Une divagation sur Balder

[Partie UPG-esque/perso. Un autre article plus détaillé et analytique suivra un autre jour. Délai non garanti.]

Balder, le fils de Frigg et Odin. Le dieu lumineux et solaire à la mort tragique. Pendant longtemps, la manière dont il était présenté (gentil, bien sous tous rapports, bla bla bla) suffisait à me donner envie de gerber. Rien que pour la forme, je le détestais, comme je détestais Odin. (Il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis.)

Baldur by munashiibennu (deviantart)

Même après avoir commencé à creuser les mythes nordiques, j’avais un peu du mal à le comprendre, contrairement à d’autres personnes autour de moi qui semblaient capter bien plus de choses que moi, et qui avaient (et ont toujours) beaucoup de points de vue pertinents sur lui. Pour moi, Balder, c’était un blondinet hyper mystérieux qui brillait la nuit, qui mourrait connement et dont la mort provoquait un bordel monstrueux. Pardon aux familles, mais c’était ça.

Novembre 2013. Je me remue les neurones valides dont la RAM ne sature pas pour écrire les articles du Odin Project. Et il y a cette drôle d’impression. Celle que Balder est plus ou moins en train de se pointer. Ca me laisse perplexe, même s’il y a eu deux ou trois taunts dans le monde physique (les Dieux nordiques, ces petits farceurs). Une nuit, je rêve de Balder. Le genre de rêve qui vous laisse profondément perplexe au petit matin. Je rêve de Balder la nuit anniversaire de la mort de ma mère. Je me demande si je dois y voir un sens quelconque et décide que non.

Passons. Ce bla bla est modérément intéressant, sa seule utilité étant de situer le contexte.

Balder, figure ambivalente s’il en est.
Il ne parle jamais, sauf pour aller raconter ses rêves à sa mère. On ne sait pratiquement rien de lui. On ne le voit jamais agir. Il y a deux ou trois trucs qui semblent dire que le mec, il est sacrément pawned quand même (le coup des jugements qui ne peuvent se réaliser).
Frigg essaie de le sauver, ca foire magistralement. Elle a voulu prendre toutes les précautions possibles, et du coup, la mort de son fils arrive de la manière la plus horrible qui soit, tué dans une enceinte sacrée, et de fil en aiguille, est l’élément déclencheur qui amènera le Ragnarök.

Il est, malgré lui, une sorte de point de tension, un accélérateur. Un catalyseur.

Balder pourrait-il être une sorte de trickster ?

A l’opposé de Loki, trickster agissant de manière consciente, je vois Balder comme un trickster « à l’insu de son plein gré ». Il ne le fait pas exprès, mais il provoque malgré lui une situation pas possible. La mention de ses jugements qui ne peuvent se réaliser (il faudrait que je vérifie plusieurs traductions des Eddas, histoire de voir si c’est le même sens partout, ou si ce vieux fou de Régis a encore fumé la moquette) est une des justifications pour cette hypothèse (même si je pense que ca a davantage à voir avec autre chose, voir plus loin) : chaque fois qu’il veut faire un truc, ou qu’il essaie d’influencer en ce sens, paf, pastèque. A cette théorie, on peut opposer le fait que tous les Dieux sont soumis au Wyrd, oui. Sauf que les autres, on ne souligne pas précisément ce point là. Dans le cas de Balder, c’est pratiquement un warning : s’il essaie de s’impliquer dans quelque chose, c’est mort.

Après, plus prosaïquement, il est intéressant de déterrer le fait que son fils, Forseti, soit le dieu qui préside au Thing (d’ailleurs en vérifiant, j’ai trouvé que le mot est toujours employé en islandais). Les jugements et sentences du père sont systématiquement caducs. Le fils préside l’Assemblée… Je suppose que c’est davantage en ce sens que les textes mentionnent ces histoires de jugements.

Un Dieu lumineux et bon ?

C’est l’autre point qui m’a/avait toujours fait tiquer avec Balder. Cette manière de le présenter comme une sorte de figure parfaite, dont le portrait contraste singulièrement avec tous les autres.
Lumineux, oui. Mais, comme plusieurs personnes autour de moi l’ont fait judicieusement remarquer, l’aspect lumineux de Balder se rapproche plus des radiations nucléaires que de la lumière du soleil par un bel après-midi. D’une certaine manière, on peut faire un parallèle entre cet aspect nucléaire et son aspect de « trickster passif ».
L’autre notion, celle de « pureté » (notion en réalité abordée / traduite de différentes manières) peut également s’interpréter par le biais de ce prisme : ce n’est pas tant une question de pureté qu’une question de « réaction chimique ». Un peu comme des molécules de telle ou telle substance qui au contact d’une autre peuvent produire différents types de réactions. Balder est en quelque sorte un réactif. A la notion de pureté, je préfère donc la notion d’inertie : ce n’est pas que rien d’impur (ou de mauvais suivant les tradz) soient interdits dans sa halle, c’est « juste » que tout ce qui peut avoir une réaction à son contact doit demeurer à l’écart. Parce qu’autrement cela produit une réaction en chaîne.

J’ai longtemps considéré que Loki et Balder étaient, par essence, antagonistes. Aujourd’hui je suis plus sceptique sur cette question. Quelque part, en dépit du fait que l’un assassine l’autre, en dépit de la question « qui est réellement derrière la mort de Balder ? » (déjà soulevée), il y a quelque chose en eux qui se complète. Je serais bien en peine de dire quoi ou de l’expliquer. (De toute façon, en raison de sa nature UPG-esque, cet article est un point de vue tout à fait personnel.)

Au niveau de la pratique, radiations nucléaires ou pas, je trouve que l’énergie de Balder a quelque chose de remuant. Sous l’aspect « lumineux », son énergie est en fait assez torturée. Comme Heimdall, il est terriblement seul : seul au milieu des autres qui lui envoient des projectiles dans la tronche pour tester son invincibilité. Il est une focale, un transformateur, mais ce qui lui arrive, c’est pour les autres. Balder est un dieu assez distant : j’aurais du mal à l’expliquer, mais autant certaines déités ont une énergie « proche », autant ce n’est pas son cas.

Sa lumière, il la porte dans le monde des morts. Il est la lumière étrange qui brille en Helheim. Il est notre part de renoncement et l’espoir de voir un jour revenir des jours meilleurs. Davantage qu’un dieu lumineux et aimé de tous, je vois en Balder un sacrifié. Un pari sur le futur. Un sacrifié qui n’a rien demandé. Donné dans la douleur pour un peut-être improbable. Sa mort a quelque chose des images de Gaston Bachelard, sur la mort de l’eau et la mort du feu. La mort verticale du feu, irradiante, dans le moment où il est touché par la flèche de gui. D’horizontale et lancinante dans son voyage sur les eaux, dans le monde des morts où il reste.
Même si son aspect lumineux est présent, pour aussi étrange et tordue qu’elle soit, je ne pense pas que sa lumière, souterraine, soit pour nous. Elle est pour ceux que nous avons aimés et qui sont morts. Elle est pour les morts sans noms qui n’ont pas de réconfort. Nous pouvons la percevoir mais pas l’étreindre.

(Finalement, en me relisant vaguement en diagonale, je trouve que Helheim ressemble à un laboratoire P4.
Balder est une substance contaminante que l’on isole pour ne pas radier tout le monde de la carte, en attendant qu’elle puisse être utile, parce qu’on le sait, elle sera utile un jour. Le schéma de sa mort / protection est un protocole de recherche suivi d’un epic fail avec contamination des chercheurs. En attendant, nous nous contentons d’espérer.
Bref, je ne sais pas si je dois trouver ca déprimant, marrant, ou optimiste comme vision.)

4 commentaires sur « Une divagation sur Balder »

  1. Désolée, je vais poster mes commentaires par bribes, ça met du temps à descendre ^^’

    1°) « Elle a voulu prendre toutes les précautions possibles, et du coup, la mort de son fils arrive de la manière la plus horrible qui soit, tué dans une enceinte sacrée… »

    J’arrive pas à me remettre dans le contexte. Pourquoi est-ce horrible le fait de mourir dans une enceinte sacrée ? Dans une contexte humain, on évitait absolument les épées, de se battre, et encore plus de tuer dans une enceinte sacrée, parce que ça peut poser problème avec les Dieux, et puis que… c’est sacré. Mais pour des Dieux, j’arrive pas à chopper le fil. C’est la même raison, que la mort n’est pas sacrée ? Ca bug dans ma tête, la mort c’est factuel… Et en fait, mourir, le Dieu sacrifié dans une enceinte sacrée, j’ai l’impression que c’est ce qu’il y avait de plus logique, comme si c’était un rituel…

    2°) Intéressant le coup du Dieu wyrdé. C’est un point qui m’a toujours interrogé : quel est sa différence avec les autres Dieux de ce point de vue là ? Est-ce qu’il est l’exemple de quelqu’un qui a une destinée « pure », pas le choix de rien etc, juste subir ? Est-ce que c’est autre chose ?

    3°) Je te demanderai peut-être (à l’oral) d’expliciter ce que tu perçois sur le Thing, les jugements etc…. Parce que justement, le Thing c’est aussi censé être une enceinte sacrée, comme dans un rituel, or ça me fait « tilt » avec la mort du père dans une enceinte sacrée justement.

    4°) Je me demande si c’est un fantasme que les gens projettent cette histoire de perfection… Je l’ai toujours trouvé chelou, voire flippant, et surtout vraiment avec la poisse divine (comprendre la plus grosse poisse au monde). Est-ce que c’est censé être parfait que d’avoir un wyrd entièrement tracé et d’être impuissant ? Est-ce que c’est sa lumière qui fait dire ça ? Est-ce que c’est lié au fait qu’il semble représenter l’essence du sacré et du divin ? Moi sa lumière me troublait plus qu’autre chose, par sa nature « autre » justement. Un côté inquiétant, la différence incarnée, le mystère qui trouble (je me demande si c’est lié à son wyrd).

    1. Très brièvement (parce que je ne vais pas écrire tout un article en commentaire) :
      1/ sur le coup du rituel, je l’avais abordé dans l’article sur « Odin est-il à l’origine de la mort de Balder ».
      2/ L’enceinte sacrée, le Thing etc => toute la notion d’intérieur / extérieur / parole / hospitalité etc des mythes nordiques.

      J’écrirai sans doute un article sur Balder dans le lore quand j’aurai le temps (un jour), en attendant, tu peux lire la Gylfaginning et les Baldrs Draumar (et la Völuspa aussi). Ca démêlera tes interrogations.

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