[Projet Phagos] Des dessins de petits dieux dansants, aux couleurs de la vie et de la mort

Je crois que si vous prenez un ascenseur pour descendre dans le sous-sol de Mexico, vous vous retrouverez nez à nez avec les dieux en train de vous faire la grimace. Les dieux apparaissent toujours dans les souterrains de mes nouvelles et de mes romans sur Mexico. Je crois qu’ils sont là. Vous savez, dans l’optique aztèque, nous vivons selon un cycle de cinq soleils. Actuellement, nous nous trouvons sous le cinquième soleil, lequel sera détruit par un tremblement de terre. Les soleils antérieurs ont été détruits par le feu, l’eau et les autres éléments. Au cinquième soleil, la terre se détruit elle-même : c’est la terre, en tremblant, qui se détruira elle-même. C’est pourquoi tous les cinquante-deux ans, chaque pyramide du monde indigène devait être recouverte par une autre pyramide.
Aujourd’hui, l’une des grandes expériences à faire au Mexique, c’est d’entrer dans la galerie, dans le labyrinthe de ces pyramides, et de découvrir la pyramide à l’intérieur de la pyramide, et la pyramide à l’intérieur de la pyramide, comme un jeu de poupées russes. Dans la pyramide de Cholula, qui fut le grand panthéon — le grand centre où les Aztèques faisaient figurer ensemble toutes les déités des royaumes conquis, comme à Rome —, on pénètre au cœur de la pyramide et on tombe sur des dieux rampants, des dessins de petits dieux dansants, aux couleurs de la vie et de la mort, noir et jaune, qui nous font des grimaces et se moquent du monde. Quand on découvre que cet assemblage de pyramides est de surcroît couronné par une basilique espagnole en l’honneur de la Vierge des Remèdes où repose la figure triangulaire de la Vierge (toutes les vierges mexicaines ont la forme du sexe féminin, vous savez) avec ses colliers de perles et ses larmes parce que son fils est mort, tandis qu’au-dessous les petits dieux de la vie et de la mort dansent en grimaçant, alors on comprend qu’on est dans une culture qui, pour un écrivain, offre un certain nombre d’éléments à travailler que d’autres cultures, incontestablement, n’offrent pas.


Carlos Fuentes, Territoires du temps: Une anthologie d’entretiens. Traduit de l’espagnol (Mexique) par Céline Zins. 

L’extrait cité ici est tiré de Terra Fuentes, paru dans le Harvard Review, automne 1986, vol. 1

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