinités correspondant à cette optique. Et quand des divinités correspondent à des optiques qui nous parlent, on se rapproche un peu plus de leur axe dévotionnel.

Il m’a fallu du temps pour accepter le changement : pour cesser de vouloir absolument revenir un type de pratique comme celle que j’avais avant d’avoir une cohorte de petits champignons (les petits champignons, c’est du spore !). Si la vie est parfois comparée à une succession de saisons, on peut considérer qu’il y a aussi des saisons dans la vie spirituelle (et pas uniquement quatre, ni dans l’ordre canonique).

Se pose aussi la question de “après avoir vécu une énorme épreuve de passage, est-il simplement possible de revenir à la personne que l’on était avant ?” Et d’ailleurs, pourquoi le faudrait-il ?

Du coup, aujourd’hui, si mon chemin dévotionnel avec Odin n’est pas terminé, au quotidien, l’expression de ma pratique et tout ce qui la sous-tends, ca passe par une quantité de trucs très friggesques.

Mais ceci est une autre histoire.

[Source de l’image inconnue, trouvée sur tumblr il y a une décennie et sauvegardée dans mes dossiers.]

[PBP/Loki Project #19] O – De Loki à Odin

“Nattens tystnad” © Heathen Harnow

Odin est un dieu complexe, c’est le moins que l’on puisse dire.

Les débuts n’ont pas été des plus simples, et pour cause, j’y suis allée à reculons. Il m’a fallu pratiquement neuf ans pour arrêter de faire ma tête de mule. Et quand j’ai commencé à m’y intéresser, le réservoir d’eau suspendu au-dessus de ma tête s’est brutalement rompu, et je me suis pris 30 000 litres d’eau sur la tronche.

Il est souvent décrit, entre autres, comme un dieu de sagesse et de magie, mais les aspects prédominants dans ma pratique sont plutôt ceux de mort et d’extase, et quand j’y pense, les frontières entre ces deux notions sont assez perméables, au moins en terme d’énergie.

Il n’a pas grand chose de calme et de posé, je le ressens parfois comme une sorte de prédateur à l’affût dans le noir, vous guettant avec un large sourire en lame de couteau. Il y a quelque chose de cruel et d’affûté dans cette attente, quelque chose de sourd qui gronde et que l’on perçoit à peine. Formulé de la sorte, cela n’apparaît pas comme particulièrement joyeux, je sais. Je sais aussi que souvent, les rares bribes de ce que je relate à propos de cette découverte et de ce travail peuvent donner une impression de quelque chose de pénible, de terrifiant. Une très mauvaise expérience dont on se méfie. La réalité est différente, bien différente.

Je ne pensais pas qu’il me reconnecterait à la source que j’avais tant cherché avant de laisser tomber. Cet extase là n’a rien de mesurable. Ca a été comme d’être à côté d’un réacteur nucléaire. Quand les alarmes se sont déclenchées, il était trop tard. J’étais devant le réacteur et tout a sauté. L’image est violente, et les radiations l’ont été aussi. Mais violent n’est pas toujours synonyme de nuisible, ou de négatif. La violence dénote aussi une intensité, parfois plus qu’une intention.

Et la mort.

La mort de ce que je connaissais. Parce que toutes les certitudes, certes vacillantes pour certaines, que j’avais eu se sont trouvées balayées. Parce que certains aspects de ma vie ont valsés, certains écartés pendant un moment, d’autres fracassés. Parce que certaines déités ont été littéralement dégagées de ma vie. Tout le monde dehors, hop, circulez y’a plus rien à voir.
Loki était le dieu le plus ancien dans ma pratique. Le premier. Le seul du panthéon nordique que je trouvais intéressant. Et si je n’ai pas toujours fait que des choses intelligentes, censées ou réfléchies, il m’a énormément apporté. Il m’a aidé à une époque où il n’y avait plus rien d’autre. Et c’est par le chaos que j’ai retrouvé le chemin de ma pratique. Il y avait un avant. Il y a eu un après. Une barrière. « Maintenant c’est comme ça. Pour le moment en tout cas. » / « C’est mieux pour toi. Vas-y maintenant. »

Impossible de me reconnecter à ce niveau là. Les frontières sont closes et les demandes de visa balayées du revers de la main. No way.

Et même si aujourd’hui on pourrait dire que les choses se sont assouplies, quand j’écris sur Loki ou quand je pratique, je sens que ca n’a plus rien à voir. Je reste dans le factuelle, parce que de « non factuelle », il n’y a plus que des bribes effilochés qui subsistent encore de l’ancien tissage.

Est-ce que je regrette ? Certains impacts, oui, parce que je me suis sentie coupable. « Si j’étais restée à allumer des bougies blanches à la pleine lune, certaines choses auraient été plus simples » me suis-je souvent dit. (Probablement une connerie de plus à ajouter à mon compteur.)

Est-ce que je regrette ? Parfois, quand je me souviens des morceaux de verre dans le kaléidoscopes, je regrette leurs dessins et leurs enchantements. Mais la musique de leurs couleurs, je n’étais pas en mesure de l’apprécier. Pas comme j’ai pu apprécier une autre musique. Qu’est-ce qu’il y aurait à regretter, quand même les couleurs chantantes se figent, jusqu’à ce que vous les posiez ?

Dans le fond, en dépit des apparences, j’ai au moins autant reçu que donné. Cela n’a pas été facile, en sautillant et en claquant des doigts, apporté sur un plateau d’argent. Mais je mentirais si je disais que, au final, tout m’avait déplu. Je mentirais si je disais que tout était horrible. Je vous mentirais si je vous disais que j’ai continué sur ce chemin là par obligation.

Merci Loki.

[Loki Project #16] Trickster. Changeur. Catalyseur.

Auteur inconnu

Ce mois de juillet a commencé par un gag plutôt drôle pour nous, moins pour mes voisins. Ne dites jamais « j’emmerde les voisins du dessous » la veille du mois de Loki. CQFD. Synchronicité, rien de plus. Sans doute.

Les gags se sont multipliés. Un téléphone dont le réseau tombe en rade et des sms absurdes reçus de la part d’un opérateur abasourdi quand je les appelle : « euuuh, je ne comprends vraiment pas ce qui se passe, parce que dans votre dossier tout est ok. Mais en plus il n’y a aucune trace des sms envoyés, normalement l’historique les garde. Je ne comprends vraiment pas ce qui se passe, c’est incompréhensible. » A l’autre bout du fil, on se mord les lèvres pour ne pas rire et on essaie de rassurer le hotliner confus.

Les trains qui déconnent (heureusement rien de méchant contrairement à l’accident de Brétigny). Les imprimantes sont bourrées au travail. Personne ne comprends ce qui se passe. On se planque comme on peut pour rire et annoncer ensuite. « It’s a Loki/lucky Day ». La quasi-homonymie passant inaperçue.

Le reste aussi. Les riens incongrus des jours écoulés sur lesquels on ne s’attarde pas. Une prédilection pour les outils de communications modernes.

La phrase du mois pourrait être : « C’est bizarre / je n’y comprends rien, d’habitude / normalement / techniquement / en principe, ca ne fait pas ca / je n’ai jamais vu ca / c’est pour ainsi dire impossible. »

Ca va Trickster.

Changeur. Catalyseur. Comploteur. Blagueur. Farceur. Pertubateur.

Rien de méchant, rien de grave. Mais…

Mais. Mais la donnée la plus perturbante du mois -pour le moment- c’est de comprendre, de ressentir, de toucher du doigt pourquoi il inquiète autant. D’appréhender pleinement les raisons pour lesquels il est montré du doigt, craint, honni parfois.

Les plaisanteries sont amusantes. Elles pourraient ne pas (pour paraphraser Melville). Il suffirait d’un rien, d’un glissement de quelques millimètres. Une focale très légèrement mal réglée.

Je ne m’étais jamais posée la question, et la potentialité que, éventuellement, « l’humour pouvait parfois être mal dosé », encore moins. Maintenant, étrangement, je le mesure.

Odin & Loki by Kayla Marquez

Ce n’est pas uniquement une exploration intellectuelle, même si le ressenti reste purement hypothétique et sans « application de dommages mesurables » (pour ne pas écrire autre chose. Superstition ? En partie sans doute. Ou pas), il y a quelque chose de pratiquement palpable dans cette potentialité qui ne m’était jamais apparu auparavant. Peut-être parce que mon inconscience m’en tenait éloignée. Peut-être parce que mes affiliations étaient différentes et qu’il y a certaines ambivalences, certaines charges que je suis davantage en mesure de percevoir maintenant. Peut-être parce qu’auparavant, je n’avais pas la sensation de me tenir derrière une invisible barrière électromagnétique. « You shall not pass ». Factuel. Immédiat. Sans appel. Mes cuisantes expériences de la fin de l’automne m’ont probablement appris que tout peut arriver -s’il était besoin de me faire une piqure de rappel- y compris ce qui ne vous semble ni factuel, ni rationnel, ni explicable, ni logique, ni pragmatique. Et que « non », veut dire « non », peu importe les mondes.

Je n’ai pas choisi l’autre côté de cette barrière là. J’aurai donné n’importe quoi pour rester du côté où j’étais. De part et d’autre, on m’a dit « niet ». Enfin, d’un côté il y a eu le silence fataliste. « C’est comme ça ». De l’autre on m’a fait un dessin.

Mais je digresse.

Pour en revenir au sujet, c’est troublant de se rendre compte que les pièces ont deux faces, d’en mesurer le pouvoir brut, les terribles capacités. Un peu comme de se rendre compte que la bombonne de gaz qui nous sert à faire le dîner pourrait se transformer en arme mortelle qui détruirait la maison si elle explosait.

Elle n’explose pas. Mais elle pourrait.

Il est facile de faire n’importe quoi quand on ne mesure par le danger. Ce n’est ni un signe de courage, ni un signe d’intelligence ou d’expérience.
Continuer de faire et d’aimer, continuer à conserver une certaine légèreté quand on a éprouvé ce risque, c’est un art, un apprentissage ; Un exercice d’équilibriste entre la patience, la sagesse (bien que franchement, je n’appliquerais pas ce terme à beaucoup de gens, et encore moins à moi), la « pureté » (pas dans le sens mauvais / bon ou pur / impur, plutôt dans le sens « ne pas se comporter pour éviter ci ou pour gagner ca. La pureté comme un élan du cœur sans calcul, je pense que ca résume bien mon idée). Je suppose que, ce n’est qu’un fois cette sensation ressentie que l’on peut dire que l’on connaît « pas trop mal », une déité.