Et devant moi la route

(Ou reprendre des petits bout de blog, avec des petits bouts de temps)

Conduire. Un verbe tout simple qui évoque à certains des sueurs froides, à d’autres un ennui sans nom, une corvée. Une simple action factuelle. Chez d’autres encore, conduire est synonyme de plaisir et/ou, d’aventure. Je fais partie de ces derniers.
Observant ma mère conduire, durant mes jeunes années, je me disais que ça avait l’air tout simple et très chouette. J’avais hâte du jour où moi aussi, je pourrai m’asseoir au volant de mon cheval de fer et être libre de mes déplacements.
De fait, l’apprentissage de la conduite fût sportif ; pas tant en terme de difficultés (si on excepte l’obtention du précieux sésame qui est une épopée en soi) qu’en terme d’anecdotes plus ou moins amusantes. Ainsi, lors de ma toute première leçon, et suivant la méthode de mon instructeur, un vieux à moustache quasi-sosie de Guéthenoc, accent inclus, on m’amena sur l’autoroute. Cette méthode n’est pas si rare, mais elle semble susciter quelques frayeurs quand on la mentionne, ce qui se comprend.
La seconde leçon, où Guéthenoc me demanda de faire « un dépassement », je me suis dit « chouette, je suis autorisée à faire un excès de vitesse » (mauvaaaaise interprétation du terme dépassement), et j’appuyai joyeusement à fond sur l’accélérateur et dépassai joyeusement la limite permise, ce qui me valut une sacré semonce, amplement justifiée.
Je me souviens en revanche, du jour où, prenant un virage beaucoup trop vite, je senti la voiture décoller de la route. A cet endroit, il y avait un gros dénivelé et en contrebas, des rochers. Je me souviens de la sensation de terreur instantanée et du « ACCÉLÈRE ! » que j’entendis dans ma tête. Ni une ni deux, j’écrasa le champignon et la voiture resta sur la route. S’en suivit un silence de plusieurs minutes, et la fille de Guéthenoc, mon instructrice, me dit d’une voix blanche « on a failli partir dans le décor là ». « Je sais » fis-je d’une voix neutre. Puis elle me demanda pourquoi j’avais accéléré. Je me souviens avoir failli répondre qu’une voix dans ma tête me l’avais dit avant de me contenter d’un plus sobre « je ne sais pas, c’était instinctif ». Elle ajouta que dans ce type de situation, la plupart des débutants auraient freiné. Si j’avais freiné, la voiture aurait quitté la route, et on aurait fini dans les rochers vingt-cinq mètres plus bas.
Ce détail là est resté dans un coin de ma tête. Comme la sensation d’une connexion, d’un canal possible, que je n’expérimenterai que bien plus tard.

Quand je conduis, je me sens connectée. Il y a la sensation puissante d’être en parfait contrôle, et la responsabilité énorme qui en incombe, le leurre de se croire tout puissant et d’en être le jouet. Conduire, c’est pour moi quasiment un processus chamanique, où on est à la fois passif (parce qu’assis en analysant constamment des informations qui évoluent et changent à chaque seconde) et actif (la voiture qui se déplace, que l’on déplace), la nécessité d’observer, d’être attentif à l’environnement et de constamment s’adapter. Ouvert, réceptif mais concentré parce que la rêverie passive peut nous faire basculer dans un accident. C’est un moment de concentration et, dans le même temps, un moment de réception et d’ouverture. Pour moi qui ne suit pas cavalière (en même temps. personne ne m’a jamais vu à cheval), la conduite automobile, conjuguée à certaines musiques, est la pratique ordinaire qui m’a permis de mieux comprendre, d’expérimenter la rune Eh de façon plus prosaïque. Je suis heureuse quand je dois prendre la route, et avaler des kilomètres, même et surtout sur des autoroutes mornes dépourvues d’attraits, parce que tout se concentre sur les innombrables changements qui ne cessent jamais, et sur la connexion avec la Brochette. Connexion qui m’a plus d’une fois permis d’éviter un accident, plus ou moins grave. Comme la voiture qui roule tranquillement devant nous, avec les bonnes distances de sécurité, et puis, on nous dit « augmente la distance, il va y avoir une couille ». Mettre de la distance, et paf, la voiture qui fait une suite de nawak. Sans distance ajoutée, il y aurait eu au moins de la tôle froissée. Sans doute pire à 130 km/h.

Clairement, plutôt que de vivre la conduite comme un pensum atroce et stressant, je suis contente que ce soit pour moi un moment de connexion avec la Brochette, un moment où, comme je ne peux pas le regarder et être influencée par son éventuelle esthétique, je me trouve plus réceptive aux énergies des lieux traversés, aux changements et évolutions plus ou moins subtiles des endroits, des régions. Sentir les frontières-charnières, qui ont parfois à voir et parfois rien, avec les frontières des communes ou régions.

(Et ceci sans compter d’autres aspects, et notamment « le véhicule », mais pour une autre fois….)

4 commentaires sur « Et devant moi la route »

  1. Un grand merci pour cet article.
    La conduite m’inspire depuis mes débuts plus d’angoisse qu’autre chose, même si ça tend à changer depuis quelques temps (j’ai loupé l’examen trois fois….c’est dire). Donc je suis vraiment très contente de lire ton article parce que je pense que j’y repenserai la prochaine fois que je prendrai le volant, et j’aurais peut-être même une autre vision des choses maintenant. En tout cas, un peu d’eau dans mon vin =) et une vision un peu différente ^^

    1. Le stress de l’examen, je connais -tristement- bien, et les conditions dans lesquelles on le passe en France n’aident pas je trouve (examinateur stressant, pièges, etc). Je l’ai loupé 4 fois en France pour le réussir du premier coup au Québec (les « pièges » sont interdits, l’examinateur t’explique très clairement tout et tu peux redemander des précisions en cours d’examen, il te dit que s’il note des trucs, ca n’est pas mauvais signe, le parcours est autour du centre, etc).
      J’espère que tout se passera bien pour toi lors de ta prochaine tentative : le conseil que m’avait donné mon instructeur marocain au Québec (un vieux « grincheux » et gentil, qui râlait tout le temps pendant les rares leçons -il y en a 10, pas plus. Tu conduis seul/e avec les conducteurs de ton choix, pourvus qu’ils aient le permis.) c’est : « ne te stresse pas en t’imposant la perfection, c’est comme ça qu’on se bloque. Des erreurs, on en fait toujours de toute façon, dit toi que c’est une journée de conduite comme une autre ».

    1. La Brochette, c’est le surnom global affectueux pour désigner les Esprits/Déités/Autres avec lesquels je travaille. Je n’aime pas utiliser des termes pompeux trop utilisés dans les trucs pseudos harnerien (et je parle même pas de « animal totem »).

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