[Odin Project – Jour 26] Odin, Ansuz, le souffle, le chant

La rune qui est le plus communément rattachée à Odin est Ansuz. Ansuz, aussi nommée Óss en vieux norrois. Son nom signifie « dieu » mais prend parfois un sens différent, notamment en vieil anglais où son nom est traduit par « bouche ». Odin est le Père de Tout et considéré comme le chef des Ases. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle est rattaché à la parole, au souffle, et Odin est celui qui a insufflé la vie, le souffle vital lors de la création de l’homme telle qu’elle est racontée dans le huitième chapitre de la Gylfaginning (La mystification de Gylfi).

Il est dit que Odin, Vili et Vé façonnèrent Ask et Embla, le premier homme et la première femme à partir d’un frêne et d’un orme.

Le premier leur donna le souffle et la vie, le second l’intelligence et le mouvement, le troisième l’apparence, la parole, l’ouïe et la vue.

Le premier est Odin, le second Vili et le troisième Vé. Odin a en quelques sortes, absorbés certains des aspects de ses deux frères, notamment quand il est question de son éloquence et de sa capacité à convaincre. Dans de ces nombreux textes, il se sert d’ailleurs de cette habilité pour tirer les choses à son avantage ou ridiculiser la partie adverse. Le seul qui semble le surpasser est Loki (comme par hasard son frère de sang, faut-il le rappeler ?). Le souffle est l’énergie vitale, celle qui lui sert à amener les runes à lui pour les ramasser (« et hurlant les ramassait »), concept qui évolue progressivement pour amener l’éloquence, mais aussi la poésie (quoique cette dernière aptitude relèverait aussi de sa fonction de dieu des morts).
Le souffle est un élément important de la pratique magique telle qu’elle est mentionnée dans les textes scandinaves, notamment le galdr (qui est un mot norrois pour désigner une incantation, le verbe incanter signifie « enchanter par des invocations » : l’invocation est déjà un processus requérant la parole, si on décompose le terme enchanter, on voit clairement la projection d’un vouloir, de concept à l’aide de mot. Le terme latin carmen a donné charme en français. D’une certaine manière, le terme incanter est encore un cran au-dessus en terme de puissance). Dans le Balderdraumar (Le rêve de Balder) Odin est désigné par les termes galdrs fadhir, le père du galdr.
En vieil-anglais, ansuz est ós, et ce terme est employé dans un poème (je ne sais pas lequel par contre) pour désigner la bouche. Rappelons qu’un autre des nombreux noms d’Odin est Osmi, parfois traduit par Le Suprême, mais parfois également par Voix puissante (ce nom me fait toujours penser à Saroumane et Gandalf dans le Seigneur des Anneaux et notamment dans le passage du film où a lieu « la confrontation incantatoire au col de Caradras). On peut bien sûr rapprocher cette signification de l’aspect « magicien » d’Odin, mais en réalité, c’est beaucoup plus étendu que cela.

Le concept du souffle de vie exprimé dans la Gylfaginning est l’önd qui est en réalité plutôt une notion d’énergie vitale que le « simple » sens du souffle, alors cette énergie et les concepts pouvant s’y rapporter sont beaucoup plus vastes. On rejoint alors d’autres aspects et fonctions d’Odin, notamment l’aspect guerrier avec la transe des berskers, l’aspect séducteur avec l’énergie sexuelle, mais aussi certaines de ses fonctions sans doute beaucoup plus ancienne reliées à la nuit et au vent. Il est particulièrement intéressant non seulement de chanter les runes, mais aussi de respirer d’une manière particulière pour, en quelque sorte, faire monter la jauge d’énergie (une fois j’ai fait un rêve assez spécial incluant ce genre de pratique : un Vieux (sans commentaire) m’expliquant comment respirer et « projeter le souffle ». L’énergie obtenue était déroutante, particulièrement puissante mais vraiment brute, pouvant donner à peu près n’importe quoi comme « résultat » ca n’avait rien de commun avec ce que j’arrive à faire durant mon état actif.)

Chanter est une pratique très puissante : on dit qu’un tambour sonne correctement quand on entend d’autres sons. Quand on chante, c’est un peu la même chose. J’ai fais du chant pendant dix ans, dont plusieurs années dans une chorale professionnelle, et je me souviens de mes professeurs qui disaient que ce n’est pas la note chantée qui est importante, ce sont toutes celles que nous ne prononçons pas mais qui s’entendent par réverbérations. Pendant qu’on chante, on est concentré, toute l’attention est concentrée sur le fil d’énergie pour qu’il réponde entièrement à ce que l’on souhaite façonner (en l’occurrence, dans une chorale, quelque chose qui soit harmonieux), à un certain niveaux de concentration, on atteint une sorte de transe très particulière : en chantant les runes il est possible de faire exactement cela, de développer les couches successives et les significations repliées de la rune et de trouver exactement le vibrato qui correspond au travail que l’on accomplit.

Il est intéressant de s’attarder sur le fait que, pour aller chercher les runes, Odin se sacrifie de deux manières en réalité : par la pendaison et par la lance. Je pense que la pendaison n’est qu’une façon de « travailler », de « façonner » son önd pour qu’il puisse atteindre l’état de transe et rendre le voyage possible. La blessure par la lance constitue le sacrifice nécessaire et sans doute, elle augmente ou modifie, en tout cas agit sur la douleur. Son sang est une offrande, ce qui explique pourquoi il existe la question de savoir s’il faut teindre ses runes avec son sang ou pas.

Source de la citation : L’Edda, Snorri Sturluson, traduction de  François-Xavier Dillmann